Hier soir, l’Assemblée nationale a rejeté les deux motions de censure présentées par les oppositions à la suite du recours à l’article 49.3 de la Constitution par le gouvernement sur le projet de réforme des retraites. A vrai dire, il n’y avait pas grand suspense. La majorité parlementaire est large et solide. Comme le prévoit la Constitution, le projet de loi a été adopté sans vote. La prochaine étape sera la première lecture au Sénat, prévue dans quelques semaines. Je suis favorable à l’instauration d’un système universel de retraite à points par répartition, mais le scénario des derniers jours, comme également celui des derniers mois, me laisse cependant un sentiment de gâchis. Ce qui aurait pu et dû être présenté comme un réel progrès, une vraie garantie pour nombre de Français ne l’a pas été. C’est un tort pour un projet d’une telle ampleur. C’est aussi un enseignement dont il faut vouloir prendre toute la mesure pour l’avenir.
Fallait-il recourir à l’article 49.3 ? Oui, dès lors qu’une trentaine de députés insoumis et communistes avaient décidé de déposer des dizaines de milliers d’amendements inutiles dans une perspective revendiquée d’obstruction parlementaire. L’obstruction est inacceptable et doit être combattue. Ce n’était pas détourner l’article 49.3 que d’y faire appel dans ces circonstances. Cela s’est déjà pratiqué par le passé. Le recours à l’article 49.3 permettait aussi de rester dans les clous du calendrier gouvernemental d’adoption de la réforme d’ici à l’été prochain. Mais rien à vrai dire ne justifiait un calendrier aussi serré pour un texte dont l’application n’interviendra que dans plusieurs années. Il n’est pas sain de débattre sans raison en procédure législative accélérée. Car le danger de légiférer dans la hâte et sous pression, c’est de travailler sur un projet imparfait, incertain juridiquement et à l’étude d’impact allusive. Et c’est de s’exposer au risque d’obstruction.
Que dit de nous ce 49.3 ? Que nous, Français, ne sommes guère capables de construire ensemble une réforme structurante pour les décennies à venir. La réussite d’une réforme requiert son appropriation par la majorité des Français. A l’évidence, nous n’y sommes pas. Trop de verticalité, trop de technocratie, trop de défiance de l’exécutif à l’égard de l’institution parlementaire et de la démocratie sociale, alors même qu’il faudrait travailler avec l’une et l’autre pour réussir la réforme. Trop de conservatisme aussi, avec pour de nombreuses organisations la défense du statu quo comme ultime horizon, par crainte ou par calcul. C’est là que la pédagogie et le dialogue au service du changement font cruellement défaut. L’affrontement, l’invective et la haine l’emportent, trouvant sur les réseaux sociaux un écho maximal. Il s’y dit même que le gouvernement et le Parlement seraient illégitimes à proposer une réforme dès lors qu’elle serait contestée.
J’espère que le système universel de retraite à points par répartition verra le jour. Je souhaite que le débat à venir au Sénat, où l’article 49.3 ne s’applique pas, puisse redonner du lustre à l’échange parlementaire malmené et permette, par un travail attentif, d’étudier les amendements constructifs d’où qu’ils viennent pour leur faire place autant que possible. Il en est de même de la négociation entre partenaires sociaux sur le financement du nouveau système. La responsabilité est collective. Le débat doit apporter toutes les informations nécessaires, poser les différences et permettre éventuellement de les réconcilier. Au printemps 2017, le candidat Emmanuel Macron avait fait campagne, puis gagné l’élection présidentielle avec quelques idées neuves, parmi lesquelles figuraient la bienveillance et la pédagogie dans l’action. Cette dimension-là s’est perdue et il faut en retrouver l’esprit pour l’avenir de la société française.
Toute réforme, celle-ci ou une autre, a besoin d’une démocratie parlementaire forte. Or, on ne peut faire abstraction du sentiment croissant qu’ont les Français de ne pas être suffisamment représentés. Juste ou injuste, ce sentiment est réel et il faut y apporter réponse. Le Parlement doit être réhabilité et même réinventé. La priorité n’est pas de réduire le nombre d’élus, députés et sénateurs, mais de leur donner les moyens d’agir, tant dans la fabrique de la loi que le contrôle de son application. Il faut pouvoir revenir sur l’organisation des élections législatives après l’élection présidentielle, qui a renforcé l’assujettissement du Parlement à l’exécutif. Il faut aussi une évolution du mode de scrutin qui permette une meilleure représentation des forces politiques en proportion des votes obtenus avec un bonus en sièges à celle de ces forces arrivée en tête. La reconquête de la souveraineté parlementaire est l’une des réponses à la crise de notre démocratie.
Il y a une dizaine d’années, un étrange débat avait traversé la vie des idées sur la pertinence de la démocratie participative. On l’opposait volontiers à la démocratie parlementaire. L’une comme l’autre sont nécessaires et n’entrent pas en collision. Mieux, elles se complètent. La démocratie participative est une condition du vivre ensemble. Se sentir représenté, c’est pouvoir utilement se faire entendre. La Convention citoyenne sur le climat qui prendra fin bientôt en offre un bel exemple. Il faudra le multiplier, nationalement et localement, par une évolution de l’organisation du débat public en France. Libérer la parole et favoriser l’échange est dans l’intérêt de la fonction parlementaire et de l’action gouvernementale. C’est aussi ce qu’il faut pour refaire société et retrouver la force de l’aventure collective. C’est tout cela finalement que le 49.3 dit de nous, par-delà les colères : les passions peuvent rassembler et écrire l’avenir.
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Des cartes et des rêves
Il y a bien longtemps, le jour de mes 7 ans, une crise d’appendicite me valut la première hospitalisation de ma vie. A l’époque, le tarif était une bonne semaine loin de la maison. C’était sérieux. J’étais un petit bonhomme sensible et je me souviens encore d’avoir pleuré à chaudes larmes lorsque le médecin appelé par mes parents indiqua qu’il nous faudrait prendre au plus vite le chemin de la clinique. Je ne savais pas ce qui allait m’arriver. Le lendemain matin, après l’opération et la sortie de l’anesthésie, je découvris près de mon lit un cadeau qui allait marquer ma vie : un puzzle de la France par département. Durant ma longue semaine de clinique, je construisis plusieurs fois par jour mon puzzle, apprenant les numéros minéralogiques des départements et le nom des préfectures. Des décennies après, je me souviens encore des couleurs de chacune des pièces et des illustrations qui les accompagnaient, comme la petite bigoudène sur la pièce de mon Finistère natal.
Il y a des cadeaux fondateurs et celui-ci fut l’un des plus beaux de mon enfance. Je l’ai gardé précieusement, veillant à ce qu’aucune pièce ne disparaisse. Quelques mois après, un puzzle de l’Europe apparut à son tour. Il avait moins de pièces, mais il était intriguant. En effet, je découvrais pour la première fois des noms de pays qui m’étaient inconnus et une réalité géographique nouvelle, l’Europe. De mes départements français, je passais les frontières. L’idée de frontière était irréelle pour moi. A Quimper, nous étions à près de 1 000 kilomètres d’elle et je ne l’avais jamais vue. Mon puzzle de l’Europe me fit rêver et voyager sans que je ne le sache. Je découvrais qu’il existait un autre monde, un autre espace que le mien, avec des drapeaux, des capitales, des côtes et des montagnes. J’étais émerveillé. Ce puzzle-là, je l’ai conservé aussi. Lorsque je le retrouve, des décennies après, je me souviens toujours de mes premières émotions d’enfant.
Mon puzzle de l’Europe est devenu collector. Des pays ont disparu et d’autres ont vu le jour. L’histoire est passée par là et le temps avec elle. La semaine passée, ma maman m’a confié un cadeau pour mes enfants : un nouveau puzzle de l’Europe, moderne et au goût du jour. J’étais curieux, rentrant à Bruxelles, d’imaginer ce que serait leur réaction. Leur parlerait-il autant qu’à moi au temps de l’enfance, eux qui passent les frontières depuis leur premier mois de vie ? Sitôt le papier-cadeau déchiré, la boîte s’ouvrit et Marcos, 8 ans, entreprit de construire son Europe sous le regard de son frère et de sa sœur. Je retrouvais le même enthousiasme chez lui, quoique pour des pays plus lointains que ceux qui avaient attiré mon regard. Pour moi, c’était l’Allemagne ou la Belgique. Pour lui, ce sont la Russie et les oursons dessinés sur les pièces, les sapins finlandais et les montagnes de Roumanie. Et des questions, des tas de question sur les îles, les côtes, l’océan, l’Arctique.
D’un jeu, simple et heureux, peut naître une envie, celle de connaître le monde et, un jour, d’aller le voir. Me voilà parti pour beaucoup d’histoires sur l’Irlande, le Portugal, l’Autriche, l’Albanie et tous ces pays qui font l’infinie richesse de l’Europe. Je m’y prêterai avec bonheur. Atlas à l’appui (autre cadeau de Mamie), j’expliquerai, je raconterai, je détaillerai. Comme mes parents surent le faire lorsque j’avais l’âge de mes enfants. Le taureau qui court dans la Mancha, Marcos, Pablo et Mariana le connaissent mieux que moi. Mais le coq de Barcelos, le Colisée de Rome, la Tour de Londres et l’Acropole d’Athènes ? Du boulot m’attend. Je trouverai bien des photos dans mes archives pour illustrer le tout. La vie, en effet, m’a conduit vers chacune des pièces de mon puzzle d’enfance. L’envie, la curiosité et le travail m’ont donné cette chance. A mon tour de la transmettre, une génération après, pour qu’un puzzle continue de construire les cartes et les rêves.
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