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La France, l’Allemagne et l’Europe

J’étais le vendredi 22 mars l’invité de l’assemblée générale des partenariats européens du Land de Rhénanie-Palatinat à Mayence. Le Partnerschaftsverband est l’organisation faîtière rassemblant tous les jumelages et accords liant les communes, institutions, organismes consulaires, associations et écoles de Rhénanie-Palatinat avec les régions partenaires de Bourgogne-Franche-Comté, Oppeln (Pologne) et Mittelböhmen (République tchèque). C’est avec émotion que j’ai retrouvé Mayence, où j’avais vécu entre 2006 et 2012 une magnifique aventure professionnelle, et que j’ai pris la parole dans la belle salle plénière du Landtag, le Parlement régional.

Le Partnerschaftsverband m’avait demandé de m’exprimer sur la France, l’Allemagne et l’Europe. Je suis depuis toujours un ardent défenseur de la cause franco-allemande pour l’Europe. Nos deux pays ont des visions différentes du projet européen et souvent aussi des intérêts divergents. Pour autant, ils ont su depuis une cinquantaine d’années rassembler stratégiquement ces différences pour dégager des compromis qui ont bénéficié au projet européen. Nombre d’étapes décisives de la construction de l’Europe sont venues en effet d’une initiative franco-allemande, pensée entre Paris et Bonn/Berlin ou imposée par les circonstances.

L’âge d’or de la relation franco-allemande et de son impact sur la construction de l’Europe est cependant derrière nous. Le monde et l’Europe ont changé, nos deux pays également. Les leaders ne sont plus les mêmes non plus. Des occasions ont été manquées de part et d’autre, par maladresse ou indifférence, de faire avancer l’Europe (propositions Lammers-Schaüble, Fischer ou plus récemment Macron). Le danger est aujourd’hui de voir se développer en France et en Allemagne une série d’initiatives pour l’Europe intéressantes en soi, mais sans résonance réelle auprès du gouvernement partenaire et donc sans grande chance de traduction concrète.

Des propositions ont été faites par le Président Emmanuel Macron dans son discours de la Sorbonne en septembre 2017 et plus récemment dans sa tribune publiée en mars 2019. Elles ont reçu un accueil prudent en Allemagne. Pour autant, le Traité d’Aix-la-Chapelle de janvier dernier, prolongeant le Traité de l’Elysée de 1963, place à juste titre la convergence au cœur de la relation de nos deux pays. Une Assemblée parlementaire franco-allemande a été créée, qui pourra relayer utilement les initiatives et attentes de la société civile. Un cadre existe ainsi, au sein duquel la volonté de travailler ensemble pourra utilement trouver matière.

Pour cela, il faut à Paris et Berlin relancer le dialogue différemment, discrètement, attentivement et régulièrement, dans le respect du partenaire, de ses rythmes et de ses contraintes. Ce sont beaucoup d’habitudes, de conformisme et une bonne part de scepticisme aussi qu’il faut vouloir bousculer. La perception qu’existe un décalage d’ambition entre la volonté française de défendre la souveraineté européenne et l’approche allemande consistant à « faire l’Europe comme il faut » peut inquiéter. Dans ce contexte, les Parlements devront en particulier jouer un rôle utile pour renouer les fils de la relation franco-allemande pour l’Europe.

Vous trouverez plus bas les principaux éléments de la version française de mon discours à Mayence (donné en allemand).

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La France, l’Allemagne et l’Europe

Mayence, le 22 mars 2019

Mesdames et Messieurs,

Chers amis du Partnerschaftsverband Rheinland-Pfalz/4er-Netzwerk,

Je vous remercie pour l’invitation que vous m’avez adressée de m’exprimer aujourd’hui devant vous au Landtag de Rhénanie-Palatinat. J’en suis très touché. Mayence est une ville importante pour moi. Durant 6 ans, j’y ai passé beaucoup de temps. Le siège de ma société s’y trouvait. Ce fut une merveilleuse aventure industrielle dans le domaine de l’énergie solaire. Et aussi une superbe aventure humaine au contact de collègues qui, pour beaucoup, sont devenus depuis lors des amis.

C’est la vie politique française qui m’a éloigné de Mayence. En 2012, j’ai été élu député en France. Je suis revenu régulièrement dans votre ville en cette qualité durant les 5 années de mon mandat. J’avais besoin de retrouver la ville, le Land, leur énergie, leur générosité, leur engagement européen. J’avais besoin aussi de retrouver les habitants de Mayence, français comme allemands.

J’ai été député, je ne le suis plus. C’est la démocratie et c’est la vie. J’ai été un homme d’entreprise, puis un parlementaire. Je suis aujourd’hui un simple citoyen, libre de sa parole et de ses initiatives. L’Allemagne a été au cœur de toutes mes vies successives. J’aime l’Allemagne, toute l’Allemagne. Je vois l’Allemagne comme une amie, pas comme un modèle. Il y a des choix qui se conçoivent en Allemagne au regard de la culture et de l’histoire et pas en France. Et l’inverse est vrai aussi.

Plus que tout, je sais que la rencontre utile des différences françaises et allemandes est non seulement nécessaire pour nos deux pays, mais constitue aussi le moteur déterminant pour la construction de l’Europe. La relation franco-allemande n’est cependant plus aussi vive et constructive qu’à certaines époques et il est nécessaire de retrouver à Paris comme à Berlin l’envie d’agir décisivement ensemble, par-delà les discours et les tribunes.

La France et l’Allemagne ont des visions différentes du projet européen

Les images de l’amitié franco-allemande pourraient laisser à penser que nous partageons les mêmes ambitions européennes. Ce n’est pourtant pas objectivement la réalité. Nos deux pays ont fait dans les années 1950 le choix du projet européen pour des raisons différentes. A Paris, l’idée a longtemps été – et elle le reste encore – que l’Europe, ce devait être nécessairement la France en grand. Alors qu’à Berlin, l’objectif était avant tout de retrouver une place dans la communauté internationale.

Cette différence de vision s’exprime aussi sur le mode de fonctionnement de l’Europe. Pour la France, il s’agit de faire prévaloir le rôle du Conseil européen et donc des Etats membres sur les institutions supranationales comme la Commission européenne et le Parlement européen. En Allemagne, c’est au contraire la logique fédéraliste qui domine avec le renforcement des pouvoirs du Parlement européen et de la Commission européenne.

La France et l’Allemagne n’ont pas non plus développé les mêmes positions sur les frontières de l’Union européenne. Jusqu’où doit aller l’Europe ? La France a toujours été prudente sur les élargissements, en particulier vers l’Est. L’Allemagne, à l’inverse, a défendu depuis 1957 l’idée d’une Europe largement définie. Elle y avait intérêt économiquement. S’y rajoutait la perception de sa responsabilité historique à l’égard des pays est-européens.

Les conceptions économiques divergentes de l’Allemagne et de la France ont un impact dans le domaine européen. La France est un pays dans lequel le rôle de l’Etat dans l’économie est central. C’est cela qui rend la relation de l’économie française avec les règles du marché européen souvent difficile. En Allemagne, l’Etat pose des règles pour la vie économique et laisse ensuite à des autorités indépendantes le soin de les faire respecter.

La gouvernance de la zone Euro est aussi source de désaccord. Lors de la création de l’Union économique et monétaire, il allait de soi pour l’Allemagne que l’abandon du Deutschmark s’accompagnerait de la reprise par la Banque centrale européenne des règles de gestion rigoureuse de la monnaie suivies par la Bundesbank. Pour les Français, déjà peu à l’aise avec l’idée d’indépendance de la Banque centrale, la monnaie unique devait au contraire s’accompagner de la mise en place d’un gouvernement économique.

Ce désaccord perdure toujours, même si la situation en Grèce, puis la détérioration générale des finances publiques consécutive à la crise économique et financière de 2008-2009 ont fait bouger les lignes: Berlin a accepté un début de gouvernance économique de la zone Euro et Paris la mise en place d’une politique de maîtrise des déficits.

La question des Eurobonds est l’expression symbolique de toutes ces différences. Il ne saurait être question pour l’Allemagne de communautarisation des dettes nationales. L’Allemagne estime que la différence de taux d’intérêt entre Etats les plus solides et les autres reste la meilleure manière de forcer ces Etats à conduire les réformes nécessaires. A l’inverse, la France défend régulièrement l’idée des Eurobonds au nom de la solidarité européenne.

Comment la relation franco-allemande a-t-elle pu être utile à l’Europe en dépit ou à cause de ces différences ?

Avoir des visions différentes et souvent aussi des intérêts divergents peut être un atout dès lors que l’antagonisme initial est considéré comme productif, pour reprendre l’expression de Cécile Calla et Claire Demesmay dans leur livre « Que reste-t-il du couple franco-allemand ? », distingué par le prix parlementaire franco-allemand en 2016. Le rassemblement stratégique des différences est le secret du moteur franco-allemand pour l’Europe.

Ces différences permettent à la France et à l’Allemagne de représenter largement la variété des positions et intérêts des Etats membres de l’Union. Encore faut-il qu’existe la volonté de les dépasser par la recherche d’un compromis et que le contexte européen s’y prête.

C’est sous les mandats de Valéry Giscard d’Estaing et d’Helmut Schmidt que la relation franco-allemande a commencé à entrainer l’intégration européenne par la création du Système Monétaire Européen et l’élection du Parlement européen au suffrage universel. Elle s’est poursuivie sous les mandats du Président Mitterrand et du Chancelier Kohl avec l’Acte unique et le Traité de Maastricht avant de décliner du milieu des années 1990 jusqu’à la crise des dettes souveraines en 2008-2009, qui força le Président Sarkozy et la Chancelière Merkel sous la pression des circonstances à des ajustements souvent hardis et décisifs pour l’Union.

Comment fonctionne le couple franco-allemand dans la sphère européenne ? Il recherche le compromis sur de multiples sujets par des discussions régulières en amont des débats et décisions européennes. Pour y parvenir, il faut de part et d’autre à Paris et à Berlin la volonté de s’élever au-delà des désaccords pour les replacer dans un cadre plus large, combinant dans un package deal plusieurs sujets distincts nourrissant des différences et prenant également en compte les attentes des autres Etats membres.

Lorsqu’une proposition franco-allemande n’est en revanche qu’une simple coalition d’intérêts, elle échoue. L’expérience en a été faite sous les mandats de Jacques Chirac et de Gerhard Schröder, lorsque la France et l’Allemagne s’entendirent pour assouplir le Pacte de stabilité et de croissance non dans l’intérêt de l’Union, mais des seules économies française et allemande.

La plupart du temps, les compromis franco-allemands conduisent à des avancées européennes. Pourquoi ? Parce que, outre la volonté d’agir, il ne peut y avoir d’accord européen sans le soutien de la France et de l’Allemagne, qui disposent d’une capacité de blocage par la pondération des votes au Conseil.

Définir un compromis, c’est faire des concessions de part et d’autre. Lors de la crise des dettes souveraines, Nicolas Sarkozy obtint la création du Fonds européen de stabilité financière et l’autorisation pour la Banque centrale européenne de racheter de manière illimitée les titres de dette des Etats membres de la zone Euro les plus fragilisés. Ce fut un réel exercice de solidarité financière, en particulier avec la Grèce, défini en amont par un accord franco-allemand reposant sur des concessions réciproques.

En retour, l’Allemagne obtint le renforcement de la discipline budgétaire, soumise à un contrôle européen appuyé en vertu du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance en Europe (TSCG) de mars 2012. Comme député, j’ai voté pour la ratification de ce Traité par conviction européenne et franco-allemande. Ce Traité était le fruit d’un accord franco-allemand construit dans des circonstances très difficiles et il était impensable pour moi de ne pas le soutenir.

Nouveaux défis et occasions manquées

Les compromis franco-allemands sont précieux, mais ils requièrent de longues préparations. Or, l’accélération des crises et leur instantanéité, obligeant à une réaction rapide, peuvent mettre à mal ce modèle de fonctionnement. La leçon à tirer pour éviter toute contradiction, c’est qu’il faut développer entre la France et l’Allemagne une capacité de réponse rapide et donc resserrer plus encore les liens entre les deux gouvernements en matière européenne.

Pour que la relation franco-allemande continue d’irriguer de manière décisive le débat et les décisions, une autre condition est nécessaire : l’équilibre entre les deux pays. L’Agenda 2010 du Chancelier Gerhard Schröder a permis à l’économie allemande de retrouver sa compétitivité et aux entreprises allemandes de conquérir de nouveaux marchés. A l’inverse, la France pâtit de difficultés économiques et sociales lourdes liées à la désindustrialisation de son territoire sans parvenir à y apporter de réponses à la dimension de ce que fut l’Agenda 2010.

Cette situation laisse entrevoir un décrochage par rapport à l’Allemagne, préjudiciable à la France et aussi à la capacité du tandem franco-allemand de conserver un rôle-clé dans la construction européenne. Les réformes économiques et sociales à conduire en France sont une condition essentielle du crédit de la France au sein de l’Union et de la capacité de la relation franco-allemande de retrouver l’équilibre nécessaire pour jouer son rôle européen.

Le message s’adresse donc d’abord à la France. Mais il n’épargne pas non plus l’Allemagne. La pérennité de la prospérité économique allemande dépend largement d’un marché unique dynamique. Et l’accumulation d’excédents commerciaux n’y conduit pas nécessairement. Pour qu’il y ait marché, encore faut-il en effet que les clients aient les moyens d’acheter et que la demande intérieure ne soit pas anémiée. L’Allemagne doit prendre conscience des dangers pour le marché unique et pour la croissance de ses excédents budgétaires.

La France et à un degré moindre l’Allemagne ont besoin de faire un travail sur elles-mêmes pour redonner à leur relation une force motrice en Europe. Ce qui requiert que la France et l’Allemagne sachent s’ouvrir à d’autres Etats, a fortiori dans le contexte du Brexit. Cela vaut à la fois pour prendre en compte des positions ou intérêts que ni l’un ni l’autre ne couvriraient et pour construire arithmétiquement les majorités nécessaires. C’est d’autant plus difficile que les premiers pays auxquels l’on pourrait songer sont dirigés par des forces hostiles à l’Union européenne (Italie, Pologne) ou par des gouvernements faibles et minoritaires (Espagne).

L’erreur de François Hollande fut, au début de son mandat en 2012, de tenter non d’élargir la relation franco-allemande à d’autres pays, mais de donner l’impression de vouloir remettre en cause le caractère privilégié de cette relation par d’autres partenariats, notamment avec l’Italie et l’Espagne. Le caractère ambigu de ces initiatives créa une incompréhension en Allemagne.

L’Allemagne n’a cependant aucun intérêt à se désengager de la relation avec la France. Elle ne peut seule assumer le leadership européen. Il lui faut un partenaire qui exprime la part des intérêts et positions qu’elle ne peut porter. L’Allemagne a besoin de la France pour faire le pont vers les pays du Sud de l’Europe. Le leadership allemand doit être partagé pour pouvoir s’exercer et être acceptable et les autorités allemandes le savent.

C’est pour cela qu’aucune occasion ne peut être manquée de coordonner les visions française et allemande de l’Europe. Or, des occasions manquées, il y en a eu : pas de réponse française aux propositions Schaüble-Lamers sur un noyau dur européen (1995) et Fischer (2000) sur l’Europe fédérale, réponse tardive et frileuse de l’Allemagne aux propositions du Président Macron sur la relance de l’Europe par l’Eurogroupe (2018). Il ne faut pas que l’Allemagne ou la France néglige leur partenaire, voire l’isole sur la scène européenne, que ce soit par lassitude ou par volonté.

Pour cette raison, la recherche d’une relation dynamique franco-allemande pour l’Europe est incontournable. La France et l’Allemagne doivent poursuivre leur coopération bilatérale au service de l’Europe, en ouvrant cette concertation de manière flexible à d’autres pays. Alors que la désintégration de l’Union européenne est à l’agenda de plusieurs forces politiques et gouvernements de l’Union européenne, le moment ne doit pas être pour la France et l’Allemagne au repli, mais bien au contraire au sursaut et à l’action.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

La relation franco-allemande est loin des promesses que le discours d’Emmanuel Macron sur la souveraineté européenne à la Sorbonne en septembre 2017 avait laissé entrevoir. Le Président Macron avait esquissé une cinquantaine de propositions concrètes sur l’avenir de la zone Euro, l’environnement, le climat, la politique migratoire, l’industrie, le numérique ou la jeunesse. Ce ton et une part de ces propositions sont apparus de nouveau dans la tribune publiée par le Président dans plusieurs journaux européens en mars 2019.

L’Europe a besoin de tels discours fondateurs. Il faut que des expressions de volonté et d’idéal déchirent de temps à autre la grisaille de la vie quotidienne européenne. Mais pour qu’elles aboutissent, encore faut-il qu’elles soient préparées, coordonnées en amont avec le pays partenaire, de sorte que ce dernier ait déjà le temps de commencer à préparer une réponse et que cette réponse ait valeur de rebond pour faire avancer à l’échelle européenne tout ou partie des propositions faites. C’est ce qui a manqué après le discours de la Sorbonne.

Qui blâmer ? L’Allemagne, puisque la Chancelière n’a réagi qu’en juin 2018 à des propositions faites en septembre 2017. Mais elle était contrainte à l’automne 2017 par la campagne des élections au Bundestag, puis jusqu’au début 2018 par la difficulté de mise en place de la coalition gouvernementale. Sans doute faut-il aussi blâmer la France. La volonté n’exclut pas en effet de tenir compte des rythmes et contraintes du partenaire. Le même scénario se reproduit avec la récente tribune du Président Macron, l’absence de réponse du gouvernement allemand et la réponse partisane d’Annegret Kramp-Karrenbauer, la Présidente de la CDU.

Le Président Macron souhaitait la mise en place d’un gouvernement économique de la zone Euro. Il souhaitait qu’un budget de la zone Euro à hauteur de plusieurs points de PIB soit établi et exécuté sous le contrôle d’un Parlement de la zone Euro. La Chancelière a certes reconnu les mérites d’un budget d’investissement de la zone Euro, mais à la hauteur d’un montant bien inférieur à celui envisagé par le Président Macron. La question a été précisée en fin d’année par les Ministres de l’Economie Olaf Scholz et Bruno Le Maire. Ce budget sera consacré à la convergence entre économies et au financement des réformes, une priorité allemande.

Les précautions et prudences qui ont ponctué l’année 2018 ont largement eu raison des propositions du discours de la Sorbonne. Elles ont donné le temps et la matière au noyau dur de petits pays d’Europe du Nord, en particulier les Pays-Bas et la Finlande, d’opposer un contre-feu à l’idée d’un besoin supplémentaire de solidarité intra-européenne. De sorte qu’il est permis d’y voir une nouvelle occasion manquée.

Rares sont les propositions du discours de la Sorbonne qui ont rencontré l’approbation allemande. La Chancelière s’est prononcée en faveur de la transformation du Mécanisme européen de solidarité en Fonds monétaire européen. Elle soutient l’idée d’une agence européenne des migrations et de l’harmonisation du droit d’asile. De même que l’initiative d’intervention européenne en matière de défense et de sécurité.

Pour le reste, la taxe GAFA à l’échelle européenne n’a pas vu le jour. Pas davantage que la taxe sur les transactions financières ou la taxe sur le carbone aux frontières de l’Europe. Sur ces sujets, Paris et Berlin ont donné l’impression davantage de s’affronter que de rechercher une solution qui aurait permis de rassembler sur une base minimale la plupart des points de vue et des intérêts des Etats membres de l’Union.

Il y a tant de chantiers urgents qu’il faut pourtant que l’Europe relève. La crise climatique et l’urgence écologique en sont un. Il commande de hâter la transition vers une économie décarbonée par l’investissement dans l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, les technologies de stockage et l’éco-mobilité. La crise migratoire est un autre chantier. Il faut construire avec le continent africain un partenariat inédit, qui lie le développement économique et la gestion des flux migratoires.

Et il y a aussi le chantier de la nouvelle économie, qui requiert que l’Europe agisse en matière d’intelligence artificielle et de cybersécurité. Sans oublier l’action extérieure et la sécurité de l’Union européenne face à la crise du multilatéralisme, à l’isolationnisme de l’administration Trump, à l’expansionnisme de la Russie et à la menace du terrorisme islamiste.

A Aix-la-Chapelle au mois de janvier, la France et l’Allemagne se sont unis par un nouveau Traité. Cette étape, prolongeant le Traité de l’Elysée de 1963, est louable. Il fallait passer d’une logique de réconciliation à une logique de convergence. Rien de ce qui apparaît dans le Traité d’Aix-la-Chapelle n’est surprenant. Le lien entre les deux pays sera renforcé et c’est heureux.

Mais il y a une chose qu’aucun Traité ne peut définir, ni imposer : c’est l’état d’esprit et c’est la volonté. Or, là est précisément le premier défi qui se pose à la France et à l’Allemagne. Alors que la relation franco-allemande pour l’Europe est en retrait, il faut renouer le dialogue constructif, discrètement, attentivement et régulièrement.

Ce ne sont pas les divergences entre la France et l’Allemagne qui doivent inquiéter. Elles sont, y compris à la lumière de la réponse d’Annegret Kramp-Karrenbauer à la tribune du Président Macron, moins importantes que ce que certaines analyses en disent. Ce qui doit inquiéter est en revanche le décalage d’ambition entre la volonté française de défendre la souveraineté européenne et donc une Europe qui protège et l’approche allemande consistant au mieux à « faire l’Europe comme il faut ».

Il faut vouloir bousculer les habitudes et le conformisme. Il faut plus encore vouloir se parler. Le danger serait de développer des propos parallèles sans espérer leur concrétisation sous forme d’actions et de résultats au-delà du seul buzz médiatique à l’approche d’une échéance électorale. Ce serait décevant au regard du rôle historique de la relation franco-allemande et cela mettrait le projet européen à l’arrêt.

Que faire ? J’ai présidé le groupe d’amitié France-Allemagne à l’Assemblée nationale et je crois volontiers en l’initiative parlementaire, en relais de la société civile, pour avancer. Je suis heureux qu’une Assemblée parlementaire franco-allemande ait été créée, mais il ne faut pas qu’elle soit prestement érigée en symbole inutile. Cette Assemblée devra recevoir les moyens de travailler décisivement. Il faudra notamment mettre en place des missions parlementaires franco-allemandes.

Je conserve le rêve de voir la concrétisation et la nomination d’un Ministre franco-allemand, siégeant dans les deux gouvernements, responsable devant les deux parlements, qui soit la cheville ouvrière de l’agenda commun des deux pays pour l’Europe. Cette idée n’est pas nouvelle. C’est l’expérience qui me conduit à la penser désormais nécessaire et réaliste.

Des talents franco-allemands pour l’Europe, en Allemagne comme en France, il y en a beaucoup. La société civile, l’école, l’université sont de formidables creusets. Je voudrais imaginer que les gouvernements à Paris et Berlin ainsi que les formations politiques qui ont vocation à gouverner y puisent les idées, les femmes et les hommes qui redonneront à la relation franco-allemande dans l’action européenne le rôle-clé qui doit rester le sien.

J’avais proposé à la fin de mon mandat de député d’élaborer un droit commun de la famille entre la France et l’Allemagne, qui puisse constituer une base pour d’autres pays d’Europe désireux de s’y joindre. Il existe un régime matrimonial franco-allemand. Etendre ce travail à tout le droit de la famille serait un exemple utile de progrès européen concret.

Relire François Mitterrand

Voilà, Mesdames et Messieurs, les idées que je voulais partager avec vous à Mayence aujourd’hui. Je suis loin désormais de la vie publique, mais la cause franco-allemande et la cause européenne restent chères à mon cœur. Je ne peux d’ailleurs les délier. L’Europe a besoin de nos deux pays, ensemble.

Pour conclure, je voudrais citer un extrait du livre posthume du Président François Mitterrand, intitulé « De la France, de l’Allemagne ». Ce livre a désormais 25 ans, mais je le crois plus que jamais actuel. Voici ce qu’écrivait le Président Mitterrand :

« Je rêve à la prédestination de l’Allemagne et de la France, que la géographie et leur vieille rivalité désignent pour donner le signal de l’Europe. Si elles ont gardé en elles le meilleur de ce que je n’hésite pas à nommer leur instinct de grandeur, elles comprendront qu’il s’agit là d’un projet digne d’elles. Elles auront d’abord à s’en convaincre. La France toujours tentée par le repli sur soi et l’illusion épique de la gloire dans la solitude, l’Allemagne toujours hésitante entre ses vocations, soit nation arrimée à l’union de l’Europe, soit héritière sans le dire d’ambitions impériales. On me dira : c’est une utopie ! Mais qu’est-ce qu’une utopie ? Ou bien c’est une absurdité, et le temps se chargera de nous répondre. Ou bien ce n’est que l’anticipation d’un nouvel état possible. Si se produit un sursaut des volontés, en ce moment unique où tout est possible en Europe, alors l’utopie sera réalité. Et beaucoup d’entre vous la connaîtront ».

Sursaut des volontés, c’est ce à quoi il faut appeler la France et l’Allemagne pour l’Europe. Tout dépend de nous. Tout dépend vraiment de nous.

Merci à vous tous.

Un commentaire

  1. Hélène Cottaz-Palançon

    Merci de vous engager…Hélène Cottaz-Palançon hmitt

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