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Pour un débat énergétique national

En 1986, le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à la frontière française. 25 années plus tard, ce sont les interrogations consécutives au drame de Fukushima qui ne parviennent pas à passer une autre frontière : celle du débat public. Comme si, en France, le choix nucléaire était encore et toujours un tabou, une zone interdite, à l’image finalement des régions sinistrées par ces accidents terribles que l’on traite comme des faits divers, mais à propos desquels il ne serait pas souhaitable que les citoyens s’interrogent. Disons-le franchement : la culture du secret qui entoure le nucléaire en France n’est plus tolérable. Notre pays n’est pas une île. Imaginer que la chape de plomb retombe à nouveau alors que l’Allemagne décide de fermer tous ses réacteurs en 2022 et que les Italiens se prononcent par référendum contre la reprise du programme nucléaire est inacceptable. Le débat citoyen sur l’avenir énergétique de la France n’est pas l’arbitrage entre les ambitions concurrentes d’Henri Proglio et d’Anne Lauvergeon, entre EDF et Areva, mais une interrogation touchant tout à la fois à la santé publique, à la sécurité d’approvisionnement, au prix de l’énergie et à la lutte contre le réchauffement de la planète.

Dans ce débat, il doit y avoir des convictions, de l’économie, de la finance et de la science. Beaucoup de transparence aussi, de la raison autant que d’émotion et surtout pas de calcul électoral. Or, quitte à ramer à contre-courant un instant, je n’oublie pas que la décision aujourd’hui acclamée d’Angela Merkel de fermer les réacteurs sous 10 ans fait suite à la déroute de la CDU face aux Verts en Baden-Würtemberg. La droite allemande est venue à ce choix politique qu’elle combattait rudement sous la coalition SPD-Grünen : la sortie du nucléaire pour 2021… La décision d’Angela Merkel soulève au demeurant d’autres questions. Quid de l’importation par l’Allemagne de l’électricité d’origine nucléaire venant de France ? Et surtout comment faire face dans l’immédiat à la perte d’énergie (le nucléaire représentant 22% du bilan énergétique allemand), qu’un investissement renforcé dans les éoliennes offshore en Mer du Nord et Mer Baltique ne peut combler en si peu de temps, autrement que par la construction d’une bonne vingtaine de centrales au charbon, en contradiction avec les engagements de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ?

Ce que ces questions pas si subsidiaires que cela révèlent, c’est que le débat sur l’avenir énergétique ne peut être manichéen et simpliste, mais pensé et partagé. C’est la lutte anti-nucléaire qui, au temps lointain de Plogoff, avait provoqué ma première prise de conscience politique. C’est l’énergie solaire qui me fait vivre professionnellement aujourd’hui. De la pure émotion, j’ai peu à peu migré vers la raison, sans rien renier pourtant de ma conviction que le nucléaire est une énergie de transition dont il faudra sortir. Je connais les contraintes technologiques et financières, logistiques et sociétales, qui se rattachent aux énergies renouvelables et font que tout n’est pas possible dans l’instant, pas plus d’ailleurs que sous dix ans. Il y a aussi un énorme effort de modernisation du réseau de transport d’électricité à conduire pour l’adapter à la décentralisation des nouvelles sources d’approvisionnement et à l’intermittence. C’est ni plus ni moins d’un changement de paradigme énergétique dont il est question et qu’il faut traiter à horizon de 20, 30 et même 40 ans. Et des politiques non-moins importantes sont à mener pour la sobriété et l’efficacité énergétiques car les énergies renouvelables ne sont pas l’unique solution.

Pas loin de 80% de l’électricité consommée en France provient du nucléaire. C’est dire le chemin à parcourir pour notre pays. C’est dire également l’urgence d’un débat national sur le projet énergétique dans son ensemble, qui prenne en compte aussi la recherche dans le domaine nucléaire et l’existence en France d’une filière industrielle dont il doit être tenu compte. La démarche industrielle est fondamentale : il y a des emplois par centaines de milliers à créer dans les énergies renouvelables et les économies d’énergie. L’Allemagne, grâce à la coalition SPD-Grünen, est devenue un modèle. Toutes ces questions-là doivent faire l’objet du débat, porté au plus près de nos compatriotes, au-delà de Paris, dans les Préfectures et les Sous-Préfectures, dégageant des objectifs, des propositions de financement et un calendrier. Un tel débat ne doit pas cliver, mais rassembler et ses propositions pourraient être soumises à référendum. N’est-il pas temps finalement de retrouver sur un sujet aussi structurant que l’énergie l’esprit de la planification, cette ardente obligation qui a marqué l’histoire de notre pays ? C’est en tout état de cause ma conviction.

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