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Mois : septembre 2021

La Chancelière et nous

Affiche campagne 2009 / Konrad-Adenauer Stiftung

Demain est jour d’élections en Allemagne. Comme tous les 4 ans, le Bundestag sera renouvelé. Un élément marque ce rendez-vous électoral : le retrait de la vie publique d’Angela Merkel. Je ne suis pas chrétien-démocrate. Mes préférences vont à la social-démocratie, dont j’espère le succès autour d’Olaf Scholz et du SPD. Je dois reconnaître pourtant ne pas être insensible au parcours de la Chancelière. Et plus encore à sa part de mystère. Comment en effet peut-on exercer le pouvoir sans discontinuer durant 16 années et atteindre un niveau record de popularité au moment de se retirer ? Dans un pays comme la France où les courbes de popularité s’effondrent sitôt une élection présidentielle gagnée pour ne jamais se redresser, la performance de la Chancelière ne peut qu’interloquer. En 16 ans, on peut lasser un pays, faire des erreurs et en payer le prix. Il y a toute une jeunesse allemande qui n’a connu d’autre leader pour son pays qu’Angela Merkel. C’est long, 16 ans. C’est même énorme. Cette jeunesse, plus encore que le reste de la population, ne votera sans doute pas majoritairement pour la CDU demain. Mais elle regarde la Chancelière qui s’en va bien plus favorablement que le parti dont elle est membre et qu’elle a dirigé si longtemps.

Quel est le mystère d’Angela Merkel, ou plutôt l’alchimie qui a construit durablement sa popularité ? C’est un style, un leadership, une attitude. Il y a la sobriété, la simplicité, la prudence, la parole mesurée, l’écoute, le souci d’expliquer. On ne devient pas « Mutti » pour les Allemands en un jour. Angela Merkel a construit son succès et sa trace au fil de son histoire à la Chancellerie, pas à pas, à l’épreuve des faits, là où tant d’autres s’abiment par facilité ou dans l’ivresse des cimes. La Chancelière a su incarner son pays, protéger et rassurer. Protéger, rassurer, voilà des mots volontiers perçus comme frileux et que l’on balaie d’ordinaire pour imaginer que la flamboyance fait une élection. Sans doute peut-on gagner une élection sur la flamboyance, mais en aucun cas une réélection. La seule force du verbe ne fait pas illusion. Le charisme n’est pas là où on l’attend. Les temps que nous vivons depuis le début du XXIème siècle sont troublés, incertains et durs. Les citoyens attendent qu’on leur parle en confiance, clairement, justement, que l’on entende leurs craintes, leurs difficultés et leurs aspirations. Ils ont non seulement besoin de résultats, mais aussi de se sentir représentés. C’est cela qu’Angela Merkel, aux responsabilités, est parvenue à faire.

Il y a les choix politiques, que l’on peut apprécier ou non, et puis il y a l’exercice du pouvoir. Les deux sont importants. La qualité de la parole publique est essentielle. L’Allemagne n’est pas la France, les différences culturelles et historiques existent et resteront. Reconnaissons que la vie politique française est – comment dire – plus éruptive et manichéenne que la vie politique allemande. Et pourtant, il y a beaucoup à apprendre de l’exemple d’Angela Merkel et de la relation tissée par elle avec les Allemands dans l’exercice du pouvoir. Je suis convaincu que l’unité de sa parole y a été pour beaucoup. La parole publique doit être sobre, complète, juste et suffisamment rare pour être entendue. L’influence de Michel Rocard m’a conduit à donner crédit au parler vrai, au plus près des faits et des réalités. Mais le parler vrai ne suffit pas. Il faut aussi une qualité d’écoute et une sincérité d’expression, posée et directe, pour que le lien se construise, dure et qu’avec lui vienne la confiance. Si une part de cela se travaille et relève d’une méthode, la vérité est que l’essentiel repose d’abord sur la personnalité. Et la personnalité d’un leader, femme ou homme politique, est forgée par l’enfance, la formation, la relation aux autres, la capacité de se remettre en cause.

La crise démocratique que traversent de nombreux pays est une crise de confiance, dans les institutions comme aussi dans les élus qui les dirigent. Vu depuis l’étranger, c’est ainsi que je la ressens en particulier en France. Le sentiment de ne pas être écouté, de ne compter pour rien, d’être méprisé, ignoré, regardé de haut prospère dangereusement et alimente le vote vers les extrêmes, en particulier vers l’extrême-droite. La verticalité éloigne la décision, l’hétérogénéité de la parole publique dessert l’explication. D’une expression à l’autre, un pouvoir ne peut être à la fois proche et lointain, attentif et rude, bavard et sec. Il faut vouloir écouter, justifier et convaincre. En 16 ans, Angela Merkel aura travaillé avec 4 Présidents de la République française successifs. Elle aura appris à les connaître, mais eux, auront-ils appris des raisons de son succès à elle ? Une page se tournera demain pour Angela Merkel et pour les Allemands, mais aussi pour nous tant sa figure aura été familière des années durant. Des livres viendront, les siens peut-être, pour raconter le récit d’une aventure singulière, celle d’une femme de l’Est arrivée là où personne, y compris elle-même, ne l’attendait. Ce temps du témoignage sera précieux pour l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, mais aussi pour l’avenir.

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Alliés ou adversaires ?

Image par David Mark, de Pixabay

Rompre un contrat, c’est toujours moche. Y ajouter le mensonge et la duplicité, c’est encore pire, et a fortiori entre alliés. L’annonce il y a quelques jours par l’Australie de l’abandon du contrat signé en 2019 avec la France sur la vente de 12 sous-marins conventionnels pour une alliance avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni n’est pas seulement une décision commercialement choquante, c’est un camouflet diplomatique d’une grande violence et d’une rare indignité. Cela veut dire que la parole de l’Australie ne vaut rien et que son Premier ministre est un vulgaire menteur. Notre pays a été trompé et abusé. Monsieur Morrison avait été reçu par le Président Emmanuel Macron à Paris en juin dernier. Il n’avait pipé mot. Il y a quelques semaines encore, à la fin août, ses Ministres de la Défense et des Affaires étrangères s’étaient réunis avec leurs homologues français et le programme sous-marin consécutif au contrat de 2019 était à l’agenda des échanges. Eux aussi n’avaient rien dit. Or, l’on sait maintenant que c’est en réalité depuis des mois que le gouvernement australien préparait un partenariat avec les Etats-Unis et les Britanniques, aux termes de laquelle Lockheed Martin fournira des sous-marins désormais nucléaires à la marine australienne. Exit Naval Group, exit la France, exit le « contrat du siècle ».

J’étais encore à l’Assemblée nationale lorsque l’annonce de ce contrat était intervenue. C’était pour notre pays et notre industrie de l’armement une excellente nouvelle. Je m’en étais réjoui. Je savais combien le gouvernement français s’était engagé pour la conquête de cet énorme marché, les investissements et les emplois qu’il y avait derrière cela. Je n’ignore certes rien de la Realpolitik qui existe dans les relations internationales, mais – sans doute vieux jeu – je crois aussi en le respect de la parole donnée et des obligations contractuelles, tout comme au respect que les membres d’une alliance se doivent en toutes circonstances entre eux. Il y a des choses qui ne se font pas. Ce n’est pas simplement l’Australie qui a dupé la France, ce sont aussi et surtout les Etats-Unis. J’avais voulu croire sincèrement que Joe Biden n’offrirait pas seulement un autre visage de son pays, mais aussi une autre politique, attentive à ses alliés et ouverte au multilatéralisme. Il n’en est tristement rien. C’est « America First », à peine ripoliné. Joe Biden a fait le choix d’humilier la France au nom des intérêts américains, assisté d’un Boris Johnson empressé, dont le fumeux slogan de « Global Britain » n’est finalement guère autre chose que d’être à la remorque de Washington par rejet de l’Europe.

Tout cela est bien triste. Peut-on encore parler d’alliance lorsque l’on se comporte de la sorte ? La crise qui secoue la relation franco-américaine depuis ces derniers jours est profonde et inédite. Le Président Emmanuel Macron a eu raison de rappeler nos deux Ambassadeurs aux Etats-Unis et en Australie. La France n’est pas n’importe quel pays. Elle doit être respectée. Ce ne sont pas quelques paroles contrites et dégoulinantes d’hypocrisie qui répareront ce qui a été brisé, à commencer par la confiance. Il y a des dédommagements à obtenir au profit de Naval Group. C’est un contentieux énorme qui s’ouvre dont l’Australie devra payer tout le prix. Et puis il y a l’avenir de la relation transatlantique – en a-t-elle d’ailleurs encore un ? –  et in fine la place que l’Europe entend se donner face à l’évolution du monde. Plus que jamais, ce triste épisode souligne pour elle l’urgence de prendre son destin en main. C’est de souveraineté européenne dont il doit être question à Paris, à Berlin, à Bruxelles et ailleurs. Nous n’avons pas à être exclus du jeu par l’affrontement sino-américain dans la zone indo-pacifique. Nous devons nous imposer. L’évolution du monde et ses multiples défis requièrent une Europe puissance, y compris et surtout dans cette zone où tant se joue, pour y défendre nos intérêts et nos idéaux.

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