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L’école libératrice

L’école de Kervilien à Quimper

Au mois d’août, je me suis arrêté devant l’école de mon enfance. C’était à Quimper, dans le quartier de Kervilien, à deux pas de la route de Pont-l’Abbé. Cette école est chère à mon cœur. J’y ai tant de souvenirs, que le temps qui file espace peut-être, mais n’efface pas. C’est l’école de mes premières années. Dans la torpeur et le silence de l’été, de l’autre côté de la grille d’entrée, j’apercevais la cour et les bâtiments de classe, là où de la première classe maternelle au CM2 s’écrivit le début de ma vie d’écolier. C’était le temps des premiers copains, des parties de foot endiablées dans la cour, le temps des premiers savoirs aussi. J’ai été heureux à Kervilien. Je revois les visages de mes maîtres. Voilà 50 ans, j’entrais en cours préparatoire pour apprendre à lire et ma maîtresse était … ma mère. Puis il y eut Madame Goraguer, Monsieur Palud, Monsieur Signor et Monsieur Quéffelec. Un maître tous les ans sur le chemin de la vie. Tous m’ont marqué par leur gentillesse et leur dévouement. Des années plus tard, journaliste stagiaire, j’étais venu « couvrir » le départ en retraite de Monsieur Quéffelec. J’avais voulu lui en faire la surprise. Touché, il m’avait offert un vieil exemplaire de notre roman fétiche de CM2, « La roulotte du bonheur ». J’étais reparti, ému aux larmes. Et aujourd’hui encore, je chéris ce petit livre plus que tout.

Il n’y a rien de plus précieux que l’école. Et de plus précieux que ses maîtres aussi. L’école est un creuset, une promesse et une chance. Enfants, nous étions chahuteurs, doux, distraits, curieux, mais surtout égaux. L’école nous protégeait et nos maîtres donnaient à tous envie d’apprendre. La vie adulte était encore lointaine, mais la soif de découverte était là, encouragée, suscitée, confortée. C’était le temps d’Apollo et des premiers hommes sur la lune. Nous voulions tous y aller. Nous avions dessiné une fusée imaginaire et assigné à chacun sa place à bord. Si elle n’a jamais gagné la lune, dans nos têtes, nous y étions allés ensemble. Dans la cour, Monsieur Palud avait déplié un immense filet de pêche qu’il avait ramené de son Guilvinec natal. Et dans la classe, lorsque venait l’hiver, nous recouvrions d’un papier d’aluminium et de farine des montagnes de livres pour imaginer les Alpes et Pyrénées si lointains de nos côtes finistériennes. De ces années, je garde le souvenir d’une immense bienveillance et d’une douce liberté. Mon meilleur copain s’appelait Abdelhak. C’était un écolier marocain. Sa famille, récemment immigrée, vivait tout près. Ses parents plaçaient tous leurs espoirs dans l’école. Ils vénéraient nos maîtres. Au foot (pour lui) et en classe (pour moi), on s’entraidait. Rien ne nous séparait. C’était le miracle de l’école.

Hier soir, en regardant, la gorge nouée, la poignante cérémonie d’hommage à Samuel Paty dans la cour de la Sorbonne, tous ces souvenirs me sont revenus. On ne dit jamais assez merci à ceux qui nous ont formés. On le devrait pourtant. Mon père et ma mère étaient enseignants. Ils avaient la passion d’apprendre et de faire partager. C’était leur vocation, leur mission. Tendre la main, ouvrir un livre, émanciper par-delà les inégalités de destins, tel fut leur bonheur tout au long d’une vie en classe. L’école publique, laïque et obligatoire avait été leur chance comme elle aussi fut la mienne et celle de millions d’enfants. L’école apprenait le respect et construisait la confiance, en soi comme en la société. L’école ne jugeait pas, elle libérait, elle transmettait. Tout cela, elle le fait encore. Mais l’école est fragile et le drame de Conflans nous le révèle de la plus tragique manière. Il faut protéger l’école, protéger ses maîtres et professeurs, protéger les générations auxquelles elle donne les clés de l’avenir. Il doit être question de respect, d’autorité et aussi de moyens. L’école est un sanctuaire aux portes duquel les controverses et les haines de notre temps doivent s’arrêter. C’est notre chance, c’est notre avenir. C’est aussi notre devoir. Rien ne doit entraver la liberté et la laïcité. L’école est libératrice. Elle doit plus que jamais le rester.

6 commentaires

  1. Mathieu Gérard

    Merci, Pierre-Yves, pour ce beau texte.

  2. Merci, cher Mathieu. Je sais que cette cause parle directement au coeur du professeur passionné que tu es.

  3. Vos réflexions à la suite de l’émouvant Hommage nationale à Samuel Paty vont droit au cœur des problèmes d l’école d’aujourd’hui. Je relis votre phrase “l’école est fragile et le drame de Conflans nous le révèle de la plus tragique manière.” Oui, toutes les tentatives des réformes, les discussions autour des programmes, le numérique qu’on croit essentiel pour l’éducation – il a un tout petit brin de vérité, mais pas plus – et l’écart persistant entre un enseignement 1.0 et 2.0 (voir > http://www.france-blog.info/franzosischunterricht-10-20), – ces remarques valent pour les écoles, les collèges et les lycées dans nos deux pays avec heureusement beaucoup d’exceptions, de réussites exemplaires ! – nous avons négligé le respect devant les instituteurs et les professeurs qui, chaque jour, transmettent leur savoir, leurs expériences, leurs passions à leurs élèves.

    Moi, aussi, j’ai eu des maîtres qui m’ont ouvert l’avenir comme Harald Voss au Schiller-Gymnasium à Cologne qui m’avait demandé de respecter la règle de 15 minutes pour mon exposé sur “Le Mythe de sisyphe” d’Albert Camus. Après la première question de Hans et une petite discussion, le professeur se lève et dit: “C’est bien ce qu tu fais, tu as ce cour et le prochain cours pour toi, continue…” en d’autres mot, il m’a ouvert les portes de la littérature française, ma passion pour elle date de ce moment-là.

    La pédagogie est un art et elle est beaucoup plus important que savoir ouvrir un app. Difficile à dire si la pédagogie est un don ou si on peut vraiment l’apprendre à la bien exercer. Après un cours en terminale au Beethoven-Gymnasium à Bonn, une fille avant de sortir de la salle s’arrête devant mon petit bureau me regarde et dit: “Aujourd’hui j’ai beaucoup appris, je vous en remercie.”

    Nos écoles doivent retrouver le respect comme vous le rappelez en concluant vos propos. Le respect devant les instituteurs, devant les professeurs. Mais aussi devant les élèves: On pourrait écrire “Une Déclaration des droits à l’école” ou une “Charte de l’ècole” dont le message-clé, comme vous le dites serait “L’école est libératrice,” pour rappeler la place exceptionnelle qui revient à l’école. Sans aucun doute, la haine y est à bannir et si nous continuons à remplir une liste avec ses devoirs, ses méthodes, pour transmettre le savoir, ouvrir les perspectives, les portes vers l’avenir, nous nous rendons compte de la valeur de l’héritage précieux que Samuel Paty nous a légué: Courage, respect envers les autres, le laïcisme, la passion d’enseigner, la volonté de comprendre et de transmettre le savoir à ses élèves.

    Hier soir, le Président de la République a nous a dit ce qui était arrivé à Samuel Paty:
    “Alors, pourquoi Samuel fut-il tué ? Pourquoi ? Vendredi soir, j’ai d’abord cru à la folie aléatoire, à l’arbitraire absurde : une victime de plus du terrorisme gratuit. Après tout, il n’était pas la cible principale des islamistes, il ne faisait qu’enseigner. Il n’était pas l’ennemi de la religion dont ils se servent, il avait lu le Coran, il respectait ses élèves, quelles que soient leurs croyances, il s’intéressait à la civilisation musulmane.

    Non, tout au contraire, Samuel PATY fut tué précisément pour tout cela. Parce qu’il incarnait la République qui renaît chaque jour dans les salles de classes, la liberté qui se transmet et se perpétue à l’école.”

  4. Merci, cher Heiner. Votre message est très touchant. Par delà les frontières, il y a une internationale des professeurs et des maîtres, mûs par le même désir de partager, de transmettre et d’émanciper et la même passion de la liberté.

  5. L'HELGUEN

    Merci Pierre-Yves pour ce beau texte très émouvant.
    Si tu as la nostalgie de l’époque de ton école primaire, moi aussi, je garde de Kervilien le privilège d’avoir appartenu à une équipe très soudée dont tous les membres “ramaient” dans le même sens pour la réussite de tous les enfants.
    Jean-Paul

  6. Merci, cher Jean-Paul, c’était en effet une belle équipe et je n’oublie pas les moments passés avec toi, même si je n’ai pas eu la chance de t’avoir comme maître. Je me souviens en particulier des parties de football auxquelles tu te joignais, ainsi que Robert Palud. Ces années-là ont été fondatrices pour moi et, j’imagine, pour tellement d’autres écoliers de Kervilien aussi. Merci du fond du coeur.

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