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Demain

Il y a quelques jours, j’ai retrouvé la maison après des semaines heureuses en Galice et en Bretagne. Chaque été, lorsque vient le moment du retour, je redoute et en même temps j’attends ce dernier virage, celui qui fait apparaître notre maison à l’issue du voyage. L’esprit est encore en vacances, aux souvenirs, aux échanges familiaux et amicaux de l’été et pourtant la vie quotidienne va bientôt reprendre ses droits. Ce sentiment a cette année un sens plus vif. Les vacances auront été particulières. La crise sanitaire est là. Il a manqué l’insouciance, la légèreté, la quiétude des étés d’avant. Une peur sourde existe en chacun d’entre nous, plus ou moins partagée, plus ou moins avouée. Quand en sortirons-nous ? Ces dernières semaines, les chiffres des autorités de santé publique ont confirmé l’augmentation importante de la circulation du virus, en particulier chez les jeunes, avec le risque en retour qu’ils contaminent les personnes plus âgées, que la maladie menace bien davantage.

Nous allons devoir apprendre à vivre longtemps avec le Covid 19, certainement des mois et donc un nouvel hiver avant qu’un vaccin apparaisse, peut-être au printemps de l’an prochain. Ce sera long. Ce sera dur aussi car, à côté de la crise sanitaire, la crise économique et sociale fera des ravages. C’est maintenant, en cette fin d’été et cet automne, que les faillites et suppressions d’emplois par centaines de milliers vont intervenir inéluctablement. Et rien ne serait pire pour l’économie française qu’un nouveau confinement généralisé, précipité par l’aggravation de la situation sanitaire. Il la ruinerait. L’éviter, c’est prendre conscience de nos responsabilités à chacun : sans vaccin, seuls les gestes barrières et le port du masque permettent de contenir la progression du virus. Ne laissons pas la pandémie faire plus de dégâts qu’elle n’en a déjà fait pour la santé, pour l’économie, pour l’école. Il en tient d’abord à nous, à notre sens du devoir. Se protéger, c’est nous protéger tous.

Pour réussir, la pédagogie dans l’action doit être un souci de tous les instants. La peur, l’angoisse, la colère et malheureusement le complotisme travaillent la société française depuis des mois. Il faut tout partager, mieux partager des informations sur la pandémie et des résultats obtenus (ou non) pour la maîtriser. C’est la responsabilité du gouvernement. Il faut une parole simple, claire, juste et régulière. Elle manque souvent. Une décision n’est efficace que lorsqu’elle est comprise. Pourquoi doit-on porter le masque dans une rue, mais pas dans l’autre ? Comment accepter que tous les festivals de l’été aient été annulés, laissant le monde de la culture dans un état de sinistre avancé, quand 12 000 spectateurs un jour, 9 000 spectateurs un autre, se massent au Puy-du-Fou ? A défaut de justification, le sentiment de « deux poids, deux mesures » prospère et il est ravageur pour la lisibilité de l’action publique, pour son acceptabilité et pour le moral des Français.

La pédagogie requiert l’explication et l’écoute. Tant pour la crise sanitaire que pour la crise économique et sociale. Un effort immense a été annoncé aujourd’hui sous la forme d’un plan de relance de 100 milliards d’Euros, dont 40 milliards provenant de l’Union européenne. Il faut le saluer. Autant d’emplois que possible doivent pouvoir être sauvés, notamment par le recours au chômage partiel et à l’activité partielle de longue durée. Cependant, il faut aussi agir stratégiquement par l’investissement et le développement massif de la formation afin d’aller le plus possible vers des secteurs d’avenir riches en emplois, en particulier pour la transition écologique et énergétique. Le plan de relance ne peut servir à maintenir l’économie française dans la situation d’avant-crise. Paradoxalement, il constitue, dans l’épreuve que nous traversons, une opportunité qui commande de hiérarchiser les priorités. Cela aussi, il est important de l’expliquer et de le justifier.

Il y a un an, il y a même 6 mois encore, jamais nous n’aurions imaginé une telle crise. Elle rebat toutes les cartes de l’action publique, requiert l’engagement européen et international, oblige aussi à reconsidérer des choix politiques antérieurs. Une chose par contre n’a pas changé : c’est le mal-être de la société française, cette peur sourde qu’alimente le sentiment ou la crainte de la relégation sociale, territoriale ou générationnelle. La crise le met désormais à nu. L’explosion peut venir de la coagulation des souffrances. Il faut le savoir. Il faut y répondre, loin de la verticalité d’une gouvernance distante, sur le terrain, par une parole simple et modeste, dans l’action et plus que tout par le résultat. Il s’agit de donner confiance, sans la décréter, en la construisant. Les mois à venir seront décisifs. L’été reviendra, d’autres jours aussi, heureux je le souhaite. J’espère que mon dernier virage l’an prochain sera autre, parce que nous aurons su tourner favorablement la page de cette année sans pareille.