Une élection présidentielle s’achève. Le Président Emmanuel Macron a été réélu ce soir pour un second mandat avec près de 59% des voix. C’est une victoire nette et claire. Elle me réjouit à titre personnel. Je l’espérais. Jamais dans l’histoire de notre pays depuis la première élection au suffrage universel du Président de la République en 1965, un Président sortant n’avait été réélu hors période de cohabitation. Au regard des crises terribles traversées depuis 2017, et notamment de la pandémie et de la guerre en Europe, ce moment de notre histoire politique est particulier. Gagner une élection, et plus encore une réélection, est d’abord l’expression d’une reconnaissance. L’électorat, pour une part, a adhéré au bilan et au projet d’Emmanuel Macron. La vérité, cependant, oblige à ajouter qu’une autre part de l’électorat a voté pour Emmanuel Macron, non pour le soutenir, mais pour s’opposer à l’élection possible de Marine Le Pen à la Présidence de la République. Et c’est la somme de ces deux mouvements, de soutien et de barrage, qui a conduit aux quelque 59% de ce soir. Cette réalité-là de l’élection et de son résultat ne peut être ignorée, relativisée ou oubliée. Elle est une photographie difficile en ce mois d’avril 2022 de l’archipel qu’est devenu notre pays.
Ce matin, à 7 heures 59, j’étais le premier électeur à me présenter au bureau 5 de la commune d’Ergué-Gabéric, dans le Finistère. Je n’avais jamais glissé un bulletin de vote dans une urne vide. Il faut un début à tout. 10 heures de route m’attendaient ensuite pour rentrer en Belgique. Sur le chemin, entre les journaux de France Info, j’ai eu le sentiment de passer par tous les états : l’espoir bien sûr, mais aussi la crainte et le doute. Je connaissais certains des résultats, encourageants, des bureaux de vote des Français établis en Amérique du nord et en Amérique latine. Je n’ignorais rien aussi des gains spectaculaires de Marine Le Pen aux Antilles, en Guyane et à Saint-Pierre-et-Miquelon. J’ai eu peur, oui, que notre pays se donne in extremis à l’extrême-droite, malgré le premier tour, malgré un débat dont le Président était, à mes yeux, sorti d’évidence largement vainqueur. Ce qui m’ébranlait, à mesure que ma voiture avalait les kilomètres, c’était le souvenir de rencontres et d’échanges ces dernières semaines, en direct ou sur les réseaux sociaux, avec des amis, par-delà nos choix politiques différents, qui énuméraient, en toute sincérité, les raisons pour lesquelles ils ne pourraient pas ou ne pourraient plus voter pour le candidat que je soutenais.
Je viens d’un monde populaire, de la gauche de gouvernement. C’est une histoire personnelle, familiale et politique que je revendique et dont je suis fier. Je me souviens de victoires, de défaites aussi, et surtout de cartes électorales. Dans la Bretagne de mon enfance, je savais où se construisaient les majorités. Lorsque je prends ces mêmes cartes aujourd’hui, les places fortes de la gauche d’autrefois sont celles qui, pour l’essentiel, soutiennent désormais Marine Le Pen et la place parfois devant. Moins que dans d’autres régions de France certes, mais avec suffisamment de force cependant pour que l’on sache comprendre que l’extrême-droite a conquis le vote ouvrier, rural, périphérique, comme pour partie celui des classes moyennes aussi. Alors que le vote pour Emmanuel Macron s’inscrit dans une dynamique urbaine, mobile, aisée et européenne. Usée par les crises, la société française est abimée par les inégalités de destin, l’injustice sociale, le sentiment de déclassement, la peur lancinante du lendemain. Moins que de colère, c’est d’abord d’abandon dont il s’agit. C’est une réalité que l’élection présidentielle a mise rudement, crument en lumière et qu’il faut voir si l’on veut, par-delà le scrutin et son résultat, que ce rendez-vous démocratique d’avril ait un sens pour tous les Français.
Ce soir, dans son discours au Champ de Mars, Emmanuel Macron a indiqué que ce succès l’oblige. C’est vrai. C’est cette phrase que je veux retenir avant tout. Le second quinquennat doit être différent du premier. Parce que l’état de la France n’est plus le même, tant par ses succès – le recul du chômage – que par ses périls, parce que nous ne sommes pas au bout, bien au contraire, des difficultés internationales, depuis la guerre de Poutine à la crise climatique et environnementale qui s’aggrave. Sans doute même touchons-nous la fin d’une époque, celle d’une mondialisation heureuse ou présentée comme telle. L’époque qui s’ouvre, entre incertitude et tragédie, réhabilite la volonté politique, la souveraineté, l’économie réelle, l’expression de choix clairs et assumés, la défense des valeurs républicaines et de la démocratie. Elle requiert aussi, cette même époque, d’expliquer, d’écouter, de fédérer, de convaincre et d’accepter de se laisser convaincre. La société française a besoin de concorde et de participation. Elle attend d’être protégée autant que libérée. Il faut à cette fin une action gouvernementale moins lointaine et verticale, un travail de réforme appuyé sur les collectivités locales, la société civile, les organisations syndicales et patronales, le dialogue social.
La société a besoin que l’on prenne soin d’elle, de ses souffrances et de ses espoirs. Comme la jeunesse ou plutôt les jeunesses françaises, dont l’abstention en ce mois d’avril ne peut que sonner comme une urgente inquiétude. C’est la responsabilité qui incombe désormais au Président de la République réélu. Il faut réformer, et il faut aussi changer. Au premier tour, les candidats de LR, du PS, du PCF et d’EELV totalisaient ensemble 12% des suffrages, un score famélique. Mais leurs partis dirigent l’immense majorité des communes, départements et régions de notre pays. On ne gouvernera pas sans eux ou contre eux. On doit gouverner avec eux. Il ne peut y avoir un pouvoir national et des pouvoirs locaux agissant en parallèle. Par-delà les différences, une logique de responsabilité et peut-être de coalition – de projets, voire même de gouvernement – doit prévaloir. 2022 ne sera pas la répétition de 2017, le résultat de ce soir nous l’apprend. Il faut vouloir entendre les Français et apporter par la preuve, dans la réalité des faits, les progrès, les mesures et les paroles qu’ils attendent. Ce sera le signe, alors, que le message de l’élection présidentielle aura résonné justement, utilement, repoussant loin les idées et les politiques de haine. C’est l’action publique, plus que jamais, qui ressuscitera l’espoir.
Félicitations pour un (autre) très bon texte.
Note: je suis Damien PLAN (on allait à la gym ensemble à Bruxelles avant l’élection de 2017).
Depuis 3 ans je travaille à la Délégation de l’UE en Chine à Pékin et hier j’étais assesseur EM à l’ambassade de France à Pékin
Cela me fait plaisir d’avoir de tes nouvelles, cher Damien! Merci pour ton message. Nous sommes nombreux ce matin à être heureux et soulagés aussi du résultat de l’élection présidentielle hier. Malgré tout, ce résultat révèle un pays partagé entre inclus et exclus, usé par les crises et les souffrances. Ce second quinquennat doit être celui du progrès partagé. La relégation sociale, sans cela, conduira à une totale désespérance, criante d’injustice, et à l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite.