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Le bâton sans la carotte

Le salut de l’Europe se trouve-t-il dans une société plus éclatée, plus inégalitaire et moins protectrice? C’est l’interrogation que l’on est en droit de se poser au regard des échanges sur le récent « pacte de compétitivité » présenté au Conseil européen par l’Allemagne et la France. En retour de la solidarité financière, les Etats seraient appelés, entre autres, à reculer l’âge de départ à la retraite à 67 ans, à renoncer à l’indexation automatique des salaires sur les prix pour ceux qui la pratiquent ou bien encore à inscrire dans leurs Constitutions respectives le principe de l’équilibre budgétaire. A prendre ou à laisser, si l’on a bien compris le message de la Chancelière Angela Merkel, soutenue par un Nicolas Sarkozy très empressé, déficits français obligent. Pour résumer, si l’Europe n’épouse pas les choix politiques de la CDU, du FDP et de l’UMP, la solidarité financière improvisée en 2010 face aux crises grecques et irlandaises pourrait bien ne pas être pérennisée.

Cette situation est parfaitement malsaine. Sur la forme, le diktat franco-allemand a pris à rebrousse-poil la plupart des autres pays de l’Union. Le Président de la Commission européenne, comme d’habitude, s’est couché et le Président du Conseil semble s’accommoder du rôle de simple exécutant que daignent lui conférer Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Sur le fond, c’est une Europe à l’allemande qui se prépare et cela mérite débat politique. La droite allemande se gargarise de la croissance revenue outre-Rhin. Mais à quel prix ? Celui de l’appauvrissement des salariés et de la croissance des inégalités au cours des années écoulées. Plus de 15% des Allemands vivent sous le seuil de pauvreté, un chiffre en progression constante ces dernières années. Le temps partiel, les petits boulots et l’intérim ne sont pas facteurs de richesse, or ils se multiplient. Et si croissance il y a en effet, elle provient des exportations, non de la demande intérieure.

La convergence franco-allemande est devenue le leitmotiv de Nicolas Sarkozy. Cela veut dire en clair qu’il accepte le postulat selon lequel la reprise économique est fonction de l’appauvrissement du salariat. Est-ce cela, l’Europe qui protège ? Le gouvernement économique, tellement nécessaire en appui à une monnaie unique livrée à la spéculation financière, doit-il poser comme acte fondateur la croissance de la pauvreté et des inégalités dans l’Union ? Non, si l’on conçoit l’Europe comme une communauté de destins, un projet citoyen, un progrès partagé. Cela fait des années que l’Europe fait fausse route et singulièrement encore plus ces derniers mois. Le cabotage politique est une navigation de courte vue, sans boussole ni objectif. Les plans d’austérité imposés à la Grèce et à l’Irlande présentent un coût social insupportable sans pour autant garantir le redémarrage de l’économie et écarter par conséquent le risque de faillite de ces pays.

Ainsi, à force de multiplier les rustines et de promettre aux salariés comme unique horizon le sang et les larmes, l’Europe d’Angela Merkel, de Nicolas Sarkozy et du Parti Populaire Européen court à sa perte. La restructuration de la dette souveraine des Etats fragilisés ne doit plus être un tabou, mais doit devenir au contraire une condition du rétablissement des finances publiques. C’est une question d’acceptabilité politique.

L’Europe doit tirer toutes les leçons d’une crise qui se prolonge et remettre les peuples au cœur de son action. Elle reste plus que jamais l’échelon pertinent d’action, pour peu cependant qu’elle s’en donne les moyens : un budget déplafonné, des ressources propres à la hauteur du besoin d’action, le pouvoir de lever l’emprunt, la volonté de se protéger contre les concurrences déloyales. C’est dans ce cadre seulement que l’harmonisation des politiques fiscales et la surveillance des politiques budgétaires nationales seront possibles parce qu’acceptées. Cela vaut mieux que le carotte et le bâton ou, pire, le bâton sans la carotte.

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