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Le Covid et les droits de l’homme

L’automne a à peine commencé que la seconde vague du Covid nous a déjà rattrapés, conséquence sans doute d’un été vécu trop librement, trop généreusement après le confinement du printemps. La circulation du virus a repris et atteint désormais des proportions préoccupantes, au risque d’engorger bientôt les services d’urgence et de réanimation face à l’afflux de nouveaux malades. A terme, et peut-être pas dans très longtemps, le confinement, partiel ou total, pourrait de nouveau s’imposer. Cette situation est anxiogène pour notre société, travaillée par une peur sourde que renforcent le sentiment d’en savoir si peu sur ce virus et la perspective encore lointaine d’un vaccin. La crise sanitaire que nous traversons est sans précédent à l’échelle d’une vie humaine, d’un siècle et peut-être davantage. Elle fragilise par millions les plus vulnérables : personnes âgées, femmes, enfants, handicapés, minorités, migrants et réfugiés. Elle agit comme le révélateur des inégalités les plus criantes et insupportables de vie et de destins.

Sous l’angle des droits de l’homme, pareille situation est dramatique. Il est question de droit à la vie, de droit à la santé et à la protection sociale, de liberté de circulation aussi. Faute d’accès régulier à l’eau, plus de 2 milliards de femmes, d’hommes et d’enfants dans le monde ne peuvent se laver les mains et sont donc plus exposés au virus. Cette réalité-là, plus près de nous, est déjà celle des sans-logis, massés sous les ponts et dans les lieux les plus sordides de nos pays. La pauvreté est un énorme facteur de risque. Ce sont les plus vulnérables qui souffrent le plus des mesures mises en place pour lutter contre le virus, qu’il s’agisse de la fermeture des écoles ou du confinement des aînés. Que valent l’école à distance ou le télé-travail lorsque l’on n’a ni ordinateur, ni accès à Internet ? Le Covid jette une lumière crue sur l’urgence de mettre en œuvre les droits économiques et sociaux, en particulier la protection sociale et les soins de santé, l’accès au logement, le soutien à la petite enfance et au grand âge, l’éducation et le droit à la connexion.

Le contexte de peur met tristement à mal l’égalité et la non-discrimination. Des propos ignobles et stigmatisants ont été entendus et le sont encore à l’encontre de ceux que l’on soupçonne de véhiculer le virus, des malades mais aussi des soignants, ceux qui se battent pourtant pour nous. Ces soignants que l’on applaudissait aux fenêtres et balcons au printemps sont souvent des femmes, sous-payées et travaillant dans des conditions difficiles. Dans les propos à leur encontre, la xénophobie et le racisme n’étaient pas toujours absents. La crise a malheureusement libéré la parole de haine et les sentiments les plus vils, en particulier à l’égard des réfugiés et des migrants. De rudes réalités ont été occultées. Comment se protéger sans statut, comment retourner chez soi lorsque les frontières ferment, voilà autant de questions qui se posaient et se posent encore. Elles ont conduit nombre de familles migrantes ou réfugiées vers des situations d’extrême précarité en termes de logement et de protection sociale.

Face à la pandémie, des choix ont été faits et des décisions prises, parfois d’une magnitude inégalée. Le confinement a conduit à la fin du printemps à réduire les périls sanitaires du mois d’avril, au prix d’une restriction considérable de la liberté de circulation. Il a été accepté tant bien que mal. Le serait-il encore aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr, notamment si la parole publique est flottante, entre discours cauteleux et choix inexpliqués. C’est un danger immédiat pour l’acceptabilité des décisions à venir et, partant de là, leur efficacité. La transparence et l’échange sont nécessaires. La liberté et l’action de la société civile le sont aussi. Dans certains pays, les états d’urgence sanitaire ont permis aux autorités de réduire la liberté d’expression, de poursuivre ceux qui ne portaient pas la parole « officielle » et parfois de les détenir au mépris de tous les droits. Il s’agit de journalistes, de soignants, de militants et aussi de simples citoyens. L’état d’urgence sanitaire ne peut conduire au recul de la liberté d’expression, des médias, d’information, d’association et de rassemblement.

Derrière tout état d’urgence sanitaire, il doit y avoir un contrôle démocratique. Toute décision doit être prise en droit sur la base de preuves tangibles, hors de tout arbitraire ou discrimination et pour une période de temps limitée. Cette décision doit être proportionnée à l’objectif de protection de la santé publique et empiéter le moins possible sur l’exercice des droits dans une société de liberté et de responsabilité. Le juge doit pouvoir la contrôler. Rien ne serait plus inacceptable et choquant que des mesures d’exception échappant à ces conditions. Ce que l’on peut accepter en situation de crise sanitaire ne peut devenir la norme après la crise. Le recours à l’intelligence artificielle et au big data est certes précieux face au Covid, mais il porte aussi en lui de potentiels dangers en termes de surveillance des citoyens et d’accès aux données personnelles. Il faut pouvoir nous prémunir de toute utilisation de technologies conduisant à des discriminations et à l’intrusion dans la sphère privée de chacun, loin de toute préoccupation sanitaire et d’intérêt général.

Aucune société, aucun projet humain n’a d’avenir hors de la solidarité. Cela commence par le vivre-ensemble, autour de nous et plus loin, à l’échelle nationale comme internationale. Le virus ne s’arrête pas aux frontières. Si un pays échoue dans sa lutte contre le Covid, ce sont tous les autres qui échoueront aussi. Il n’y a d’issue que dans la mobilisation collective et dans le multilatéralisme, que certains chefs d’Etat, en particulier Donald Trump, n’ont pourtant eu de cesse de mettre à mal ces dernières années. Le réveil est particulièrement brutal pour ceux-là qui se défiaient de la solidarité internationale et en faisaient bruyamment commerce politique. Sur le vaccin, les traitements médicaux, l’accès aux technologies et la propriété intellectuelle, il y a à charge des Etats un devoir absolu d’action collective et une obligation de résultat. Personne ne peut ni ne doit l’emporter seul, qu’il s’agisse des acteurs publics ou du monde commercial. Lorsque le vaccin sera disponible, il devra être accessible pour tous, partout et au même moment.

Le jour d’après viendra. Le Covid sera vaincu, espérons-le à horizon de quelques mois seulement. Nous ne reviendrons pas à la vie d’avant, au « business as usual », comme si cette crise sanitaire n’était qu’un épiphénomène. Nous ne le pourrons pas et nous ne le devrons pas. Tant de leçons devront être tirées et apprises. La résilience qu’il nous faut construire commence par le contenu concret à donner aux droits économiques et sociaux, et notamment la protection sociale universelle. Il n’est plus temps d’en parler, il faut la faire. Et les leçons que nous tirerons vaudront bien au-delà de la crise sanitaire, pour la crise climatique par exemple. Dans cette perspective, une lecture fondée sur les droits de l’homme permet d’identifier les priorités et d’agir pour des sociétés plus justes, plus humaines et résilientes. Cette lecture est précieuse. Les droits de l’homme ne sont pas des préoccupations pour temps heureux, prospères et paisibles. Ils sont la condition de la prospérité et de la paix. Les droits de l’homme doivent plus que jamais être notre boussole.

2 commentaires

  1. Votre contribution a le grand mérite de nous rappeler les Droits de l’homme en temps de crise. Surtout, au moment, ou la crise accentue les inégalités dans tous les domaines, on a tendance à oublier que la crise frappe si durement surtout les démunis sans parler de la destruction de tant d’existences. De cette manière votre article est beaucoup plus qu’un encouragement vers davantage de solidarité, il est un cri d’alarme qui devait retentir partout. Entre vos lignes, je lis que nous devons tous exercer davantage de solidarité. Les sommes financières engagés par les États n’ont aucun effet sur ceux qui affrontent et qui connaissent la misère et qui ne savent pas s’en tirer: “Aucune société, aucun projet humain n’a d’avenir hors de la solidarité.” Je pense au numérique dont on veut faire un projet-phare partout. Si on investissait une petite part des efforts déployés pour le numérique en faveur de la réanimation dans le sens d’une remise en œuvre des valeurs issues des droits de l’homme, tout simplement déjà en créant des conditions égales dans la lutte contre la pandémie et dans la lutte contre les inégalités causée par elle, nous gagnons tous avec les démunis et ceux qui vivent dans des situations précaires, Je pense p. ex. aux migrants sur Lesbos: > http://www.france-blog.info/lesbos-oder-die-verlorene-seele-europas. Oui, certains disent que la crise fait avancer le numérique au lycées… nous devons leur répondre, la crise est une belle occasion de se souvenir des valeurs des droits de l’homme.

  2. Merci, cher Heiner. C’est en apprenant de toutes les limites que cette pandémie révèle et en les corrigeant concrètement, notamment par la réalisation des droits économiques et sociaux, que nous construirons un monde plus juste et résilient.

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