Le climat, il faut le préserver des émissions de gaz à effet de serre. Et aussi des manœuvres et autres calculs politiques. La semaine passée, Emmanuel Macron a annoncé l’organisation d’un référendum d’ici à la fin de son quinquennat sur l’introduction dans la Constitution de la Vème République des objectifs de protection de la biodiversité et de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Cette annonce fait suite à l’une des propositions formulées au printemps dernier par la Convention citoyenne sur le climat. La cause environnementale et la perception des dangers du changement climatique ont largement progressé dans la société française et c’est heureux. Difficile dès lors d’imaginer que le peuple français ait un a priori défavorable à l’égard de la consultation référendaire annoncée. Celle-ci, pourtant, ne va pas de soi. Si la modification constitutionnelle envisagée a pour objectif de renforcer concrètement l’action publique sur le climat et la biodiversité, elle sera utile. Si elle n’est en revanche que de nature déclaratoire, simple exercice sémantique sans effet sur l’engagement de l’Etat, elle n’aura pas grand sens et se transformera immanquablement en un vote pour ou contre celui qui aura posé la question.
Tout dépendra donc de la rédaction de l’amendement à la Constitution et du plus qu’il apportera par rapport à la situation présente. Si notre loi fondamentale date de la fin des années 1950, une époque à laquelle l’environnement comptait peu et le changement climatique était inconnu, elle a cependant été modifiée en 2005 par l’intégration de la Charte de l’environnement, permettant notamment de donner valeur constitutionnelle aux principes de prévention, de précaution et du pollueur-payeur. Son premier article consacre « le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé », un droit individuel nouveau. La révision constitutionnelle qu’Emmanuel Macron ambitionne de soumettre à référendum ne peut être une redite de ce qui existe déjà. Elle doit nécessairement aller plus loin. Comment ? En mettant le Conseil constitutionnel en situation d’écarter toute loi qui se placerait en contradiction ou en recul par rapport aux objectifs climatiques ou de préservation de la biodiversité. Ainsi, la Constitution doit pouvoir être amendée de manière à lier les institutions et à ne plus faire du climat et de la biodiversité les dernières roues du carrosse face à des principes constitutionnels plus anciens et affirmés.
Les membres de la Convention citoyenne sur le climat ont proposé la rédaction d’un alinéa à rajouter à l’article 1er de la Constitution : « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique ». Cette rédaction fait le choix judicieux du verbe « garantir ». L’emploi de ce verbe permet en effet d’afficher non seulement une volonté, mais également une dimension de contrainte dont l’interprétation emporterait l’idée d’une obligation en droit. C’est de cela dont il doit être question si l’on veut que cette révision constitutionnelle présente une valeur ajoutée tangible au sens de la conquête de droits et d’efficacité des décisions prises. Il faut pouvoir trouver dans cet article 1er amendé un fondement juridique indiscutable pour asseoir une politique solide contre la crise climatique et pour la préservation de la biodiversité. Notre loi fondamentale doit évoluer avec son temps. Le meilleur moyen de faire émerger une jurisprudence constitutionnelle qui sanctuarise ces sujets et contribue à la justice climatique, c’est de l’amender utilement au-delà de ce que l’inclusion de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité a déjà permis de réaliser.
Voilà ce que l’objectif doit être. Il est ambitieux. Le Président de la République gagnerait à retenir la proposition d’amendement présentée par la Convention citoyenne. Ce serait afficher une claire ambition contre toute tentation de l’intérieur d’en réduire la portée par le choix d’un verbe moins affirmé que « garantir ». Ce serait aussi rendre grâce au travail des 150 membres de la Convention. La première bataille, interne, sera celle de la rédaction. La seconde, à supposer que la première soit gagnée, sera celle du vote dans les mêmes termes du projet de loi constitutionnelle par l’Assemblée nationale et le Sénat. Si le vote de l’Assemblée nationale ne fait pas grand doute, qu’en sera-t-il de celui du Sénat ? La droite, qui y est majoritaire, votera-t-elle contre le projet au seul motif qu’il aura été présenté par Emmanuel Macron, à quelques mois de l’élection présidentielle, et que le rôle de l’opposition est de s’opposer « coûte que coûte », au risque du tête à queue politique ? Si débat il doit y avoir, il doit porter sur le fond, non sur des arguties partisanes ou pré-électorales. En clair, la protection de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique doivent-elles avoir la même force, par exemple, que la protection de la libre entreprise ?
A cela, pour ce qui me concerne, je réponds oui. Ce sera la troisième bataille, directement devant les Français. Je n’ai pas une sympathie spontanée pour l’outil référendaire, volontiers détourné de sa vocation par une tentation plébiscitaire ou de diversion politique. Ici cependant, à supposer que la rédaction de l’amendement constitutionnel conforte l’action publique et la justice climatique, il y aurait sens à recourir au référendum, même sur une dernière année de quinquennat. Rien ne serait gagné d’avance. C’est bien sûr un « oui » qu’il faudrait aller chercher, mais aussi une participation importante qui donnerait à l’environnement, à la biodiversité et à la question climatique leurs lettres de noblesse définitives. Rien de cela n’ira sans risque ni prise de responsabilité, tant de la part du Président de la République et du gouvernement que des oppositions. A tort (un peu) ou à raison (malheureusement davantage), ce quinquennat est perçu comme en dedans sur l’environnement et le climat. Pour les premiers, cette perception doit être infirmée dans les faits. Pour les autres, une ambition alternative doit être développée. Pour tous, ce référendum offre la chance d’articuler une ambition pour la planète. Un référendum peut diviser. A nous, ici, de montrer qu’il peut également rassembler.
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Plus loin que l’horizon
C’était au mois de novembre. Nous marchions le long de la mer en Bretagne, mes enfants devant et moi quelques pas derrière. Le ciel était tout gris, comme souvent après la Toussaint. Quelque part pourtant, en scrutant bien l’horizon, il y avait tout au bout, derrières les Iles Glénan, un début de promesse de ciel bleu. Je vis mes enfants quitter le chemin côtier et s’asseoir sur un banc, tous ensemble, le regard tendu vers l’océan. Que cherchaient-ils ? Que voyaient-ils ? Je ne le sais pas. Il y avait sans doute quelque chose entre ciel et mer qui avait capté leur attention. La scène était surprenante. En général, la présence de mes trois enfants sur un même banc était annonciatrice de chahut imminent et d’énergie. Il n’en était rien. Ils regardèrent longtemps devant eux, échangeant quelques mots. Au pied du banc s’étalait la plage des vacances, celle qui fait depuis des années le bonheur de leurs étés. Après une ou deux minutes, ils se levèrent et me rejoignirent paisiblement sur le chemin, vers l’Ile-Tudy, vers la maison, vers cette année qui n’en finissait pas d’avancer avec son cortège de nouvelles tristes et difficiles, y compris celle de cet autre confinement qui était venu faire de nos congés d’automne un moment finalement irréel.
Au moment où l’année 2020 s’achève, je repense à cette scène simple et pourtant particulière. Elle a sa part de mystère. La galère, la souffrance, l’inquiétude, la crainte de ces mois écoulés, je pourrais en parler des heures, en adulte. Mais eux, mes enfants, les enfants ? Nous avons traversé une épreuve et celle-ci continue, même si la perspective du vaccin contre le Covid-19 laisse enfin entrevoir l’espoir d’un retour à une vie libérée de la menace du virus. Un adulte peut rationnaliser, chercher du sens (et parfois le trouver), prendre du recul et décider. Mais que peut un enfant ? Comment absorbe-t-il le choc d’une vie sous cloche, quand tout devient péril, lorsque la famille et les amis n’apparaissent plus guère que sur un écran d’ordinateur ? Comment vit-il ces distances dites sociales, ces élans d’affection désormais interdits, l’absence momentanée ou tragiquement définitive d’un être aimé ? De 2020, personne d’entre nous ne sortira indemne, et les enfants encore moins. Ce sont eux pourtant qui porteront le plus loin dans la course du temps le souvenir de cette année terrible, qui demain confieront à d’autres générations leurs sentiments, leurs peines, leurs peurs, leurs regrets et peut-être aussi leurs colères de petites vies devenues grandes.
Il y a un an, personne n’aurait imaginé un instant ce que 2020 nous réserverait. Les pandémies semblaient relever des livres d’histoire. En quelques semaines, un virus inconnu a mis le monde cul par-dessus tête, faisant un nombre effarant de victimes, plongeant l’économie de nos pays et de la planète dans une crise inédite en un siècle. Cette pandémie a mis à jour les inégalités criantes de nos sociétés, l’impréparation de celles-ci, l’incurie de certaines décisions, la faiblesse insigne d’une parole publique évanescente, bavarde ou contradictoire. Elle a passé au révélateur les carences, les dénis et l’irresponsabilité. Nous avons vécu au printemps un juin 1940 sanitaire. Tout à une logique comptable, le nez dans bien des certitudes, nous n’avons pas su anticiper, prévoir, nous préparer aux risques d’une époque que nous pensions benoîtement contrôler. Nous nous sommes retrouvés à nu, forcés dans la hâte à l’improvisation, poussés à des décisions trop longtemps différées ou devenues taboues. En un an, l’Europe a fait, en raison de la crise, des pas de géant. Des choix ont été faits, loin de toute orthodoxie, par pragmatisme, en rassemblant les volontés, parce qu’il était moins une, parce qu’il y avait un monde à sauver et que ce monde était le nôtre.
De 2020, il ne faudra rien oublier, ni des causes, ni des conséquences. Nous le devons aux générations futures. Il faut retrouver le sens du progrès et de l’intérêt général, le réhabiliter, le partager. Le laissez-faire ne construit pas l’avenir. Il faut vouloir entendre les souffrances de nos sociétés et savoir y répondre. Il n’y a plus de place pour une parole confisquée, pour cet écart sidérant entre ceux qui sauraient (ou pensent savoir) et tous les autres, condamnés à subir, sauf à s’exposer aux complotismes de toute sorte, délirants aujourd’hui, mais peut-être majoritaires demain. Faisons de l’année 2021 un tournant autant que 2020 aura été une souffrance. Plus que jamais, c’est le moment d’imaginer, d’oser, d’agir. De donner corps, par la preuve et dans les actes, à la solidarité et à la justice, chez nous et ailleurs, librement, par la démocratie et le multilatéralisme. Il faut regarder loin, plus loin que l’horizon, un peu comme cette promesse de ciel bleu que recherchaient peut-être mes enfants dans le gris de novembre sur notre plage bigoudène. Je veux y croire et y contribuer. Et tant d’autres certainement aussi. Puisse 2021 incarner une espérance partagée, un esprit de conquête, un autre chemin. Depuis la Bretagne, à vous tous, chers amis, Bloavez Mad, bonne et heureuse année 2021 !
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