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Le régime matrimonial franco-allemand : symbole et surtout solution

J’ai présenté mercredi matin mon rapport pour avis sur le régime matrimonial franco-allemand à la Commission des Lois. Ce rapport a été approuvé à l’unanimité et transmis à la Commission des Affaires Etrangères, qui devrait statuer dans les premiers jours de novembre avant que les députés ne soient appelés formellement à ratifier l’accord en séance vers la mi-novembre. Le vote solennel autorisera l’entrée en vigueur du régime matrimonial, le Bundestag ayant déjà voté la ratification en mars de cette année. Le processus de négociation entamé en 2006 et conclu le 7 février 2010 connaîtra alors son aboutissement en droit positif.

Le régime matrimonial franco-allemand est un développement très important, en particulier pour les 110 000 Français en Allemagne et 150 000 Allemands en France. Il apporte en effet une sécurité juridique accrue aux couples mixtes ou aux couples mono-nationaux établis dans l’Etat partenaire en cas de rupture du mariage. Cette sécurité prend la forme d’une clé très précise de répartition des biens entre les deux futurs ex-conjoints. Autant de garanties qui n’existent pas aujourd’hui pour nombre de couples qui, face à des ruptures acrimonieuses, engagent souvent l’un avec l’autre une course pour porter la procédure devant le tribunal du pays où il ou elle estime que la législation lui sera plus favorable.

Face à cette « course au tribunal », la France et l’Allemagne ont convenu de mettre en place un régime commun de la participation aux acquêts. Ce régime est une séparation de biens. Il est établi sur la base d’un contrat devant notaire. Dans l’hypothèse de la dissolution du mariage, l’évolution du patrimoine de chacun des époux est comparée et celle ou celui dont le patrimoine aura le moins progressé aura le droit à une créance correspondant à la moitié du surplus d’enrichissement de l’autre époux. Le régime définit clairement le patrimoine originaire, empruntant pour ce faire tour à tour au droit allemand et au droit français.

La France comme l’Allemagne connaissent déjà la participation aux acquêts, mais avec des fortunes diverses. La participation aux acquêts est le régime légal en Allemagne. Il est retenu par les époux dans près de 90% des unions célébrées dans le pays. A l’inverse, moins de 1% des mariages en France, où le régime légal est celui de la communauté, relèvent de la participation aux acquêts. Le contrat de mariage n’a pas bonne presse chez nous pour diverses raisons. En outre, pour nombre de praticiens français du droit matrimonial et en particulier les notaires, la participation aux acquêts est souvent perçue comme un régime complexe et exigeant.

Le régime matrimonial franco-allemand, une fois consacré en droit positif, sera ce que nous en ferons. Je suis convaincu de sa valeur ajoutée pour les couples mixtes et plus encore dans l’hypothèse d’un remariage, lorsque les époux ont le plus souvent un réel patrimoine originaire. Encore faut-il que publicité soit faite sur ce régime afin qu’il ne reste pas un symbole franco-allemand vide de toute application. J’ai insisté devant la Commission des Lois mercredi pour qu’une information précise sur le régime franco-allemand de la participation aux acquêts soit remise aux futurs époux en mairie comme dans les Consulats. Il faudra aussi que les notaires s’approprient ce régime afin d’en maîtriser les éléments essentiels pour le recommander utilement.

La communication et la formation seront donc importantes. Je vois aussi dans le régime matrimonial franco-allemand un développement bienvenu et largement inédit du droit international de la famille. En effet, il ne s’agit pas ici de prévenir ou résoudre les conflits de loi applicable, mais bien de construire un droit matériel commun. Cet exercice se place hors de la compétence de l’Union européenne et ne peut donc être conduit que par les Etats eux-mêmes. Le régime matrimonial franco-allemand ménage la possibilité pour d’autres Etats de l’Union européenne de s’y joindre et il ressort des auditions que j’ai menées en septembre et en octobre que le Luxembourg, la Hongrie et la Bulgarie seraient déjà prêts à faire ce pas.

La constitution d’un noyau dur européen en droit de la famille est essentielle. Il s’agit, par le développement d’un droit matériel, d’emprunter aux législations nationales, de créer la confiance et les solidarités de fait qui, souvent, manquent encore dans ce domaine. Je voudrais imaginer que ce précédent en matière matrimoniale, issu de la relation entre la France et l’Allemagne, puisse entraîner d’autres développements sur le divorce, les gardes d’enfants et les successions. Sur les enlèvements d’enfants, nous avons un urgent devoir de résultat. Je suis convaincu que la réussite du régime matrimonial franco-allemand sera un élément de détente pour construire un droit européen de la famille solide et protecteur.

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