Passer au contenu

L’air de Pâques

C’est aujourd’hui le dimanche de Pâques. Je le vis seul à Bruxelles. Ma famille est en Espagne, au cœur de Grenade, là où sont organisées ces belles processions impressionnantes de ferveur et d’émotion. Je n’ai pu l’y accompagner cette année – trop de travail au bureau – et je le regrette bien. Dans quelques jours cependant, je retrouverai le Finistère et la Bretagne pour un petit séjour. Je m’en réjouis. J’ai toujours aimé Pâques. Pas vraiment pour les œufs, encore que je ne les boude pas, pas vraiment pour la dimension religieuse non plus. J’aime Pâques parce cette fête sonne pour moi comme l’arrivée du printemps. Aussi loin que je puisse me souvenir, dans mon enfance bretonne, j’ai toujours goûté ce moment où l’air devenait plus léger et le ciel plus clair. Comme si l’hiver, la grisaille, les tempêtes et les jours courts étaient enfin derrière nous. Pâques avait un avant-goût d’été, comme un timide lever de rideau. Chaque année, avec Pâques, j’avais l’impression que le printemps arrivait un matin, que les fenêtres s’ouvraient et que cet air léger et joyeux se faufilait partout. Nous allions voir la mer, l’Atlantique, la Manche. Le bleu profond de l’océan, l’herbe drue des champs, le vert délicat des premières feuilles confirmaient le départ de l’hiver. Le vent n’était plus frais. L’été viendrait bientôt.

Mes souvenirs de Pâques, c’était le sport, les sorties à vélo, les copains, deux semaines de vacances. Il y avait les grands rendez-vous, comme aujourd’hui avec Paris-Roubaix. Avec mon père, nous regardions passionnément cette course d’un autre âge à la télévision, autant les coureurs héroïques sur les pavés de l’Enfer du Nord, dans la poussière ou dans la boue, que les milliers de spectateurs qui les encourageaient, massés le long des chemins et des routes. A défaut de fréquenter l’église, Paris-Roubaix était quelque part notre communion à nous. Et il y avait parfois aussi, de temps à autre, une élection autour de Pâques. La ferveur sportive pouvait ainsi devenir politique. Je me souviens de Pâques 1981, à quelques semaines du 10 mai, les affiches pour François Mitterrand collées la nuit sur les poteaux et les transformateurs de notre commune avec mes parents, mon petit seau de colle, mon pinceau, les ruses déployées pour ne pas tomber nez à nez avec les colleurs concurrents. Premiers émois de militant, au temps de l’adolescence. Je chéris ces souvenirs comme une étape sur le chemin de ma vie. Et sans doute aussi parce qu’à Pâques 1981 comme plus tard à Pâques 1988, mon candidat était plein d’allant et qu’il s’imposerait quelques semaines plus tard.

Nous sommes à Pâques 2022. Je suis allé ce matin acheter mon journal. Dans les rues de mon quartier de Bruxelles, j’ai ressenti cet air léger, cette même envie d’optimisme comme chaque année, comme autrefois. Sur mon chemin pourtant, il y avait l’Ambassade d’Ukraine, toutes les fleurs fraîches ou un peu desséchées déposées par celles et ceux, nombreux, que le destin de ce grand pays d’Europe bouleverse et révolte. Et puis, quelques minutes plus tard, chez le marchand de journaux, des titres rudes et inquiétants rappelant combien Pâques 2022 est un moment incertain et dangereux pour la démocratie, la paix et le monde libre. Et si la bascule heureuse des mois d’avril était cette année un ticket pour le pire ? Il y a la guerre, la dictature, la folie de quelques-uns et ses conséquences pour des millions. Pâques ne devrait pas être tragique et pourtant le drame est là. Combien de morts la guerre de Poutine a-t-elle fait déjà ? Peut-être plus de 30 000. Chez nous, les premiers enfants ukrainiens apprennent à vivre l’exil, fuyant l’horreur et la peur, privés de leur histoire, de leur avenir, de leur innocence, de leur jeunesse. Là-bas, chacun se prépare à l’attaque russe dans le Donbass, peut-être appuyée, terrifiante perspective, par l’emploi de l’arme nucléaire. La paix est loin et l’esprit de Pâques aussi.

La paix est un combat. Elle est également un état d’esprit. Comme la démocratie. Rien ne se construit en montant les uns contre les autres, en pratiquant la haine pour nier la diversité des destins et des idées. Marine Le Pen avance vers le second tour de l’élection présidentielle, dissimulant à grand mal – ou n’essayant plus guère – un agenda profondément inégalitaire, liberticide et xénophobe. Un jour le voile est interdit, le lendemain il ne l’est plus. A des millions de gens, Français autant que moi, on dit qu’en vérité ils ne le sont pas, même s’ils sont nés sur le territoire de la République, parce que leurs parents, grands-parents ou arrière-grands-parents venaient de loin, du sud, et qu’ils ne seraient donc pas « de souche ». On leur instruit de tout oublier de ce qu’ils sont, de leur culture et de leur foi. A ceux qui arrivent, on promet d’enlever le droit à l’école, à la santé, au travail. Certains, parlant d’eux, invoquent une « submersion ». Rien n’est plus inhumain, plus glauque, plus insensé. La France, ce n’est pas cela. C’est même tout l’inverse de cela. N’est-il pas temps pour le sursaut et la révolte ? L’air de Pâques, c’est l’espérance et le rassemblement. Mener le combat de l’égalité, de la solidarité et de la paix, c’est y être fidèle. Passionnément. Tant se joue maintenant et n’attend que nous.