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Quelques lueurs d’aéroport

Aéroport de Grenade-Jaen, Espagne, janvier 2024

Il y a deux semaines, j’ai accompagné mon fils de 12 ans pour une expérience à laquelle il rêvait depuis des mois : découvrir le pilotage d’un avion dans un simulateur de vol. C’était son cadeau d’anniversaire. Il était tellement heureux. Mon fils aime voler. Il aime le monde des avions, la liberté au-dessus des nuages, l’attention aux passagers. D’où lui vient cette passion ? Sans doute des voyages que nous avons effectués depuis la Belgique, où il est né et où nous vivons, vers notre famille espagnole et les grands-parents, en Galice et en Andalousie. L’avion a toujours eu pour lui un goût de bonheur parce qu’il annonce les vacances et les retrouvailles familiales. Il m’a expliqué qu’il aimerait être pilote de ligne. Je lui souhaite d’aller au bout de son rêve. Lorsque j’avais son âge, il y avait à la télévision une petite série, on appelait cela alors un feuilleton, qui s’appelait Les Faucheurs de marguerites. Cette série racontait les premiers moments de l’aviation par l’aventure et les espoirs de quelques jeunes héros. Je la lui ai racontée. Pour moi qui ne prenais jamais l’avion, suivre ce feuilleton fut vraiment fascinant. J’ai expliqué à Marcos que je ne suis monté dans un avion pour la première fois qu’à l’âge de 20 ans. L’époque n’était pas la même et ma vie n’était pas non plus comme la sienne.

Il est important de rêver, de pousser loin les limites de l’imaginaire, de vivre une vocation, de la réaliser. Aujourd’hui, voler n’a plus la même aura. C’est même mal vu. Je me souviens de la phrase de la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy, selon laquelle « l’avion ne doit plus faire partie des rêves d’enfants aujourd’hui ». C’était en 2021. Cette phrase m’avait choqué tant elle était empreinte d’une leçon de morale assénée sans la moindre nuance à des petits à qui il était enjoint de ne plus rêver. Demain pourtant, il y aura encore des avions. Personne n’ignore l’obligation de décarbonation qui s’impose à nous. J’ai suffisamment travaillé le sujet climatique ces dernières années pour le savoir et j’en parle souvent avec mes enfants. Ils sont conscients des limites de notre planète, de ce qu’il faut changer pour la sauver, et que cela passe notamment par la réduction de l’empreinte écologique de l’aviation. Mais cela ne veut pas dire proscrire l’avion, pointer du doigt celles et ceux qui l’empruntent, celles et ceux qui s’y consacrent professionnellement, en particulier pour inventer l’avion d’après. On ne peut interdire de rêver, de trouver comme d’autres générations inspiration dans la lecture d’Antoine de Saint-Exupéry et de Vol de nuit, en un mot de vouloir y croire.

L’époque que nous vivons est pleine d’injonctions, de propos péremptoires, de jugements sentencieux et définitifs. On en crève. Et si l’on commençait par faire confiance à la conscience de chacun, au sens de la responsabilité dont nous pouvons tous, individuellement, faire preuve ? On doit voyager mieux. Il y a quelques jours, j’ai remonté mes souvenirs pour lister les aéroports vers lesquels j’ai volé. J’ai remis la liste à mes enfants, que cela intriguait car c’était ma vie d’avant eux : 165 aéroports sur tous les continents. Ces voyages, dans leur immense majorité, étaient professionnels. Comme député, entre 2012 et 2017, j’avais émis par mes déplacements 163 tonnes de CO2, dont 150 tonnes en avion. A l’évidence, il faut faire mieux, et en l’occurrence moins. C’est possible. Si les facilités de visioconférence d’aujourd’hui avaient été disponibles alors, une bonne moitié de ces voyages aurait été inutile. Désormais, je me déplace moins et lorsque je le fais, c’est le plus souvent en train. Cependant, il y a des déplacements en avion auxquels je ne peux renoncer, pour des réunions importantes, pour des destinations lointaines vers un autre continent ou de l’autre côté de la mer. Et pour voir nos familles, parce que ces moments sont précieux dans une vie et que le temps ne s’arrête pas.

Nous vivons en Belgique. A Bruxelles, nous n’avons personne. Les grands-parents sont en Espagne et en France. Je dénie à qui que ce soit le droit de nous juger parce que nous prenons l’avion pour aller les voir de l’autre côté des Pyrénées. Et qu’ils prennent, eux aussi, l’avion pour venir nous voir en retour. Il y a des tas de familles comme la nôtre, des millions de familles vivant dans un autre pays, qui souhaitent voir les leurs. Durant le Covid, nous avons pu mesurer par l’isolement et par la peine ce que la distance géographique et l’impossibilité de se retrouver voulaient dire. Il aura fallu le malheur d’une pandémie planétaire pour le ressentir. Je veux que mes enfants passent le plus de temps possible avec leurs grands-parents, qu’ils apprennent à leur contact, que les histoires se transmettent entre eux, que leurs souvenirs pour la vie se construisent. Pour cela, il faut voyager. Et il faut le faire heureusement, fièrement, sans affronter ni subir le jugement de certains. L’ignorance et la caricature conduisent bien souvent à des postures morales et globalisantes. Voyager, c’est mal. Voler, c’est mal. Et le progrès, c’est sans doute mal aussi. C’est dingue qu’à l’approche du second quart du XXIème siècle, on en soit rendu à un tel pessimisme ambiant et à si peu de curiosité d’esprit.

Je lisais hier la tribune publiée dans Le Figaro par une ancienne Ministre de l’Education nationale. Elle propose de rationner l’accès à Internet. Trois gigas par semaine, et puis plus rien. Tout cela est tellement à rebours de l’évolution de l’économie, de la société, des libertés. Le numérique représente l’avenir pour nos entreprises, pour la création, pour l’innovation, pour les études, pour nos emplois, pour nos familles aussi. Les travers du numérique existent, mais pourquoi, encore, toujours, aller chercher l’interdiction comme réponse ? La lecture de cette tribune de Najat Vallaud-Belkacem écrite si loin de la vraie vie m’a affligé. Pour voyager moins, il faut plus de numérique. Ou alors je peux renoncer à travailler si je ne peux ni voyager ni passer alternativement le temps nécessaire devant les écrans. Imaginons que ce rationnement d’Internet soit mis en œuvre : devrais-je expliquer à mes enfants qu’il faudra restreindre les communications sur WhatsApp et Zoom avec les grands-parents parce que Papa, par son travail dans son petit bureau sous les toits, aura consommé une large part du quota numérique auquel la famille aura le droit ? Je ne crois pas que l’avenir doive s’écrire comme dans 1984, le roman de George Orwell, dans un monde de surveillance et de suspicion généralisées.

En janvier, j’avais raconté sur ce blog combien une chanson des années 1970, So far away from L.A., avait inspiré l’enfant, bientôt adolescent, que j’étais. Elle commençait par ces quelques mots : « Quelques lueurs d’aéroport… ». Ces lueurs sont les premières images qui me viennent à l’esprit lorsque je pense aux aéroports, ceux où l’on arrive, ceux d’où l’on part. Les lueurs sont des signes de vie, mais elles sont aussi des images incertaines, que l’on devine sans les distinguer nettement. Il faut imaginer ce qui se cache derrière elles, être curieux, vouloir aller vers elles. Depuis le cockpit de simulation de vol que découvrait mon fils Marcos, il y avait quelques lueurs d’aéroport. Assis derrière, en bon passager, je le regardais, fasciné, vivre pour la première fois un petit moment de ce que pourrait être sa vie de pilote demain. Il apprenait. Il posait des questions à son instructeur, qui lui répondait et l’encourageait, et c’était cela le plus important. Il faut ne rien s’interdire, ne rien interdire. Il faut encourager l’imagination, la générosité, l’attention aux autres, l’altruisme. Je suis persuadé que c’est possible, à condition de rompre avec la tristesse de notre époque. On n’entre pas dans l’avenir à reculons, on y entre avec envie, avec ses valeurs et avec ses rêves.

Marcos, à l’atterrissage – simulé – à l’aéroport de Grenade-Jaen, Belgique, mars 2024

2 commentaires

  1. MENARD-DOUCET Marie-Françoise

    @Pierre-Yves Le Borgn’ , Bravo et Félicitations, je partage à 200% ! Je suis bien vieille mais n’en peux plus de cette espèce de catéchisme à moult facettes, une dictature de la pensée, du comportement, déversée par Médias, politiques et autres personnes !Il y a des jours, je trouve que c’est encore pire que la discipline et la vie dans ma pension excellente pour le travail mais monacale et insupportable pour le quotidien.
    Nonobstant, quand nous étions en vacances, nous pouvions respirer, en respectant les êtres et les choses, sans subir la dictature de ces minorités écervelées et de ces dirigeants, des pseudo Messie qui ne savent faire qu’une tâche, à merveille : Nous assommer de #Taxes, d’#interdits et d’#Absurdités !
    J’ai la nostalgie de cette Sociale Démocratie, à la scandinave! Dans ces pays du Grand Nord, il y faisait bon vivre, on respectait les gens, l’écologie, la nature, strictement aux antipodes de ces Escrologistes, Ayatollahs Verts actuels !
    Quant aux politiques des pays démocratiques, en 2024, no comment !
    Ah si nous avions des élus, à votre image, des députés comme vous le fûtes, assurément, nous n’en serions point là ! Je ne pardonnerai jamais aux Frondeurs d’avoir démoli le PS, quant aux partis républicains, de droite et de de Gauche , ils ont été remplacés par un melting pot d’élus d’extrêmes droite et gauche, par un simulacre de parti, aux courants multiples, obéissant à leur Chef, un président, certes, très intelligent, qui n’a pas du tout pris l e meilleur de ce qui existait. Il voulait tout “Révolutionner”; seulement, au final, il a cassé , distribué sans compter, son #EnMêmeTemps est une catastrophe ! Son comportement laisse perplexe ; Il gouverne avec une météo ultra changeante, capable d’exprimer une idée et son contraire, en un laps de temps très restreint ! Que de boulevards ouverts aux extrêmes, c’est très inquiétant !I l est très fort en Paroles, toutefois, en Actes, c’est une autre histoire ! C’est bien en souvent “La montagne qui accouche d’une souris.”…
    N’est pas Gérard Collomb qui veut, pitoyable celle qui était prometteuse à ses côtés, à Lyon ; elle fut une très mauvaise ministre de l’EN qui sort, des absurdités, aujourd’hui ! Aurait besoin d’un petit stage en informatique et pas que…
    Quant à l’#AVION c’est l’un des moyens fabuleux pour découvrir la terre, à défaut d’être un cosmonaute!
    La première fois que je l’ai pris, j’appréhendais ; les appareils d’alors étaient loin du confort des actuels ; c’était pour éviter les 52 heures de train,Paris-Palerme, car j’avais été vaccinée avec les 28 H pour aller en Italie du Sud, l’année d’avant !
    Depuis, j’ai toujours adoré et n’ai même plus peur, lors des turbulences;
    Alors, oui il faut arrêter de culpabiliser adultes et enfants, bien sûr que le gaspillage est insupportable, ne pas respecter la nature, l’environnement, également !
    Simplement, si tous les enfants de France, d’Europe et d’ailleurs étaient éduqués comme les vôtres, eh bien, nous n’en serions point là !
    Assurément pour découvrir et rendre visite à leurs antécédents, vos chers anges ne vont pas enfourcher des bicyclettes, l’avion est aussi plus rapide que le train pour les longues distances.,..
    Rien d’autre que l’avion pour aller voir vos enfants en Californie, à Montréal et c’est extra !
    Les adeptes de la “Moraline” pour autrui sont de moins en moins crédibles, quand on constate ce que réalise la maire de Paris et son staff, en dilapidant un argent fou et en saccageant la #VilleLumiere, il y a de quoi avoir un sacré “Spleen”…..
    J’ai retenu cette maxime, apprise au catéchisme, “Les chiens aboient, la caravane passe.”
    Alors oui, @Pierre-Yves Le Borgn’, laissez braire tous ces inconséquents qui ne vous arrivent pas à la cheville ; rassurez votre si magnifique Trio, leur modèle est avant tout, à domicile, avec vous !
    Tous mes souhaits pour continuer à leur faire découvrir combien la terre regorge de merveilles, de peuples sympathiques et divers, de vestiges historiques, à les emmener découvrir
    cette délicieuse Californie que vous aimez beaucoup et d’où c’est difficile de revenir. ️ ️ ️ ️

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