Passer au contenu

Pour l’autonomie stratégique de l’Europe

Dusan Cvetanovic@Pixabay

Il y aura deux ans le 23 février, la Russie envahissait l’Ukraine. Cette guerre a fait depuis lors des centaines de milliers de morts : soldats ukrainiens, populations civiles ukrainiennes, soldats russes. Des preuves terrifiantes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ont été accumulées contre la Russie. Vladimir Poutine fait l’objet depuis mars 2023 d’un mandat d’arrêt international émis par la Cour pénale internationale. Des sanctions d’une ampleur inédite visent l’économie et les autorités russes depuis les premières semaines du conflit. Elles ne sont pas sans efficacité, mais la guerre continue malgré tout et nul n’en voit aujourd’hui l’issue. Le courage des Ukrainiens est immense, tout comme le sont leurs souffrances, sur le front et dans le reste du pays. Dans l’intervalle, la Russie est passée en économie de guerre. Elle a connu de lourdes pertes humaines, mais elle tient. La contre-offensive ukrainienne de 2023 n’a guère fait bouger les lignes. L’armée ukrainienne se bat, mais elle manque de munitions et sa situation devient critique. Le soutien des nations européennes ne fait pas défaut à l’Ukraine. Les annonces sont cependant trop peu suivies d’effets immédiats. Les livraisons de munitions sont insuffisantes et les avions de chasse promis ne sont pas encore arrivés.

L’avenir de l’Ukraine est celui de l’Europe. On ne peut séparer les deux. La guerre de la Russie en Ukraine ne vise pas que ce pays. C’est bien in fine toute l’Europe que Poutine menace. C’est notre liberté, ce sont nos démocraties et nos valeurs qu’il combat. Si demain la Russie l’emportait en Ukraine, elle irait plus loin. Pensons aux Polonais, aux Lituaniens, aux Lettons, aux Estoniens, aux Finlandais, qui se savent plus que tout menacés par l’expansionnisme russe. Poutine ne s’arrêtera pas. Une guerre plus large est possible, elle est même probable si l’Ukraine devait tomber. Il nous faut, Européens, oser imaginer le pire et nous y préparer. Poutine voudrait nous faire renoncer à la défense de l’Ukraine, jouant sur nos peurs, sur la fatigue de nos opinions publiques, sur nos économies minées par l’envolée des prix de l’énergie et celle de l’inflation. La Russie manipule l’information via les réseaux sociaux et ses armées de trolls. Elle soutient chez nous les partis extrémistes, à droite et à gauche, flattant le pacifisme des uns, le nationalisme des autres. Elle crée le chaos alimentaire à l’échelle du monde, détruisant l’agriculture ukrainienne, bloquant le commerce de grains par la Mer Noire. Le régime de Poutine joue du cynisme et du crime pour alimenter la peur et nous faire renoncer.

Il faut soutenir l’Ukraine. L’Ukraine doit l’emporter, pour elle-même bien sûr, pour ces millions de femmes et d’hommes qui aspirent à vivre librement, loin d’un régime de terreur, et pour l’avenir de l’Europe et la stabilité du monde aussi. Il n’existe personne de censé que la guerre fascine, mais désirer ardemment la paix ne peut conduire non plus à accepter l’asservissement de pays amis, si ce n’est même le nôtre. Il est temps pour l’Europe d’assumer son propre destin en termes de sécurité et de défense. Aux Etats-Unis, Donald Trump peut retrouver la Maison Blanche dans quelques mois et mettre en pratique l’abandon de la clause de solidarité au cœur de l’Alliance atlantique. Il en a fait bruyamment l’annonce il y a quelques jours. A Washington, les élus républicains qui lui sont soumis refusent au Congrès le vote d’un nouveau volet d’aide militaire à l’Ukraine. La probabilité que nous nous retrouvions seuls face à Poutine n’a ainsi jamais été aussi grande. C’est pour cela qu’il est urgent de renforcer la défense européenne, par la modernisation des armées nationales, au-delà des 2% de PIB, et par un programme européen d’investissement dans les industries de défense, en application d’une stratégie européenne qu’il nous faut définir.

L’Europe a su montrer sa force et son imagination dans l’adversité, sur l’économie, sur la finance, sur la santé. C’est le moment pour elle de le montrer sur la défense. Il lui faut affirmer une autonomie stratégique en agissant résolument pour la création d’une communauté européenne de sécurité et de défense, incluant le Royaume-Uni, nation européenne et puissance nucléaire. Cette autonomie stratégique est un choix majeur de souveraineté que l’Europe doit faire, en lançant un emprunt européen dédié pour financer l’aide militaire à l’Ukraine et le développement de nos industries de défense. Nous devons montrer à Poutine que nous sommes capables de nous protéger et de l’affronter. Cela veut dire aussi pour nous, Français, imaginer l’évolution possible de notre doctrine de dissuasion nucléaire pour protéger directement les Etats européens, en sus de notre territoire national. Ce sont des questions profondes, lourdes, troublantes pour qui aime la paix et pourtant nécessaires pour qui veut vivre libre. Le temps d’avant le 22 février 2022 ne reviendra plus. Il faut résister à la tentation du déni, en pensant naïvement que nous présenter désarmés, désunis et faibles devant l’agresseur nous vaudrait peut-être sa magnanimité. Poutine ne connaît que la force.

Aucune paix durable ne naîtra de l’abandon de l’Ukraine et des Ukrainiens à l’expansionnisme russe. Le soutien militaire à l’Ukraine est un devoir. Aucune paix durable ne naîtra non plus de l’illusion que l’allié américain saura, une fois ses élections passées, revenir à de meilleurs sentiments. Le monde a changé. Avec ou sans l’OTAN, l’autonomie stratégique européenne s’impose désormais comme une exigence. Cela mérite un débat citoyen, un choix européen fort parce qu’assumé. Les élections des 6-9 juin au Parlement européen nous en offrent l’opportunité. La sécurité et la défense de l’Europe doivent être au centre de la campagne électorale. Jamais sans doute le scrutin européen n’aura revêtu un tel enjeu. Il faudra aux listes et à leurs leaders présenter leurs choix, loin des tentations de la petite politique, des faux débats et des silences tactiques. Pleurer la mort de Navalny sans mentionner la responsabilité du régime de Poutine n’est pas très digne, omettre l’absence de soutien à son action dans le vote d’une résolution au Parlement européen ne l’est pas davantage. L’Europe mérite mieux que les petites lâchetés et des débats biaisés. Il faut poser les cartes sur la table, sans faux-fuyants, clairement, et agir pour la souveraineté de l’Europe, pour sa liberté et son destin.

2 commentaires

  1. Dufour

    Cher Pierre-Yves, je partage la vision européenne que tu défends dans cet article, et aussi souvent sur la boucle du Collectif CSDR. J’espère que tu trouveras une place éligible pour le scrutin européen de juin.

Les commentaires sont fermés.