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Les nouveaux habits du Conseil Constitutionnel

Photo d'archives/REUTERS/Charles PlatiauLa France vit depuis quelques mois une révolution juridictionnelle dont les médias se sont faits assez peu l’écho. Il s’agit de l’émergence du Conseil Constitutionnel, institution longtemps décriée pour son manque d’indépendance à l’égard du pouvoir, en une cour constitutionnelle de plein exercice. Cette révolution trouve sa source dans l’entrée en vigueur au mois de mars 2010 d’un nouvel instrument juridique : la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

La QPC, introduite dans la Constitution lors de la révision de juillet 2008 (celle-là même qui a abouti aussi à la création des sièges de députés des Français de l’étranger), est une idée développée à l’origine par Robert Badinter lorsqu’il présidait le Conseil Constitutionnel entre 1986 et 1995. Elle autorise tout justiciable à soulever la constitutionnalité de la loi qui lui est applicable à l’occasion d’une procédure judiciaire ou administrative.

Dans un pays comme le nôtre, dont toute la tradition juridique repose sur la souveraineté de la loi, l’idée que le Conseil Constitutionnel puisse désormais déclarer inconstitutionnel tout ou partie d’un texte législatif parfois très ancien bouscule tous les conservatismes. Une discrimination flagrante enfouie dans une loi promulguée depuis longtemps et jamais déférée en son temps au Conseil Constitutionnel peut aujourd’hui se voir débusquée et condamnée. Il est symbolique et tellement heureux que la première décision du Conseil Constitutionnel au titre de la QPC ait été celle condamnant l’inégalité des retraites entre anciens combattants français et étrangers, un sujet que nous connaissions bien à l’étranger pour avoir partagé ce combat. La décision du Conseil Constitutionnel a sonné le glas d’années de lâcheté politique et rendu justice à ceux que la France avait choisi d’oublier.

Depuis lors, de nombreux recours en QPC ont été introduits. Plusieurs dispositions législatives sur le régime de la garde à vue ont été censurées par le Conseil Constitutionnel, qui les a considérées attentatoires aux libertés publiques. Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux se sont étranglés de rage. L’hyper-présidence n’avait pas vraiment prévu que la QPC aboutisse à ériger un sérieux contrepouvoir du côté du Palais-Royal. L’émancipation du Conseil Constitutionnel n’était pas à l’ordre du jour. Il avait longtemps été un club plutôt cosy pour politiques à la retraite : un mandat de 9 ans, voire même à vie pour les anciens Présidents de la République, et une petite délibération le jeudi seulement. La vie était belle. Entre 1958 et 1974, lorsque seuls le Président de la République, le Premier Ministre et le Président des Assemblées pouvaient le saisir, le Conseil Constitutionnel n’avait rendu que 9 décisions en tout et pour tout.

L’élargissement du droit de saisine à 60 députés ou sénateurs en 1974 avait été un premier progrès pour l’Etat de droit. Reste que de nombreuses questions continuaient d’échapper au contrôle de constitutionnalité si les parlementaires décidaient de ne pas les soulever. Une situation que la QPC permet aujourd’hui de corriger. Le Conseil Constitutionnel devra ainsi se pencher dans les mois à venir sur la conformité ou non du mariage homosexuel avec la Constitution. Fini le temps où, dans l’affaire du mariage de Bègles, la Cour de Cassation enterrait prestement le sujet en proclamant à la hâte que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme selon la loi française. Le Conseil Constitutionnel, dans son appréciation, ne pourra pas ne pas prendre en compte l’évolution de la société et du débat sur le mariage entre personnes de même sexe intervenue ces dernières années dans notre pays et chez nos partenaires de l’Union européenne. L’adoption par les couples homosexuels lui sera également soumise en QPC dans les prochains mois.

La QPC constitue un immense progrès pour l’Etat de droit, l’égalité entre les citoyens et le régime des libertés publiques. Elle a en quelques mois seulement changé la nature même de la justice constitutionnelle en France. Pour autant, d’importantes étapes restent encore à accomplir pour que le Conseil Constitutionnel prenne toute la dimension d’une cour constitutionnelle. La toute première relève de la nomination de ses membres. Aujourd’hui, le Président de la République, le Président de l’Assemblée Nationale et le Président du Sénat nomment chacun 3 membres du Conseil Constitutionnel, sans contrôle ni vote de confirmation. Et les anciens Présidents de la République sont membres à vie. Cette procédure de nomination, fondée sur le fait du prince, est anachronique et choquante.

Je serais d’avis de supprimer purement et simplement les membres à vie et de soumettre la nomination des membres à une audition parlementaire publique, suivie d’un vote de confirmation du Parlement réuni en Congrès à la majorité des 2/3. Les responsabilités du Conseil Constitutionnel sont en effet trop importantes désormais pour que l’on tolère plus longtemps les petits arrangements qui ont présidé à certaines nominations ces dernières années.

A cette condition, et en se dotant également d’une procédure précise garantissant le plein respect du contradictoire et la publicité des débats (à l’exception bien sûr du délibéré), le Conseil Constitutionnel prendra enfin toute la dimension que les défenseurs de l’Etat de droit et des libertés publiques réclamaient depuis des années.

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