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Interculturalité, identités et sociétés européennes d’aujourd’hui

J’ai retrouvé hier l’université de Mannheim pour une conférence sur les identités plurielles. J’étais heureux de retrouver Mannheim, la professeure Caroline Mary-Franssen et ses étudiants de romanistique. Lorsque j’étais député, Mannheim était l’une de mes destinations préférées. J’y venais tous les mois d’octobre, souvent dans le cadre de la Semaine française co-organisée avec Heidelberg, pour un discours à l’université sur un thème touchant à l’Allemagne, la France et l’Europe. Un sujet m’était assigné, que je préparais toujours avec le plus grand soin. J’attendais ces visites avec impatience, pour les échanges qui s’annonçaient, motivants et passionnants, et aussi pour les amitiés tissées sur place. Peu à peu, Mannheim avait pris ainsi une place particulière sur ma carte de l’Allemagne et dans mon cœur. Y revenir hier soir, plus de deux ans après avoir quitté la vie publique, c’était renouer le fil de ces rendez-vous et j’en ai été très heureux.

Je suis intervenu sur l’Europe et les identités plurielles. C’est une question qui me touche comme citoyen et comme père d’enfants pluriculturels. Je l’avais suivie lorsque je siégeais à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe. Les identités ont considérablement évolué en Europe ces 30 dernières années, en raison notamment de la liberté de circulation d’un pays à l’autre. Les Européens voyagent bien plus qu’auparavant. Une part croissante d’entre eux choisit même de vivre, d’étudier et de travailler à l’étranger. Les technologies de l’information, Internet et les réseaux sociaux contribuent également à faire tomber les frontières culturelles anciennes. De plus en plus de personnes, notamment parmi les jeunes, ont aujourd’hui une identité multiple nourrie par cette évolution, qui ne se limite plus à l’identité collective d’origine avec laquelle nombre d’Européens un peu plus âgés (dont je suis) avaient grandi. C’est un mouvement heureux et cependant encore incertain.

J’ai la conviction en effet que les différences culturelles peuvent conduire à la crainte si leur rôle dans le développement des identités nationales et l’affermissement de l’identité européenne n’est pas présenté de manière positive. Ce d’autant plus que le souci de préserver les identités culturelles peut aussi épouser un agenda conservateur s’il s’agit d’affirmer une culture par opposition aux autres et d’alimenter ainsi le repli sur soi et le rejet de l’autre. Beaucoup d’initiatives sur la diversité culturelle se sont inscrites dans le multiculturalisme. Elles ont certes permis la reconnaissance de droits, sans faire cependant du multiculturalisme une réussite partagée, faute d’une interaction suffisante entre individus ou communautés. Il faut dépasser ce modèle et agir pour l’interculturalité. Dans la jeunesse et dans l’espace urbain, une normalité interculturelle a pris peu à peu racine et c’est heureux. L’expliquer, la protéger et l’encourager sont autant d’actions nécessaires.

En particulier parce que dépasser les préventions et la peur qui demeure reste encore le premier défi. Qui a peur de l’interculturalité ? Ceux qui restent attachés à leur espace culturel immédiat, qui craignent pour leur emploi, leur identité ou leur langue, mais aussi ceux qui, émigrant vers un autre pays, redoutent de ne pas y être compris, d’être isolés ou de perdre leur identité d’origine. La peur est des deux côtés. La vaincre requiert un engagement résolu des autorités publiques, qu’elles soient locales, nationales ou européennes, pour que nos sociétés aujourd’hui plus diverses qu’elles ne le furent apparaissent comme une chance pour chacun. Cela passe par l’égalité des droits, mais également par l’égalité d’accès à l’éducation et à la culture. L’école est l’une des clés. Il faut faire évoluer les programmes et l’enseignement pour permettre l’apprentissage de l’interculturalité. Il en est de même de la promotion du plurilinguisme et de la mobilité internationale.

Les identités plurielles progressent. L’action, la médiation et l’éducation interculturelles doivent appuyer ce mouvement. Lorsque j’étais député, j’avais été impressionné et même bouleversé par le travail formidable accompli au Kosovo par l’organisation Sport Sans Frontières. Elle faisait jouer ensemble des milliers d’enfants issus de communautés qui se vouaient des haines terribles et multiséculaires. J’avais accompagné les animateurs de Sport Sans Frontières à une rencontre d’enfants dans le sud rural du pays et ce moment-là m’avait beaucoup marqué. Les enfants jouaient, riaient, dépassaient leur identité d’origine, se découvraient, apprenaient les uns des autres par le jeu. Je voyais par la preuve que rien n’était impossible. Ce que j’en avais retenu, c’est qu’il nous faut toujours penser « out of the box » et multiplier les initiatives pour cultiver un espace culturel européen nourri d’appartenances diverses et surtout partagées.

Il faut oser reconnaître le rôle fécond des multiples cultures dans l’affirmation de nos identités individuelles et dans celle de notre identité européenne commune. Et agir pour cela. Voilà le message partagé hier soir avec les étudiants de Mannheim.

Un immense merci à Caroline Mary-Franssen pour son invitation. Et, comme promis, je reviendrai vite sur les bords du Rhin!