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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

A l’année prochaine

A l’Ile-Tudy, rue des Vagues, penser à demain

Il y a deux jours, nous avons retrouvé Bruxelles au terme d’un long périple qui aura conduit la famille en Galice, puis en Bretagne. Mes enfants et mon épouse avaient effectué le voyage vers la Galice en avion. Parti quelques semaines après eux, j’ai tout fait en auto. En raison de la crise sanitaire, les vols qui nous permettaient les étés précédents de passer de Galice en Bretagne n’existent plus. J’ai traversé la France, puis l’Espagne verte avant de faire la route inverse vers le Finistère, puis la Belgique. Cela représente du chemin, mais je ne l’ai pas senti vraiment passer. Le besoin de vacances, de partir, de se vider l’esprit après une année aussi difficile était irrésistible. J’ai vu les Pyrénées, longé les côtes de Cantabrie et des Asturies avant d’arriver en Galice. La Galice me touche beaucoup. Le Breton que je suis y retrouve l’océan, mais aussi le monde celtique. C’est une Espagne moins connue, moins classique, surtout en temps estivaux. Il y a dans l’air, sur les côtes, dans les ports et dans les paysages beaucoup de choses qui me rappellent chez moi. Nous sommes allés en famille à Saint-Jacques de Compostelle, là où arrivent les marcheurs après un long, parfois très long périple. Cette aventure vers Saint-Jacques me fascine. J’aimerais un jour y arriver à mon tour, fourbu et heureux, en paix.

Je ne sais pourquoi j’associe depuis toujours les vacances d’été à une symphonie de couleurs et de senteurs. L’hiver belge est certes un peu gris, mais la Belgique ne manque pas de couleurs pourtant. Les vacances sont comme une libération : s’en aller, se ressourcer, lire, se reposer, oublier le quotidien, se retrouver, nous retrouver. Mes souvenirs d’été sont ceux d’une voiture qui file vers le sud, chargée et heureuse, en partance vers un petit coin tranquille et libre. Ils sont aussi ceux des plages et des bords de mer, sous un ciel généreux, entre rires d’enfants, jeux et baignades. L’été doit être simple. Mes enfants sont jeunes. Ils profitent avec bonheur de leurs grands-parents (et les grands-parents profitent beaucoup d’eux aussi). Ils jouent, ils apprennent. Il y a le golf en Galice, la voile en Bretagne. Je suis moins calé en golf qu’en voile. Sur le green, j’essaie de suivre, je suis leur élève. Sur le bord de l’eau, le matin avant de prendre la mer, en début d’après-midi à la descente du bateau, je conseille. Et perché sur un rocher, je filme et photographie les premiers bords, les premiers empannages, les premières galères – cela arrive – et la quasi-entrée de Pablo en Optimist dans le port de Loctudy au milieu des chalutiers la semaine passée. Des tas de clichés à regarder avec nostalgie quand vient l’hiver.

Deux étés ont passé par temps de crise sanitaire. L’esprit libre des étés d’avant m’a manqué, leur légèreté aussi. Entre l’été 2020 et celui-ci, il y a eu le vaccin, mais les distances, la prudence, les gestes barrières et les masques demeurent. Nous avons appris à vivre avec, même en vacances, au point peut-être de ne plus y penser. C’est le plus triste. Quand viendra la fin de la pandémie ? L’état du monde, les crises et les incertitudes sont redoutables. Avec mes enfants, j’ai regardé les Jeux Olympiques, leurs premiers réels JO. Ils ne voyaient que les exploits des athlètes – et c’est tant mieux – quand je voyais d’abord les stades et les tribunes vides de Tokyo. Où était la fête planétaire de l’olympisme, celle que l’on attend si longtemps, celle dont on rêve tous les 4 ans ? Le retour des talibans, le complotisme des antivax, les méga-feux, les tempêtes et les drames du climat ont marqué aussi l’été. Il n’y avait pas dans l’air de l’été 2021 que de l’espérance. Il y avait également de l’inquiétude pour demain. J’y vois un appel au civisme, à la responsabilité, au sens du réel. Dans un an viendra l’été 2022. Cet été d’après dépendra beaucoup de nous, de ce que nous ferons d’ici là. De rendez-vous avec nous-mêmes, de rendez-vous collectifs, de volonté et de sursaut. Et aussi d’élections.

Le matin, à l’Ile-Tudy, j’entendais le bruit des vagues tout près de notre maison. A 7 heures 35, le soleil se levait sur la plage. Je l’ai rarement manqué. Parfois, j’avais en tête encore les pages de livres lues la veille. Assis sur le petit banc face à l’océan ou simplement sur le sable, j’attendais les premières lueurs, avec les oiseaux de mer. Ces instants sont merveilleux. Ces quelques minutes qui voient l’astre s’annoncer à l’horizon valent tant pour la beauté des choses qu’elles révèlent. Je les ai même filmées, avec le mouvement de la mer en écho et les cris de quelques mouettes certainement aussi. La nature, le calme, les livres ont été au cœur de mon été. J’ai eu le bonheur de rencontrer Marie Sizun, dont j’avais lu nombre de romans. Nous avons l’Ile-Tudy en commun. Marie est venue dîner chez nous un soir. Il y a La Maison de Bretagne, primé cette année, mais aussi La gouvernante suédoise, Les sœurs aux yeux bleus et Le père de la petite dont la lecture m’avait bouleversé. Une histoire de famille impressionnante que Marie nous a raconté avec douceur et pudeur, à l’image de son écriture; belle et forte. Rien n’est plus passionnant que d’entendre une femme de lettres parler de son œuvre, de ses écrits, de son histoire, de ce qui conduit un jour à oser écrire pour ne plus s’arrêter.

C’était l’été 2021. Depuis mon petit bureau, sous les toits de Bruxelles, je rassemble maintenant les souvenirs. Il y a les photos, mais pas qu’elles. Je repense à cette soirée passée à l’Ile-Tudy avec les jeunes d’une colonie, à qui mon amie Stéphanie Chevara m’avait demandé de venir parler du climat et de l’environnement. Leur colonie associait le théâtre et la nature. Ils préparaient une pièce de Dario Fo. Nous avons échangé sur la fragilité de ce petit coin où nous nous trouvions, qu’ils apprenaient à découvrir et que Stéphanie et moi connaissons depuis toujours. La nuit tombait doucement sur la ria que nous apercevions par la fenêtre. J’avais une petite voisine à table, âgée de 11 ou 12 ans, qui découvrait la mer pour la première fois. Ce qu’elle m’en disait était tellement émouvant. Au bout de nos échanges, elle s’était endormie, de fatigue et d’émotion sans doute aussi. C’est cette image que je garderai de l’été qui s’achève, quand vient le temps de se dire « à l’année prochaine », cette formule de l’enfance que j’ai conservée. L’année prochaine, c’est dans longtemps, pensais-je alors. L’année prochaine me paraissait si lointaine. Le temps qui passe m’a appris que ce n’est pas si vrai, que l’année prochaine se prépare dès maintenant pour que le futur soit meilleur. Et que l’esprit des vacances dure longtemps.

Par la fenêtre du centre de colonie Berry-Tudy le 25 août au soir
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Mon jour le plus long

Le 23 août 1991 restera pour toujours gravé dans ma mémoire. Rien de spécial ne s’était pourtant passé dans le monde ce jour-là. Pas de catastrophe, pas de coup d’Etat, aucune élection en vue. J’habitais Los Angeles. Comme tous les matins, je m’étais levé tôt pour aller prendre mon bus afin de rejoindre le travail. Fauché comme les blés, je n’avais pas un sou vaillant pour me payer une voiture, même pas une vieille guimbarde. Dans une ville comme Los Angeles, ne pas avoir de voiture était (et reste) considéré comme le symbole de la dèche avec le plus grand D. De fait, les transports publics, pour le peu qui existe, y sont une vraie expérience. En arrivant à mon bureau ce 23 août, j’ignorais tout de la journée et de la nuit de folie qui allaient suivre. J’étais stagiaire dans une chaîne de magasins d’articles de sport. J’y faisais un peu de tout, depuis le coup de balai dans le « stock room » jusqu’à la saisie informatique des achats de marchandises en passant par la vente au rayon … aérobic d’un des magasins.

La boîte était sur le petit bord. Cela sentait largement le roussi. La fermeture serait d’ailleurs actée l’année suivante. Les magasins étaient beaux et grands, mais les clients préféraient les concurrents moins chers. Nous avions lancé une série de soldes en août, largement annoncées dans le Los Angeles Times. A compter du 24 août, il devait y avoir dans nos 3 magasins de Californie du sud des réductions de 50% sur les skis et les combinaisons de ski. Or, ce 23 au matin, le chauffeur-livreur de la société s’était fait porté pâle à la surprise de la direction et aucun des 3 magasins n’avait encore été livré. A 24 heures tout au plus du grand jour, un désastre commercial s’annonçait. C’est alors que mon boss décida que, à la guerre comme à la guerre, le stagiaire français s’improviserait chauffeur. J’étais tétanisé. Je n’avais conduit tout au plus que 2 ou 3 jours aux USA, toujours au volant de voitures de location. Le coup de grâce me fut porté lorsque le boss ajouta qu’au vu du volume de marchandises à transporter, nous louerions un camion plutôt que d’emprunter la fourgonnette de l’entreprise.

Je n’avais bien entendu pas le permis camion et cela n’empêcha pas pourtant mon boss de louer le véhicule sur la base de mon permis de conduire international auquel personne ne comprenait rien et de me lancer sur la route sans plus attendre. Mes protestations restèrent vaines. Comme je devais quand même avoir l’air torturé, il décida à la dernière minute de m’adjoindre un jeune vendeur du magasin de Beverly Hills, censé me guider et me tenir compagnie, mais en aucun cas conduire. Il devait également m’aider à charger et décharger la marchandise. A l’arrivée, le gars ne savait même pas lire la carte et avait zéro conversation. Il finit par s’endormir sur le siège du passager. Quant à la marchandise, elle valsa au premier virage, à l’occasion duquel je montai d’ailleurs allègrement sur le trottoir. Le camion s’avéra trop petit à la pratique et il me fut demandé de bien vouloir faire un second tour dans l’après-midi (pensais-je…). Sur les autoroutes à 6 voies de Californie, je conduisais la trouille au ventre, transpirant à grosses gouttes, genre Montand et Vanel dans Le salaire de la peur.

C’est qu’il me fallait en effet faire du chemin : Beverly Hills – Newport Beach, Newport Beach – Glendale et Glendale – Beverly Hills. Quelques bonnes centaines de kilomètres dans une chaleur de four, avec un air conditionné plus que défaillant, une circulation de folie et des heures de retard sur le planning fixé par le boss. A chaque fois que je changeais de voie, j’avais crainte de rouler sur une voiture. A l’arrivée à Newport Beach, faisant marche arrière à l’entrée du magasin, j’avais déjà éraflé le camion contre un mur. J’ignorais que le CEO de l’entreprise se trouverait au magasin. Et lui-même ignorait que le chauffeur qu’il verrait sortir du camion serait le stagiaire français. S’en suivirent deux magistrales avoinées, l’une pour moi et mon acolyte mutique pour le désastre des skis et combinaisons enchevêtrés dans le camion, l’autre pour mon patron à qui il fut reproché d’avoir lancé d’autorité sur la route une personne sans expérience ni permis adéquat avec des centaines de milliers de dollars de marchandises !

De retour à Beverly Hills en fin d’après-midi, alors qu’il me restait un autre tour complet à faire, mon copilote prétexta un besoin irrépressible de voir sa copine pour se débiner… C’est donc seul que j’entamai le second tour alors que la nuit se couchait progressivement sur le Pacifique. Je maîtrisais un peu mieux le camion, mais je restais bien angoissé. Les téléphones portables n’existaient pas à l’époque et c’est du magasin de Newport Beach que j’appelai mon boss pour lui demander que faire du camion à la fin des livraisons. Il me répondit de le garer sur le parking de la boîte et de prendre un taxi pour rentrer chez moi. Il était minuit lorsque j’arrivai au parking, qui n’était pas fait pour les camions, uniquement les voitures. Ajoutant à cela ma maladresse et ma fatigue, je montai sur le trottoir, roulant sur les fleurs et un petit sapin pour me retrouver finalement accroché (« en distribil », dirait-on chez moi en Bretagne) par un muret. Et en moins de deux minutes débarquèrent des vigiles avec des lampes torches et des molosses très peu engageants…

Inutile d’insister sur le côté pathétique de la scène. Un pauvre type apeuré, l’air épuisé et expliquant tant bien que mal ses misères à quelques brutes épaisses avec un bel accent français. Il fallut réveiller le boss et lui présenter la situation. La solution fut … de me renvoyer à la maison en taxi avec instruction de réapparaître pour 5 heures du matin afin d’appeler une grue pour déloger le camion avant l’ouverture des bureaux à 8 heures. Je ne fermai pas l’œil de la courte nuit et montai sur mon vélo dès 4 heures, traversant les quartiers dangereux de Los Angeles, la trouille au ventre. Je m’installai dans la loge du concierge et commençai à appeler les sociétés de dépannage. Deux ou trois me raccrochèrent au nez en croyant à une plaisanterie. Sans doute mon accent français. Jusqu’à ce qu’une entreprise finisse par m’écouter et envoie un vieux gars sympathique (et édenté, je m’en souviens encore !) me donner le coup de main salutaire. Pour 7 heures, le camion était redressé. A 8 heures, il était rendu à la société de location, qui ne vit même pas les éraflures…

J’étais cuit de fatigue, autant moralement que physiquement. C’était Voyage au bout de l’enfer, version urbaine, les conneries en plus. Le boss n’en menait pas large. Le CEO vint me voir … pour me présenter ses excuses au nom de l’entreprise. Il plaisanta sur l’utilité des assurances pour couvrir les sapins et les fleurs écrasés par les stagiaires. Je devais avoir un air de chien battu dans mon uniforme trop grand, logo sur la poitrine, des valises sous les yeux. La logique aurait voulu que l’on me donne la journée de repos après une telle aventure. Mais non, il fallait continuer à bosser. Business is business. Les soldes que j’avais sauvées la veille avaient commencé. La boîte jouait gros sur cette journée et nous étions tous sur le pont. Je n’en pouvais plus. J’allais de travers dans les couloirs et je finis par tomber endormi sur la moquette de mon bureau dans l’après-midi. C’est mon boss, poussant la porte, qui me réveilla et réalisa enfin l’absurdité totale de cette situation. Il chargea mon vélo dans sa voiture et me conduisit illico chez moi. Le repos, enfin, m’attendait. Quelque chose comme 15 heures de sommeil non stop…

Tous les 23 août, je repense à cette aventure. Cela fait 30 ans aujourd’hui. La prescription est depuis longtemps dépassée. Je peux désormais largement en rire. Il le faut, d’ailleurs. C’est à l’image de ce que fut ma vie américaine. Quelques belles galères, qui forment la jeunesse. Disons que j’ai vécu l’Amérique à la dure ! Et j’en ai aussi beaucoup appris. Je chéris sincèrement mes années californiennes, qui furent initiatrices, malgré la dinguerie de certaines situations comme celle-ci il y a 30 ans. Mon boss d’alors est devenu un ami précieux. Il nous arrive parfois d’évoquer ce jour d’aventure. A part cela, je n’ai plus jamais conduit de camion depuis le 23 août 1991. Et je n’ai bien sûr jamais passé le permis pour cela.

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10 ans

Août 2021

C’était le 19 août 2011, peu avant 9 heures. Un soleil timide se faufilait entre les rideaux de la chambre. Clinique Edith Cavell, Uccle. La nuit avait été longue. Le petit bonhomme se faisait attendre. Il arriva enfin. Les premiers cris signalèrent un bébé vigoureux et en heureuse santé. Cheveux rares, voix claire, Marcos était né. Sa maman était fourbue et son papa bouleversé. Tant de bonheur, tant d’émotion aussi. Ce matin du 19 août 2021, cela fait 10 ans. 10 ans que Marcos a rejoint nos vies, 10 ans que je suis devenu papa. Je repense souvent à ce jour-là, au mélange de joie, de fierté, de responsabilité et d’appréhension aussi que j’avais ressenti. Une nouvelle vie commençait, avec ce petit être qui occuperait nos jours et nos nuits, qui en deviendrait le centre avant, quelques années plus tard, de partager cet espace avec son petit frère, puis sa petite sœur. Il s’appellerait Marcos, nous l’avions décidé quelques jours auparavant. Vint un second prénom, Jeannot, celui d’un oncle que j’aimais beaucoup, parti au début du printemps et dont je voulais honorer le souvenir. Un trait d’union entre les histoires andalouse et bretonne, entre hier et demain. Né à Uccle, d’une maman espagnole et d’un papa français, Marcos possède les deux nationalités. Et il pourra aussi devenir belge à ses 18 ans.

Je revois ses premiers jours, entre la clinique et la maison, les visites, les visages réjouis, le nombre conséquent de bouteilles de champagne consommées. Les bulles et le biberon, c’était le match de l’été. Il y avait les cadeaux, les peluches, les petits habits. Je ne me lassais pas de le contempler. Mon appareil photo était en surchauffe, je crois bien. Les nuits étaient courtes et sans grand sommeil. Curieux sentiment que celui de tenir debout par habitude, au risque parfois de mésaventures plutôt cocasses. Quelques jours après la naissance de Marcos, me rendant en Flandre, je m’étais retrouvé à vider fébrilement une poubelle d’autoroute en costume et sous une pluie battante. J’y avais jeté certes le gobelet de café que je venais d’achever pour tenter de rester éveillé, mais aussi les clés de ma voiture… A la maison, dans son berceau, Marcos copinait avec plusieurs doudous venus de divers coins d’Europe, et un en particulier, un petit ours bientôt appelé Martin et qui sera le héros de son enfance. Ses sourires étaient fréquents. Lorsque passait mon petit doigt à proximité de sa main, Marcos l’attrapait et ne le lâchait plus. C’est sans doute cette proximité, ce besoin de se toucher, autant le sien que le mien, qui reste le souvenir le plus vif des premières semaines et des premiers mois.

Dix ans, c’est peu et beaucoup à la fois. C’est peu au regard d’une vie que l’on doit souhaiter la plus longue possible. Et c’est beaucoup car cela représente déjà une belle part d’enfance. Je repense au premier Noël de Marcos, à sa première assiette de légumes, à son premier jour à la crèche, au début de pneumonie qui menaça aussi son premier hiver. Vinrent le printemps et les beaux jours. C’était 2012. Elu député, je ramenai un soir mes nouveaux insignes, l’écharpe et la cocarde. Marcos se saisit prestement de la cocarde, bleue, blanche et rouge, qu’il pensait être une glace et se mit à la lécher, espérant y trouver une douceur … républicaine. Il reste de cet instant hilarant un cliché qui m’accompagne encore. De l’Assemblée nationale, Marcos fut un visiteur régulier, jusqu’à se faufiler dans l’Hémicycle avec moi un matin, juste avant le début de la séance, avec la bienveillante complicité d’un huissier pour une photo à mon banc. Un moment partagé, dont il s’amuse aujourd’hui pour rappeler qu’il fut aussi de cette aventure-là. A l’égal de la soirée des 50 ans de l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse dans les jardins de Matignon et de sa rencontre impromptue avec le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Marcos était déjà curieux, attentif, observateur aussi. Il l’est resté.

Il y eut les premiers pas, les premières courses, les premières brasses, les premiers amis. Les premières peines aussi. Une image me poursuivra longtemps : son regard par le hublot d’un avion volant vers l’Espagne, scrutant désespérément le ciel pour y apercevoir mon père, son Papi, disparu peu de temps auparavant. Ce moment-là, pour moi, fut bouleversant. C’est une part d’innocence que je n’oublierai jamais. Marcos est doux et attentif, ouvert et sensible, au risque que les vicissitudes de la vie puissent lui être cruelles. Je me souviens de son chagrin le soir de ma défaite à l’élection du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. C’était au début 2018. Il avait 6 ans. Je n’avais pas imaginé que ce dénouement puisse ainsi l’affecter. J’avais tort. Sa peine m’avait touché au plus profond. Elle a contribué à ma décision de m’éloigner de la vie publique pour un temps, pour le protéger, lui comme les miens. Protéger, sans doute est-ce à quoi je me suis le plus efforcé, sans vivre pour autant à l’écart de la vraie vie, mais pour rendre l’enfance de Marcos, de son frère et de sa sœur, heureuse et juste. Par l’école, par le sport, par les amitiés, par l’échange, par les passions. Cela veut dire des tas de livres et des tas de ballons, des sorties à vélo, des soirées devant Louis de Funès ou Pierre Richard aussi.

C’était il y a 10 ans. Le temps file vite. J’écris ces lignes face à la mer et dans l’écho des vagues. C’est l’été. Tout à l’heure, Marcos voguera sur son Optimist entre l’Ile-Tudy et Loctudy, comme hier, comme demain. A part qu’aujourd’hui, son âge s’écrit désormais à deux chiffres. Il en est fier, comme s’il passait un cap. Et c’est un cap. Chaque âge est une découverte. Je n’en finis pas de lui raconter Marcel Pagnol, ses histoires, sa vie, ses romans, ses films, ses personnages tant la lecture de La Gloire de mon père fut pour lui une révélation. Cela tombe bien, j’adore Pagnol. Il y a aussi le foot et l’appel à mes souvenirs lointains, bien avant Mbappé, Griezmann et même Zidane, c’est dire ! Heureux et légers, ces sujets-là, un jour, feront place à d’autres, différents, plus complexes et rudes, ceux de l’adolescence. Ce temps viendra. Je serai prêt aussi. Le bonheur que je ressens comme père est d’accompagner Marcos sur les chemins de la vie, de le guider, de l’aider, de le voir s’affirmer librement. On n’est rien sans affection, celle que l’on reçoit, celle que l’on donne. Je l’ai appris des miens. C’est ce que je tiens à transmettre à mon petit bonhomme, dans le souvenir de ce 19 août 2011, pour que l’attention aux autres, la générosité et la beauté d’âme demeurent à jamais en lui.

Août 2011
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La route de l’Ile-Tudy

Demain, je prendrai la route de l’Ile-Tudy. Il me restera 3 ou 4 bons kilomètres d’ici à la Pointe, depuis ce croisement de Combrit que mes enfants ont baptisé, été après été, « le carrefour de Super U », devenu mythique dans leur tête et un peu aussi dans la mienne, il faut bien le dire. Le chemin aura été long, près de 2 000 kilomètres depuis la Galice, d’un Finistère à l’autre. Chaque année, ce moment où notre voiture glisse doucement vers l’Ile-Tudy est magique. Il y a dans cette ligne droite en pente douce la promesse de ciels bleus, d’une longue plage au sable fin et de couchers de soleil immenses que l’on garde au cœur ensuite durant des mois, quand l’hiver vient et le froid avec lui. Comme la récompense d’une longue attente et, en cette rude année, d’un espoir auquel nous nous rattachions de toutes nos forces : revoir l’Ile-Tudy, y retourner, y retrouver enfin le temps léger et heureux des vacances. Ce temps est venu et il a la belle saveur de la récompense. Bientôt, la voiture longera l’étang, elle croisera les premières jardinières de fleurs. A gauche, le tennis, en face la mer. Nous tournerons vers la droite, poursuivant vers la Pointe. Ce sera Pen an Truck, puis la maison, la même depuis plusieurs étés. Sur la plage, il y aura une petite foule jeune et joyeuse. Nous nous joindrons vite à elle.

Longtemps, j’ai observé l’Ile-Tudy depuis Loctudy, où je passais mes vacances au temps de l’enfance. Je regardais l’Ile-Tudy du port, entre les chalutiers, intrigué par cette Pointe de l’autre côté de la Perdrix, la balise à damiers noirs et blancs d’entrée du chenal. Les petites maisons blanches de pêcheurs serrées les unes aux autres me touchaient. Elles racontaient une histoire, des vies dures, la difficulté certainement de vivre sur ce bout de terre, le sens de la solidarité aussi. Un petit bac liait l’Ile-Tudy et Loctudy. Avec ma grand-mère, je l’avais pris parfois. Loctudy n’était alors qu’un port de pêche. Nous allions d’une cale à l’autre, quelque dix minutes d’une grande aventure. A l’Ile-Tudy, il n’y avait pas les chalutiers, les grands bateaux hauturiers et sans doute cela manquait-il à l’enfant que j’étais. Mais il y avait à la descente du bac une infinie douceur, un calme contagieux, des couleurs irrésistibles de la mer et du ciel dont je devins peu à peu accro, à mesure que venaient les années. D’un côté la ria, de l’autre la mer, sur lesquelles je lançais plus tard ma planche à voile selon les vents et la marée, tirant mes bords vers l’Ile Chevalier, visant Men Bret du côté de l’océan. Aujourd’hui, je ne monte plus trop sur la planche à voile, mais mon kayak de mer prend les mêmes destinations. On ne se refait pas.

Pourquoi l’Ile-Tudy ? Sans doute pour tout cela, pour un état d’esprit aussi, pour la gentillesse et la chaleur des gens, pour leur simplicité et leur authenticité. Après-demain, lorsque viendra notre premier matin îlien, j’irai à l’épicerie locale, au coin de l’église, acheter mon journal, mais surtout ma part de far breton. Il n’y a pas de vacances sans far. Je serai un touriste parmi d’autres, certes un peu plus habitué et plus local, à la mine réjouie, sereine et gourmande. Le premier matin, mon bonheur sera de cheminer le long de l’océan, sur le boulevard du même nom, de longer le cimetière marin, de tenter d’apercevoir les Glénan entre les draps qui sèchent, de courir dans l’air marin de la Pointe au Treustel et peut-être même plus loin, jusqu’au phare de Sainte-Marine, entre la dune et les polders. Je pousserai certainement aussi jusqu’au port, à pied ou sur mon vieux vélo, pour humer le vent dans le chenal, à la recherche aussi du calendrier des marées. Les marées basses avec les épuisettes et les seaux, les marées hautes avec les pelles et les râteaux n’ont plus de secrets pour mes enfants. Je crois que j’en ai fait de petits îliens, au moins par le cœur. La plage et l’école de voile y sont pour beaucoup. Ils se construisent à l’Ile-Tudy de beaux et grands souvenirs pour la vie.

Tout est là. Un jour, j’aimerais rester plus longtemps à l’Ile-Tudy que le seul temps des vacances, m’asseoir face à la mer, écrire, lire, photographier. Prendre le temps, beaucoup de temps, ne plus être juste le visiteur régulier que je suis, mais devenir un îlien à mon tour. J’aimerais affronter la diversité des saisons, regarder la mer changer de couleurs, voir venir le vent d’hiver et les tempêtes, agir aussi pour ce petit coin fragile que j’ai appris à aimer et dont il faudra transmettre la magie et la beauté aux générations d’après pour qu’elles le protègent à leur tour. Je serais heureux que la vie me donne cette chance. Il faudra trouver la maison, le bout de vue sur la mer ou la ria, loger la smala et les amis. Qui sait, ce moment viendra peut-être. Au fond, quand cesse-t-on d’être un vacancier pour devenir, peu à peu, un habitué, un passionné, un amoureux des lieux ? Je ne le sais pas vraiment.  Je crois bien que j’aurai tout cela à l’esprit au moment de passer « le carrefour de Super U », au volant de ma vieille auto, prêt à sortir les valises, les vélos, le kayak, les ballons et les cerfs-volants, comme chaque mois d’août, dans l’été bigouden déjà bien avancé, pour faire ma provision de couleurs, d’images, d’iode et de bonheur. Il y a comme cela quelques kilomètres qui sont des promesses.

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