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Une loi de circonstances

Les lois de circonstance et l’Etat de droit ne vont pas bien ensemble. Ces lois relèvent du registre de l’émotion, du calcul politique aussi et bien peu de l’efficacité de l’action publique.

Nicolas Sarkozy est depuis longtemps un adepte de cette méthode : un problème, une loi !Montrer que l’on agit, surfer sur la vague, s’agiter toujours. Quant aux résultats de la loi, oublions : circulez, il n’y a rien ou presque à voir.

La question soulevée par le port du voile intégral sur le territoire de la République est importante. C’est une atteinte à la dignité de la femme. C’est aussi l’expression d’un radicalisme que nous ne pouvons en aucun cas tolérer. La loi annoncée hier par Nicolas Sarkozy pour interdire le port de la burqa sera-t-elle de nature à éteindre le phénomène ?

Il faut malheureusement redouter que non. Comment pourra-t-elle être mise en application dans les faits ? Cette initiative a en outre toute chance d’être perçue comme une stigmatisation par la communauté musulmane. Tenter ainsi de se refaire la cerise électorale après la déroute des régionales est une exploitation malheureuse et populiste d’un problème qui requiert au contraire recul, consensus et surtout respect de l’Etat de droit.

Le Conseil d’Etat, saisi par François Fillon, avait rejeté dans son avis en date du 30 mars l’option d’une interdiction générale, fragile au regard des principes généraux du droit. Seul sans doute le critère de la menace pour la sécurité publique pourrait légitimer l’interdiction totale sans se heurter au principe d’égalité, au principe d’autonomie personnelle et tout au bout au principe de proportionnalité.

Mais est-ce ainsi, en fondant précisément la loi sur la menace pour la sécurité publique, que l’on agira utilement ? N’existe-il pas déjà, dans l’arsenal législatif et réglementaire de notre pays, une série de dispositions, notamment sur l’interdiction de la dissimulation du visage, qu’il faudrait rassembler et activer? C’était l’une des recommandations du Conseil d’Etat. Elle est bienvenue.

Une autre proposition était de définir précisément, par la loi, les lieux où une interdiction du port du voile intégral pourrait être posée : services publics bien sûr, mais aussi transports et commerces. Dans ce cadre, le dialogue et l’échange, préalables nécessaires à l’action publique, sont essentiels et manquent singulièrement dans la démarche du Gouvernement.

Nicolas Sarkozy a fait hier le choix de l’épreuve de force et de l’intimidation. Comment imaginer en effet que le Conseil d’Etat, obligatoirement consulté sur les projets de loi, rendra en mai un avis différent de celui de janvier ? C’est d’ailleurs à ce titre que Jean-François Copé privilégiait à l’origine la proposition de loi, non-soumise à la même obligation de passage devant le Conseil d’Etat.

S’il ne fait pas grand doute que la majorité UMP, tout au retour à ses « fondamentaux », votera comme un seul homme la loi au Parlement, qu’en adviendra-t-il ensuite au Conseil Constitutionnel ?

Un sujet aussi important pour l’avenir de notre pays que la lutte contre le communautarisme et l’intégrisme ne mérite pas, par le fait d’un calcul politique douteux, d’être caricaturé, relégué, déclassé dans son acuité en raison de la censure probable d’un texte de loi juridiquement faible par le Conseil Constitutionnel.

Il y a matière au contraire à élever le débat, à rassembler, à se garder de toute crispation, dans le strict respect des principes de la République, en évitant ici plus que sur d’autres textes encore la prise de risques juridiques. Le meilleur cadre, c’est quand le droit est incontestable, incontesté et appliqué.

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