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Sur les réfugiés et sur l’Europe (ou ce qu’il en reste)

Il y a des décisions publiques qui, par l’impuissance et l’absence de vision qu’elles projettent, laissent un profond goût de cendre. C’est le cas du plan européen de renvoi en Turquie de tous les réfugiés arrivés en Grèce, finalisé le 18 mars par les chefs d’Etat et de gouvernement. Faute, des mois durant, de pouvoir articuler la moindre ambition commune, à des années lumières de l’humanisme des pères fondateurs, 28 pays se sont mis d’accord avec un 29ème, en pleine dérive autoritaire, pour lui sous-traiter moyennant finances la gestion de ces réfugiés dont ils ne veulent plus. Face à une crise inédite qui la mettait au défi comme jamais elle ne l’avait été, l’Europe aurait dû être à la hauteur de l’histoire. Elle ne l’a pas été. Là où la solidarité, l’altruisme et l’engagement auraient dû prévaloir, l’indifférence, l’égoïsme, l’électoralisme, la xénophobie et l’islamophobie l’ont finalement emporté.  J’en ai honte pour l’Europe, j’en ai honte comme citoyen.

J’aurais aimé que la France fasse montre ici de leadership. Familier de l’Allemagne et de ses réalités, j’ai vécu cruellement, sur le fond comme sur la forme, la critique publique du Premier ministre à Munich le 13 février à l’encontre de la politique de la Chancelière Angela Merkel sur les réfugiés. Cette critique révélait un criant manque d’humilité et de compréhension. Elle actait également en creux le pas de côté fait par la France sur cette question, comme si elle la concernait moins. Député de la majorité, la solidarité parlementaire voudrait que je taise mes états d’âme et prétende qu’aucun principe, aucune valeur, aucune ambition collective n’ont été sacrifiés. Je ne peux ni ne veux le faire. Depuis le refus par la France à l’automne passé du mécanisme permanent de relocalisation des réfugiés proposé par l’Allemagne, je ne comprends pas la position du gouvernement.

L’Allemagne attendait de ses alliés au sein de l’Union, à commencer par notre pays, un front uni et un partage de l’effort. Elle ne l’a pas obtenu. La position de la Chancelière l’été dernier, si elle a pu surprendre ceux qui ne connaissent plus l’Allemagne, représentait le meilleur de l’Europe. Il aurait fallu la soutenir, bâtir sur ce mouvement, forcer le destin au lieu de choisir de regarder ailleurs. Il n’en fut rien. Entre sommets inutiles et décisions inappliquées, l’Europe s’est perdue. Peu à peu, les frontières intérieures ont fermé. Peu à peu, divers propos navrants ou révoltants ont pu être tenus par certaines capitales, sans  que cela ne choque ni n’inquiète plus vraiment. D’autant que toutes les familles politiques étaient servies : au PPE et à la droite, les débordements et délires de Viktor Orban, au PSE et à la gauche, ceux de Robert Fico. La Chancelière en a tiré ses conclusions, négociant avec la Turquie, sans la Commission européenne, sans la France malheureusement.

Ainsi, depuis dimanche, les réfugiés arrivant en Grèce peuvent être refoulés. Et pour un réfugié refoulé, un autre, resté en Turquie, pourra être envoyé vers l’Etat de son choix en Europe, dans les limites de 72.000 personnes. En retour de son engagement, la Turquie recevra 3 milliards d’Euros supplémentaires pour les camps installés sur son territoire, la promesse de la levée du régime des visas pour les Turcs en Europe d’ici à la fin juin et l’ouverture d’un nouveau chapitre de négociation pour l’adhésion à l’Union européenne. Sait-on au moins si le refoulement de tous les Syriens vers la Turquie est légal au regard du droit d’asile ? Non. A-t-on l’assurance que la Grèce, sans administration digne de ce nom ni moyens financiers suffisants, tiendra le choc ? Pas davantage. A-t-on engagé une réflexion, si ce n’est pas un plan face à la probable apparition de nouvelles voies d’accès à l’Europe via l’Albanie ou la Libye ? Pas vraiment non plus.

Voilà pourquoi l’accord avec la Turquie laisse ce triste goût de cendre. L’Europe fait naufrage. Pour longtemps, sans doute. Aucune difficulté n’a disparu. La crise humanitaire menace plus que jamais. L’échec est là. Il est collectif. Il est le nôtre.

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