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Mois : janvier 2022

Un moment social-démocrate

Dans une centaine de jours aura lieu l’élection présidentielle. En l’attente de la candidature du Président de la République, ses challengers s’échauffent. Avec plus ou moins de bonheur, à droite comme à gauche. Pour certains, c’est à gauche toute qu’il faut aller, pour les autres c’est à l’inverse vers la droite et ses extrêmes qu’il faut tendre. J’ai regardé hier le replay du débat sur C8 entre Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon (… ou Maurras et Bolivar). Je l’ai trouvé consternant. D’un côté, il était question de virer les étrangers, de l’autre de purger la police nationale. Les invectives fusaient. De propos constructifs, il n’était point question. Comme si l’élection présidentielle devait se résumer à un combat de grandes gueules, le verbe haut et l’insulte facile érigés en cache-sexe de la vacuité des programmes et des idées. Le débat public n’est pas un spectacle. La politique crève des promesses non-chiffrées et autres postures idéologiques érigées en totems, comme s’il n’existait rien finalement au-delà des tracts, des tweets et des slogans. Et, plus encore, comme si notre pays, l’Europe et le monde ne traversaient pas depuis deux ans une pandémie terrible, cause de millions de décès, et une crise économique abyssale inégalée par sa gravité depuis un siècle.

J’écris ces lignes en citoyen, en ancien parlementaire que la passion de la politique et de la chose publique n’a jamais lâché. Il y a quelques années, l’idée que la gauche et la droite étaient des repères dépassés avait le vent en poupe. Je ne l’ai jamais partagée. Toute mon histoire personnelle s’inscrit à gauche, dans une gauche désireuse de réformes, de progrès réels, de résultats tangibles et partagés, loin de toute incantation et logique protestataire. Sur le spectre politique qui s’étend de la gauche à la droite, je me situe au centre-gauche, attaché à la redistribution, à la recherche concrète de la justice sociale et à la lutte à la racine contre les inégalités, attaché aussi à une société de liberté et de responsabilité, qui valorise le travail, l’initiative et l’entreprise. Je n’ai jamais été sujet à une influence marxiste, je n’ai à l’égard de l’économie de marché aucune forme de prévention. Au contraire, je défends le marché comme le moyen de mettre l’économie en mouvement, de promouvoir la prise de risque, de créer de la valeur qui, tout au bout, bénéficie à tous. Et j’ai foi en le projet européen, en la construction d’un espace unique de libre circulation et de mobilité, parce que cette liberté-là est pour nous tous un progrès immense, un progrès de tous les jours aussi.

Je suis un social-démocrate européen. Je ne vitupère pas contre « le néo-libéralisme » ou « l’ultra-libéralisme », expressions aussi vaines que creuses. Si le libéralisme prévalait, jamais le « quoi qu’il en coûte » n’aurait été mis en place, au prix d’un effort national et européen d’une magnitude totalement inimaginable il y a deux ans encore. Nous vivons depuis lors un moment social-démocrate, où toutes les ressources de la puissance publique, depuis le local jusqu’à l’Europe, ont été mobilisées décisivement dans une situation de calamité absolue. Tout cela, c’est l’inverse du laissez-faire. La puissance publique a placé l’économie sous perfusion et elle a eu raison de le faire, relâchant toutes les disciplines anciennes, inventant de nouvelles solidarités, empruntant, luttant pied à pied, par la coopération européenne et nationale, pour sauver les vies, les emplois, les investissements, les entreprises et notre avenir commun. En 2021, grâce à cet effort, dopant la consommation et les investissements, la croissance a dépassé les 7% en France, effaçant le recul de 2020, et le chômage a baissé de plus de 12%. Cette réalité-là est indiscutable et elle est la conséquence de choix politiques assumés, revendiqués, pris dans la tempête, au moment où il fallait fermement tenir le manche.

L’histoire de la social-démocratie est celle du combat pour la justice sociale. Or, la plus grande des injustices sociales, c’est de ne pas avoir d’emploi. Et sans emploi, il n’y a guère d’avenir. La formation et l’apprentissage sont essentiels pour l’employabilité, celle des jeunes bien sûr, mais des moins jeunes aussi, tout au long de la vie et en particulier en fin de parcours professionnel. Les défis qui se posent à nous, en particulier l’urgence des transitions écologiques et digitales, requièrent, non de travailler moins, de produire moins, de chercher moins, d’inventer moins, mais au contraire de travailler plus, plus nombreux et, pour ceux qui le souhaitent, plus longtemps. Il faut pour cela poursuivre la réduction du coût du travail engagée depuis le précédent quinquennat et rendre les embauches plus faciles. L’objectif de plein emploi doit être atteint. Il est impératif de renverser le mouvement de désindustrialisation qui a frappé notre pays depuis une trentaine d’années, saignant des villes et des régions, condamnant des générations à la désespérance. La valorisation du travail est au cœur de cette réindustrialisation, vers les métiers, les biens et les services d’avenir, dans une logique souveraine, pour réduire notre dépendance extérieure et notamment à l’Asie exposée par la pandémie.  

La question salariale sera au cœur de l’élection présidentielle. Elle est inhérente à l’histoire social-démocrate. La précarité et l’insécurité sociale ne peuvent être les angles morts de l’objectif de plein emploi. Un compromis salarial est nécessaire entre employeurs et organisations syndicales, qui reconnaisse l’effort des uns et des autres et partage entre eux les fruits de la croissance. L’objectif de plein emploi est in fine un atout pour la question salariale. Comme il l’est aussi pour les mécanismes de redistributions et leur pérennité, ceux-là même qui ont contribué décisivement à atténuer le pire de la crise, car plus de valeur créée, plus d’activités, c’est aussi davantage de recettes fiscales et de cotisations sociales pour les financer, pour investir dans les services publics et pour désendetter notre pays, ce qu’il faudra amorcer dès la sortie de crise. C’est par la croissance, par la reconnaissance du rôle central de l’économie, que nous nous en sortirons. Cette volonté-là est celle de la gauche qui m’est chère, celle également d’autres courants de pensée qui, sur le spectre politique, feront le choix de travailler ensemble. Je le souhaite, dans le respect de l’identité de chacun, sans que ce dépassement nécessaire n’entraine l’effacement d’aucune histoire, ni projet.

Voilà l’enjeu, autant celui des prochaines semaines que celui des cinq années à venir. Il ne faut pas fuir l’économie, par renoncement ou fatalité, comme s’il n’y avait plus rien à faire, qu’elle nous dominait ou, à l’inverse, qu’elle n’existait pas, comme si le débat public et présidentiel devait désormais se jouer sur les obsessions identitaires ou le communautarisme, les clichés ou les scandales, les coups d’éclat ou les coups de gueule. Rien ne serait pire que pareil scénario. Ce n’est pas davantage dans la « cancel culture ou la multiplication péremptoire d’interdits, ici ou là, qu’il faut préparer l’avenir. L’espace politique dans lequel je me reconnais, cette social-démocratie européenne juste et engagée, doit être entendu, représenté et porté. Il doit l’être loin des agitations vaines, des divisions, dans un large rassemblement progressiste, au service de notre pays et de son avenir. Nous vivons une époque redoutable, tragique même, ce que les anglo-saxons appellent un « defining moment », qui requiert plus que jamais un débat sain, des enjeux clairement exposés, le souci du dépassement et la ferme volonté d’agir ensemble. J’espère de tout cœur que le rendez-vous électoral du printemps nous offrira ce moment. Il le faut. Notre pays, la France, en a besoin. Et nous, Français, aussi.

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La caisse, le Kärcher et les emmerdements

Il m’arrive parfois de me sentir très vieux. Ou d’une autre époque, ce qui est une manière un peu plus rassurante de ressentir les choses. Mes premiers souvenirs politiques, mes premières émotions devant le débat public aussi, remontent aux années 1970, au sortir des Trente Glorieuses, lorsque s’affrontaient la gauche et la droite dans un combat souvent manichéen, marqué de clivages et d’oppositions rudes, mais jamais trivial ou vulgaire. Mon cœur battait pour François Mitterrand et peu à peu, l’âge des études venant, la pensée de Michel Rocard et son regard sur la transformation de la société m’influenceraient profondément, et ce jusqu’à ce jour. En face, il y avait Valéry Giscard d’Estaing. Je le percevais comme un adversaire, mais je le respectais aussi. A la fois pour son intelligence et également pour la fonction qu’il exerçait. Les débats étaient certes tendus, rudes et parfois même empreints d’une certaine cruauté dans la joute – on se souviendra du « monopole du cœur » ou de « l’homme du passif » – mais ils étaient toujours de haute tenue, jamais médiocres ou relâchés dans l’expression. En clair, il n’aurait pas été question alors de faire procès à quelq’un d’avoir « cramé la caisse », de « ressortir le Kärcher de la cave » ou de vouloir « emmerder » certains.

Toute ressemblance avec des propos récents n’est ici aucunement fortuite. Et je ne suis pas non plus très objectif, moi dont les préférences vont au Président de la République. J’écris cependant ce petit billet pour regretter que le débat public et plus encore électoral s’affaisse ainsi. Y a-t-il une fatalité à devoir s’exprimer de telle manière, sans doute pour faire le buzz – et cela marche – au risque que l’expression des convictions et in fine le fond de la pensée disparaissent derrière la forme ? Je veux croire que non. Nous vivons tellement plus qu’auparavant à l’ère de l’instantané, des réseaux sociaux, des chaînes TV d’information en continu, où un bon mot, une formule, une phrase un peu enlevée susciteront des dizaines de milliers de commentaires outrés ou laudateurs. Mais qu’en restera-t-il cependant, une fois effacée l’écume des réactions et de l’émotion ? Pas grand-chose. Aura-t-on, citoyens, électeurs, compris durablement ce que veut, pense et propose celle ou celui qu’une formule aura mis momentanément au centre de l’attention ? Je ne le pense pas. C’est précisément cela qu’il faut regretter et, quelque part aussi, déplorer. Au risque d’apparaître vieux jeu, n’est-il pas nécessaire de vouloir convaincre, d’expliquer et d’entendre ? C’est ce que j’espère.

Il nous arrive à tous de parler cash, certains sans doute plus que d’autres. Je n’en suis pas exempt à titre personnel. Parler cash n’est pas choquant, c’est même utile. Mais parler cash, ce doit aussi être parler juste. Une expression sera d’autant plus forte qu’elle sonnera authentique. Ce n’est pas toujours le cas et c’est ce qui sépare souvent le parler cash du parler vrai. L’unité de la parole est une chose importante, essentielle même dans le débat public. On ne peut être tour à tour direct ou lointain, intello ou techno, raffiné ou argotique. Ce sont autant de directions différentes vers lesquelles le choix des mots renvoie et qui finissent par brouiller le message, son contenu, l’image même de celle ou celui qui multiplie ces changements de pied et tout au bout sa crédibilité. A l’inverse de cela, une femme d’Etat comme Angela Merkel a construit ses succès politiques et électoraux, sa longévité et son lien avec le peuple allemand par la sobriété de son expression et l’unité de celle-ci. L’exemple d’Angela Merkel m’impressionne, comme également, il y a quelques décennies désormais, l’attention toute particulière que Pierre Mendès France accordait à ses prises de parole, aux responsabilités, puis dans sa longue période d’opposition, soucieux de nuance et désireux toujours de convaincre.

J’ai assez pratiqué les campagnes électorales pour savoir qu’il y a des hauts et des bas, que certains moments sont meilleurs que d’autres. Je m’inquiète cependant du bruit de fond. Souvent aussi, l’écart entre les propos de campagne et l’expression dans l’exercice des responsabilités, une fois l’élection gagnée, fait mal à la vie publique. C’est là également que l’unité de la parole est précieuse, pour ne pas décevoir bien sûr, mais avant tout pour entrainer, mobiliser, emmener. Il y a dans le débat public et la vie démocratique une réelle noblesse, qu’il faut retrouver, avec le souci d’exposer les différences, les envies, les rêves, avec respect et bienveillance. Cette noblesse-là n’a pas disparu. Il n’en tient qu’aux candidats, à nous aussi, qu’elle revive pour le bien-même de l’action publique et la vitalité de la démocratie. L’hystérisation du débat ne construit pas une société apaisée, pas plus qu’elle ne conduit à l’acceptabilité des choix électoraux, à la liberté d’action de la majorité et au respect dû à l’opposition. La crise démocratique aux Etats-Unis depuis les années Trump le montre bien tristement. Ayons cela à l’esprit pour souhaiter qu’au-delà de la séquence de la caisse, du Kärcher et des emmerdements, ce soit enfin sur les projets, la vision, l’avenir de notre pays que les échanges se nouent.

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