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La glorieuse incertitude du sport

Sans doute cela peut-il apparaître bien futile de commenter la descente aux enfers de l’équipe de France de football ces derniers jours alors que le monde traverse l’une des pires crises économiques de son histoire, que les emplois se perdent par millions et que les inégalités explosent.

C’est justement au nom de la lutte contre les inégalités ainsi que d’une certaine conception du rôle du sport dans la société que j’écris ce petit mot. Le football est un jeu et doit le rester. Perdre fait partie du jeu. Il faut savoir l’accepter.

Mieux vaut d’ailleurs perdre avec honneur (comme lors de la mythique demi-finale France-Allemagne à Séville en juillet 1982) que gagner dans le déshonneur (comme au Stade de France face à l’Irlande en novembre 2010). A l’ère du foot business, les valeurs sportives reculent. Au nom du fric et des contrats personnels juteux, on peut sans grande crainte insulter, frapper, tricher.

Le spectacle donné par l’équipe de France est de ce point de vue édifiant. Il n’y a plus d’équipe, mais une collection d’égos débridés, mélange d’immaturité, de suffisance et de bêtise crasse. Ce groupe n’a pas le niveau d’une phase finale de Coupe du Monde, tant sportif que moral. Faire la grève de l’entrainement en réaction à l’éviction de l’un d’entre eux, coupable d’avoir invectivé l’entraîneur, est ridicule. Voir le même entraîneur venir lire le communiqué des joueurs à la presse est proprement pathétique.

Mercredi prochain, une fois l’élimination consommée, tout ce petit monde reprendra l’avion pour Paris, dans l’attente de la curée à venir. C’est là alors qu’il faudra mettre toutes les cartes sur la table. J’espère que les joueurs et le staff de l’équipe de France, après le spectacle donné, auront la décence de ne pas réclamer les 300 000 Euros de primes promis à chacun, quelque soit le résultat en Afrique du Sud. J’espère aussi que la direction de la Fédération Française de Football aura la dignité de présenter sa démission collective.

Derrière cet échec, c’est en effet tout le football français qui est à refonder. Le football amateur, celui des villages et des petites villes, animé par des bénévoles passionnés, crève à petit feu depuis des années du manque de moyens et d’attention de la Fédération, mais aussi du gouvernement. C’est de l’absence confondante de politique sportive dont il est question. Est-ce bien le rôle de Roselyne Bachelot de vivre dans le camp de base de l’équipe de France depuis trois jours pour recoller les morceaux, à la demande, paraît-il, du Président de la République ?

Une meilleure péréquation des ressources vers le sport amateur est urgente, sauf à accepter que l’avenir se fasse sur des ligues fermées comme la NBA ou la NHL aux Etats-Unis. C’est le rêve des Aulas et autres libéraux du foot, soucieux de leur cagnotte et méprisants à l’égard du sport amateur. Le bonheur du sport, c’est sa pratique par tous, c’est l’éducation populaire qu’il incarne, c’est l’émergence des talents. L’expression « amour du maillot » a souvent été galvaudée. Elle n’est cependant pas caduque car se cache derrière elle la passion du collectif et l’intelligence du jeu.

Je ne pleure pas sur les millions d’Euros mal dépensés par TF1, Quick ou Toyota dans cette affaire. Ils en ont encore beaucoup. Que pense Nike, qui a déboursé 42 millions d’Euros pour arracher à Adidas le maillot de l’équipe de France après 2012 ? Ces sommes donnent le tournis. Elles n’ont de sens que si elles bénéficient à une œuvre collective, pour former des jeunes, non à des mercenaires qui ne respectent ni la morale sportive, ni leur équipe, ni finalement eux-mêmes. D’autres qu’eux, d’ici au 11 juillet et aussi au-delà, donneront à rêver, tout simplement parce qu’ils honorent sur le terrain et par leur attitude la glorieuse incertitude du sport.

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