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Défendre la primauté du droit européen

Photo: Yury Rymko de Pixabay

L’Union européenne est une communauté de droit, une communauté de valeurs, une communauté de destins. Y adhérer n’est pas simple et c’est tant mieux. Pour entrer, il y a des critères à respecter, des engagements à prendre. Ils ne valent pas seulement pour le jour de l’examen, ils valent aussi et surtout pour l’après. Adhérer à l’Union, c’est en accepter le fonctionnement, les règles et l’ordre juridique. C’est se conformer aux principes fondateurs, à l’architecture institutionnelle et à toutes les dispositions des Traités. La primauté du droit européen sur le droit national fait partie de ces obligations qui lient tout Etat membre. Respecter la primauté n’est pas une suggestion, c’est un devoir et il ne souffre aucune exception. Si demain un Etat membre décide d’inverser la perspective et considère qu’il appliquera désormais le droit européen seulement lorsqu’il sera en accord avec lui et que cela lui profitera, alors s’en sera fini de l’Union européenne. La primauté du droit européen et le rôle éminent de la Cour de Justice de l’Union européenne s’imposent. Aucun Etat membre n’est forcé d’adhérer à l’Union européenne. Si on le fait, on ne saurait dès lors opposer à l’ordre juridique que l’on a choisi librement et souverainement de rejoindre une norme ultérieure issue du droit national.

Hier, jeudi 7 octobre, le tribunal constitutionnel polonais a jugé incompatible avec la Constitution du pays une partie des Traités européens. Ce faisant, elle a affirmé que si primauté il y a, elle est celle du droit polonais. Appelons un chat un chat : c’est une agression à l’égard de l’ordre juridique de l’Union européenne et de l’Union elle-même. A ce jugement, la présidente du tribunal a ajouté ses commentaires, dénonçant pêle-mêle « l’ingérence de la Cour de Justice de l’Union européenne dans le système juridique polonais » et assurant que « des organes européens agissent au-delà de leur compétences », propos bruyamment acclamés dans la foulée par le gouvernement polonais, tout à sa bataille de plusieurs années contre l’indépendance de la justice et la capacité des juges polonais d’appliquer le droit européen. C’est précisément de cette réforme judiciaire controversée, à l’encontre de la séparation des pouvoir, que ce jugement traite. Tant d’efforts pour mettre le tribunal constitutionnel sous coupe réglée devait nécessairement y conduire. Exit donc la primauté du droit européen en Pologne. Et après, business as usual ? Un versement de 57 milliards d’Euros au titre du plan de relance, payés par les pays et citoyens qui, eux, respectent la règle du jeu ?

Il est temps d’arrêter la comédie. On ne peut faire un gigantesque bras d’honneur à l’Union européenne comme hier à Varsovie et lui demander cependant de passer à la caisse au nom de la solidarité qui serait due à la Pologne, comme s’il n’existait plus pour elle que des droits et aucun devoir. C’est insupportable. Il est de la responsabilité des institutions européennes et des autres Etats membres de défendre la primauté du droit de l’Union et de le faire savoir à la Pologne de la manière la plus directe, en refusant de lui verser le moindre Euro. L’Union européenne ne peut se montrer indécise ou faible face à ce qui est une attaque frontale et préparée à l’égard même de sa raison d’être. La Commission doit tenir bon et sentir derrière elle le soutien résolu du Parlement européen et du Conseil. Elle a eu raison le mois passé de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne pour que des amendes quotidiennes soient infligées à la Pologne jusqu’au retrait des réformes judiciaires au centre du jugement du tribunal constitutionnel hier. Dans le bras de fer engagé avec le gouvernement polonais, parce qu’il porte sur des questions essentielles de droits et de valeurs, il est indispensable que l’Union européenne se défende et mobilise toutes les voies de droit possibles.

La Pologne est au cœur de l’Europe. Elle a toute sa place dans l’Union, à condition cependant de la respecter. Aucun pays candidat ne serait admis dans l’Union européenne si sa législation permettait sous couvert d’une chambre disciplinaire un contrôle politique effectif sur les juges, leurs nominations, leur avancement et leur carrière. Que dire alors d’un Etat membre qui s’autorise un tel pas en arrière en matière d’Etat de droit ? Il est difficile de prétendre durablement rester membre de l’Union européenne en mettant ainsi la justice au pas, en ignorant les arrêts et ordonnances provisoires de la Cour de Justice de l’Union et en rejetant désormais la primauté du droit européen. In fine, sans même quitter l’Union, le jugement d’hier a déjà un triste parfum de sortie car il exprime le rejet des règles les plus fondamentales.  Dans un pays où l’appartenance à l’Union européenne est soutenue par quelque 80% de la population, cette situation est surréaliste et politiquement confondante. Personne ne souhaite de mal à la Pologne, tout le monde la veut dans l’Union, à la hauteur de sa grande et belle histoire. Mais pas au prix de la déconstruction de l’œuvre communautaire et d’une épreuve de force insensée au regard de ce que fut le choix du peuple polonais de rejoindre l’Union en 2003.