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Les périls monétaires

La réunion des Ministres des Finances du G20 hier en Corée a pris fin avec l’adoption d’un communiqué de presse à minima sur la guerre des monnaies faisant rage depuis quelques semaines entre grandes zones commerciales du monde. Peut-on considérer le verre à moitié plein lorsque l’on en appelle à des taux de change davantage fixés par les marchés, que l’on met en garde contre les dévaluations compétitives et recommande une politique de réduction des déséquilibres des comptes courants ? En l’état actuel des enjeux, je ne le crois pas. Le communiqué d’hier est un faible compromis, qui laisse largement sans réponses les questions posées quant à la menace pour la reprise économique mondiale du chaos actuel sur le marché des changes. La patate chaude est refilée aux chefs d’Etat et de gouvernement du G20, qui se retrouveront à Séoul au mois de novembre avec une obligation de résultat.

La situation est grave en effet. La croissance dans les pays développés est anémique. L’investissement stagne et le chômage progresse. Surtout, la lourde réduction des dépenses publiques au sein de la zone euro pèsera sur la demande tout au long des prochains mois et cette austérité est d’autant plus menaçante pour la croissance depuis la vive appréciation de l’euro par rapport aux principales monnaies ces dernières semaines. On estime ainsi qu’un euro à 1,40 dollar se traduirait au bas mot par un demi-point de croissance en moins. C’est toute la balance commerciale qui est menacée par l’euro fort, en particulier dans les pays dont l’offre à l’export repose peu sur des produits à forte valeur ajoutée, ce qui est malheureusement le cas de la France.

L’Europe paie cher les dévaluations compétitives américaines et chinoises. Les Etats-Unis, en proie à des déficits colossaux, ont choisi de faire tourner la planche à billet. Quant à la Chine, elle entretient avec soin la sous-évaluation du yuan pour doper la compétitivité de ses entreprises et fausser la concurrence. Elle accumule des réserves de change – estimées actuellement à 2 500 milliards de dollars – en vendant de sa monnaie. De là à une guerre commerciale, il n’y a plus guère qu’un pas. C’est ainsi par exemple qu’une commission de la Chambre des Représentants aux Etats-Unis a voté en septembre un projet de loi prévoyant des taxes à l’importation sur les produits chinois en représailles à la politique de dumping monétaire des autorités chinoises.

Le scénario et le timing de sortie de crise ne sont pas les mêmes pour les pays émergents et les pays développés. Les premiers ont retrouvé les niveaux d’activité économique d’avant-crise lorsque les seconds en sont encore loin. Pour permettre une croissance équilibrée, il faudrait imaginer que les pays avancés maintiennent des taux d’intérêt bas et que les pays émergents acceptent de leur côté l’idée d’une appréciation de leurs monnaies. Ce n’est pas vraiment le chemin que chaque acteur de ce jeu planétaire lourd de conséquences envisage de prendre à ce stade, tant le débat semble prisonnier à la fois de cristallisation de l’opposition entre les Etats-Unis et la Chine et de l’incapacité de l’Europe de prendre ses responsabilités.

Ce nouvel épisode de l’instabilité économique et monétaire du monde souligne une fois encore les limites de l’action de l’Union européenne. La Banque Centrale Européenne (BCE) déplore les risques actuels de la volatilité sur les marchés des changes pour la croissance, mais ne s’engage pas plus loin. On y revient toujours : sans gouvernance économique, sans renforcement à ce titre de l’Eurogroupe par rapport à la BCE et sans fédéralisation des outils d’intervention, l’Union reste un nain politique. Or, tout se passe aujourd’hui comme si l’Allemagne et la France étaient plus préoccupées de se neutraliser sur la gouvernance de la zone euro que d’agir de concert avec les autres Etats membres pour peser ensemble à l’échelle internationale. La question du gouvernement économique ne peut se résumer à l’application ou non de sanctions aux Etats laxistes ! Le projet de gouvernement économique proposé par la France et l’Allemagne le 18 octobre n’est tout simplement pas à la hauteur.

L’émergence d’un nouveau système monétaire international est encore lointaine, malheureusement. Face à l’urgence de la situation, il y a besoin à tout le moins dans les prochaines semaines d’un règlement de type « accords du Plaza », à l’image de ce règlement négocié entre 5 pays en 1985 pour faire baisser le dollar. Au G20, l’Union européenne devra impérativement parler d’une seule voix sauf à payer chez elle le prix des stratégies des autres. Cela requiert une forte concertation en amont des Etats membres. Il n’est que temps de sortir de la posture, de la chicane et autres égoïsmes frileux. L’Union a son destin entre les mains et celui-ci est commun. Des emplois par millions seront en jeu si le sursaut politique nécessaire n’est pas au rendez-vous.

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