Passer au contenu

Trois jours à Chypre (25-27 octobre 2015)

Je me suis rendu les 25-27 octobre à Chypre à l’invitation de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Une réunion décentralisée de la sous-commission de la culture, de la diversité et du patrimoine, dont je suis membre à l’APCE, y était organisée par son président, le député et ancien Ministre chypriote Nicos Nicolaides. Cette réunion était précédée par une journée d’échanges in situ avec différents acteurs locaux dans les villages vinicoles de Limassol, sur la côte sud de l’île, là où un important projet pilote de développement local soutenu par le Conseil de l’Europe a été mis en place depuis quelques années en application des principes de la Convention de Faro sur la valeur du patrimoine culturel pour la société et de la Convention de Florence sur le paysage européen. Découvrir ce premier retour d’expérience sur un projet liant la préservation du patrimoine au développement économique et humain était important pour moi. Tout comme l’était plus largement la découverte de Chypre, troisième île de la Méditerranée après la Sicile et la Sardaigne, Etat membre de l’Union européenne occupé depuis plus de 40 ans dans sa partie nord par la Turquie voisine sans qu’aucune perspective immédiate de résolution du conflit ne se dessine.

A Limassol, j’ai rencontré l’Ambassadeur de France Jean-Luc Florent. Le regard de l’Ambassadeur, en poste depuis 2012, m’a été utile pour bien comprendre l’évolution récente de l’île. L’Ambassadeur Florent, en 3 années, aura suivi, entre autres, la présidence chypriote de l’Union européenne et la crise financière qui, en 2013, conduisit à l’adoption d’un plan d’assistance de 10 milliards d’Euros de l’Union européenne et du FMI en retour d’un programme de consolidation des finances publiques et de réformes structurelles rendu nécessaire par la forte exposition des banques chypriotes à la dette grecque et de lourds déficits des comptes publics. L’exécution du programme s’avère positive, ce que m’ont confirmé plusieurs députés chypriotes, de la majorité comme de l’opposition, rencontrés durant ce voyage, mais le niveau de chômage reste encore élevé, en particulier chez les jeunes. Surtout, les discussions inter-chypriotes visant à la réunification de l’île ne progressent pas. La création d’une fédération bizonale et bicommunautaire, avec égalité politique, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies apparaît malheureusement plus que jamais lointaine.

La République de Chypre, Etat souverain, reconnu par la communauté internationale voit le contrôle de quelque 43% de son territoire lui échapper. 37% de celui-ci est occupé par la Turquie dans le nord de l’île. Dans la zone occupée vivent près de 260 000 personnes, parmi lesquelles 120 000 colons venus depuis l’invasion d’Anatolie, plus nombreux désormais que les Chypriotes turcs, et 40 000 soldats turcs, déployés largement sur la zone tampon de 180 kilomètres de long avec le sud de l’île. La zone tampon elle-même, dont la largeur va de quelques mètres dans la capitale Nicosie à 7 kilomètres dans des zones rurales, est contrôlée par les Nations unies. Elle représente 3% du territoire de l’île. Comme également les deux bases souveraines maintenues par le Royaume-Uni sur la côte sud depuis l’indépendance. Difficile pour les Chypriotes, grecs et turcs, de s’inventer un futur dans ces conditions. En 2004, le projet de règlement présenté par le Secrétaire-général des Nations Unies Kofi Annan avait été rejeté largement par référendum par les Chypriotes grecs car il écartait une réunification immédiate de l’île. Il avait obtenu en revanche l’approbation des Chypriotes turcs.

Dans ce contexte, le Conseil de l’Europe et en particulier son Assemblée Parlementaire jouent un rôle utile, quoique discret, pour tenter de renouer les fils parfois ténus du dialogue et de la réconciliation. Ainsi siège à l’APCE un représentant du parlement élu dans la zone occupée par la Turquie. Ce parlementaire a participé activement à nos échanges à Limassol. Par ailleurs, l’un des villages vinicoles de Limassol engagés dans le projet pilote de développement local est un village chypriote turc. Je connais l’engagement de chacun de mes collègues chypriotes, tous actifs à l’APCE, notamment Nicos Nicolaides et Athina Kiriakidou, dont je suis les travaux en matière de migrations. Leur volonté, politique comme personnelle, fait chaud au cœur. L’une des chances de l’île, y compris pour sa réunification, est qu’elle est l’un des plus beaux creusets du patrimoine et de l’histoire européenne. Or, le travail sur l’héritage culturel, sa préservation et le lien à établir avec le développement économique et humain permet précisément de dépasser les divisions. C’est l’un des enseignements que je retire de la visite des villages vinicoles et des conversations avec les habitants et élus locaux. Ce projet pilote, qui unit 15 villages de moyenne montagne entourés de terrasses de pierres sèches, a libéré la parole et les énergies. Il sort peu à peu de la désertification des territoires dont les traditions et les paysages sont pourtant riches. Une telle dynamique doit être prolongée, notamment par l’investissement privé et le secteur bancaire.

Le concept des projets pilotes de développement local m’a séduit. Nous avons pu durant la réunion de la sous-commission découvrir deux autres projets, l’un dans l’île de Cres (la plus grande île de la côte croate) et l’autre dans la région de Debar et Reka, en Macédoine. Cette mobilisation bottom up, qui existe parce que les communautés se fédèrent localement, gagnerait à être partagée largement en Europe. Le Conseil de l’Europe l’a pour l’instant circonscrite à l’Europe du sud-est et bientôt au Caucase. Je crois que les projets pilotes peuvent représenter un modèle pour toutes les régions du continent, fortes d’un patrimoine culturel et naturel important, et confrontées à l’exode de leur jeunesse. Je pense par exemple aux îles de mon Finistère natal que sont Ouessant, Molène et Sein. C’est à la fois l’identité et la valeur des territoires qu’il faut protéger, non pour en faire des musées ou des lieux de nostalgie, mais pour identifier ce en quoi les savoir-faire traditionnels peuvent conduire à de nouvelles formes d’activités économiques et de tourisme en lien avec l’identité locale. Des échanges dans le village vinicole de Vouni ainsi que durant la réunion de la sous-commission, je retire l’enseignement que le patrimoine est un facteur important, si ce n’est même le facteur central pour le développement durable des territoires.

D’autres questions ont également été débattues par la sous-commission. Sur le patrimoine menacé en Europe, nous avons souligné l’urgence qu’il y a pour les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait de signer et ratifier les Conventions de Faro et de Florence. Il est important que les Etats membres mettent en place un recensement du patrimoine menacé et définissent les priorités conduisant à le préserver. Cette absence de travail de recensement est préjudiciable. Le souci de protection du patrimoine doit s’inscrire dans toutes les politiques, tant à l’échelon national que régional et local. La sous-commission a souhaité qu’une stratégie européenne du patrimoine pour le XXIème siècle, exprimée par la Déclaration de Namur en avril de cette année, donne lieu à un travail sur la place et le rôle du patrimoine. Nous avons également marqué comme priorité d’action pour le Conseil de l’Europe et ses Etats membres la lutte contre le trafic illicite de biens culturels, qui constitue une perte souvent irréparable pour l’humanité et représente une part sans cesse croissante de financement du terrorisme. L’une des idées de la sous-commission serait de promouvoir une perspective conventionnelle permettant la répression pénale du trafic illicite de biens culturels, peut-être par un amendement à la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme.

L’engagement culturel sous toutes ses formes est un combat pour la démocratie, la diversité et la paix. Il ne faut jamais le perdre de vue, surtout en temps de rigueur budgétaire. La politique culturelle extérieure est une exigence, non un luxe. Je veux saluer la présence culturelle de notre pays à Chypre. Elle repose sur l’Institut français à Nicosie, deux Alliances à Limassol et Paphos et surtout le Lycée franco-chypriote, né en 2012 à partir de la petite Ecole française Arthur-Rimbaud. Le Lycée compte aujourd’hui près de 250 élèves, de la maternelle au lycée. Il assure la pérennité de notre réseau francophone et francophile sur l’île. On estime ce réseau à 62 000 personnes, parmi lesquelles quelque 500 professeurs de français. Environ 1 500 compatriotes sont installés à Chypre. Au regard des enjeux politiques de l’île, de sa place géostratégique dans l’est de la Méditerranée et des perspectives économiques (recherche de gisements gaziers et pétroliers offshore, investissements français dans les aéroports de Larnaca et Paphos), notre présence culturelle constitue un atout précieux. Merci à tous ceux qui, dirigeants, enseignants et élèves, jeunes et moins jeunes, Français, Chypriotes et amis d’autres nationalités la font vivre avec passion.

Laisser un commentaire