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Ratification de l’accord culturel avec l’Azerbaïdjan : n’oublions pas les droits de l’homme ! (22 janvier 2015)

J’étais ce matin l’orateur de mon groupe parlementaire dans le débat de ratification de l’accord entre la France et l’Azerbaïdjan sur la création et les conditions d’activité des instituts culturels français et azerbaïdjanais. J’ai voté cet accord, estimant qu’il consolide juridiquement l’Institut français d’Azerbaïdjan, dont le travail est en outre éminemment précieux au regard du contexte de recul de l’Etat de droit dans le pays. J’ai rappelé combien les Instituts français doivent être des vecteurs d’influence pour la démocratie et les droits de l’homme. J’ai souhaité aussi que ces 10 minutes d’expression soient un hommage et un appel à l’aide en direction des militants des droits de l’homme en Azerbaïdjan, soumis à l’arbitraire d’un régime dont la démocratie est malheureusement une faible préoccupation. Député français, membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, je ne peux me résoudre à ce que, pour des raisons commerciales ou stratégiques, l’on fasse silence sur les violations des droits de l’homme. Car à ne plus protester quand il le faut, c’est son âme que l’on perd.

Voici plus bas le texte et la vidéo de mon intervention.

Pierre-Yves Le Borgn’

Accord sur la création et les conditions d’activité des instituts culturels français et azerbaïdjanais

22 janvier 2015

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Monsieur le Rapporteur, cher Thierry Mariani,

Chers collègues,

L’accord qu’il nous revient d’examiner aujourd’hui aux fins de ratification traite de la création et des conditions d’activité des instituts culturels français et azerbaïdjanais dans l’Etat partenaire. Député des Français de l’étranger, familier des instituts culturels de ma circonscription, je ne peux que soutenir un tel texte, qui consolide en droit le statut de l’Institut français d’Azerbaïdjan, dont je salue ici les personnels et les quelque 500 apprenants. Je vous rejoins, Monsieur le Rapporteur, lorsque vous affirmez qu’il est important pour la France d’être présente en Azerbaïdjan. Je n’ignore pas la richesse de ce pays, notamment en hydrocarbures. Je n’ignore pas les marchés que la France peut et doit y conquérir. Je n’ignore pas davantage la position politique de l’Azerbaïdjan, aussi prudente qu’indépendante, au sein de l’ancien espace soviétique. Votre rapport décrit bien ces réalités-là, importantes dans le contexte international. Il fait en revanche silence sur les droits de l’homme et je le regrette beaucoup. Je vous l’avais dit lors de l’examen en commission en fin d’année passée et je vous le redis ce matin à nouveau en séance.

Un institut culturel, mes chers collègues, n’est pas un endroit neutre, où l’on apprendrait une langue, un vocabulaire, une grammaire, une syntaxe en dehors de tout idéal, de tout cadre de pensée, de tout système de valeurs. Derrière la langue française, il y a une histoire, il y a des convictions, il y a un combat. Derrière la langue française, il y a la liberté, oui, la liberté, tellement malmenée en Azerbaïdjan ces dernières années. Ce n’est pas faire insulte à ce beau et grand pays, à sa culture et à son peuple que de l’affirmer. C’est en revanche encourir l’assurance d’indisposer un régime, un clan dont la relation à la démocratie est à tout le moins distendue. J’assume cette critique. L’Azerbaïdjan est membre du Conseil de l’Europe, la maison européenne du droit. Respecter fidèlement la Convention européenne des droits de l’homme et les arrêts de la Cour de Strasbourg est son obligation. Or quelles conclusions tirer quand la société civile azerbaïdjanaise, le dos au mur, se bat pour ne pas sombrer face aux arrestations arbitraires, aux détentions sans fin, à la violence, à l’intimidation, au harcèlement et aux disparitions forcées ?

Je pense ici à Leyla Yunus, militante des droits de l’homme, dirigeante de l’Institut pour la Paix et la Démocratie, finaliste du Prix Sakharov décerné par le Parlement européen, qui est maintenue en détention depuis des mois sous des motifs fantaisistes et sans le moindre jugement. Tout comme son mari Arif. Leurs seuls torts ? Avoir porté haut et fort la cause des droits de l’homme. Avoir asséné un certain nombre de vérités, qui, à l’évidence, dérangent. Avoir recherché le dialogue avec le voisin arménien, pour dépasser les fractures de l’histoire, les atavismes et les haines recuites, pour construire enfin la paix. Je pense à l’avocat Intigam Aliyev, qui coordonnait les programmes de formation juridique du Conseil de l’Europe à Bakou et avait mené le combat devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Lui également est en détention sans jugement depuis des mois. Je pense à Anar Mammadi, lauréat en septembre 2014 du Prix Vaclav Havel, décerné par l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, qui purge 5 années et demi de prison pour infraction à la législation sur les organisations non-gouvernementales. Je pense enfin à la jeune activiste Gulnara Akhundova, travaillant à Copenhague pour l’organisation non-gouvernementale International Media Support, dont le témoignage bouleversant devant la Commission des affaires juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 30 octobre dernier à Madrid – j’y étais – avait valu à sa mère le 3 novembre à Bakou un interrogatoire musclé et la mise à sac de son domicile en présence de l’enfant de Gulnara Akhundova, une petite fille âgée de 7 ans.

Dans un rapport récent, en date du mois d’octobre 2014, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks, déplorait la détérioration continue de l’Etat de droit et du respect des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme en Azerbaïdjan. Les difficultés sont de plusieurs ordres, touchant en particulier à la liberté d’expression, de réunion et d’association. La liberté d’expression est brimée lorsque se multiplient les procédures contre les journalistes critiques à l’égard du pouvoir. Cela s’étend de plus en plus également aux bloggeurs et personnes actives sur les réseaux sociaux. Ces procédures – il faut le savoir – conduisent en prison. La pénalisation de la diffamation, elle aussi, mène derrière les barreaux les voix dissonantes, malgré les recommandations répétées de la Commission de Venise appelant les autorités azerbaïdjanaises à la dépénalisation de la diffamation, qui est un grand, long et beau combat du Conseil de l’Europe. La liberté d’association est en péril lorsque diverses exigences administratives apparaissent subitement concernant l’enregistrement des organisations non-gouvernementales, leur financement (notamment quand il repose sur des sources étrangères) et leurs rapports d’activité, aboutissant de facto à un assujettissement en vertu du contrôle exercé par le Ministère de la Justice. Enfin, la liberté de manifester est attaquée lorsque de nombreuses manifestations, pourtant pacifiques et bien organisées, sont interdites, que les participants sont arrêtés et parfois même condamnés à de lourdes peines.

 Mes chers collègues, l’on ne peut débattre d’un accord avec l’Azerbaïdjan sans avoir ce contexte-là à l’esprit. Un pays dont tous les défenseurs des droits de l’homme sont en prison, à l’hôpital ou en exil n’est pas un pays qui se porte bien. Un pays dont la récente présidence du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe s’est traduite par une offensive sans précédent dans l’histoire de l’organisation contre la société civile et les droits de l’homme mérite la critique internationale, et notamment celle de la diplomatie parlementaire. Si l’Azerbaïdjan demandait aujourd’hui à nouveau son adhésion au Conseil de l’Europe, un tel bilan se traduirait à l’évidence par un rejet. Certes, je connais et j’accepte les exigences de la Realpolitik. Je ne passe pas cependant la liberté, le droit et les droits par pertes et profits. Car à faire silence sur tout, c’est son âme que l’on perd. C’est parce que j’ai la conviction que le travail d’un institut culturel français est un formidable investissement dans la liberté, l’esprit critique et l’avenir que je voterai la ratification de la convention qui nous est soumise. Non sans avoir saisi l’occasion de ce débat depuis notre Hémicycle pour dire, comme député français et membre de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, ma solidarité avec celles et ceux qui luttent pour un Azerbaïdjan juste et libre. Leur combat est celui des valeurs qui unissent nos démocraties. Il est celui de l’Etat de droit. Il est celui d’une communauté de destins, notre plus belle et notre plus grande richesse : l’Europe.

Je vous remercie.

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