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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

Nationale 7

Je suis un enfant des années 1970. J’ai le souvenir des petits transistors qui grésillaient. Il y en avait plusieurs chez nous. Je me souviens de l’un d’entre eux, tout orange, sur lequel mon père avait écouté en direct la finale de la Coupe du monde de football de 1974. Nous étions dans un parc à Tours. Il ne fallait pas le déranger. C’était juillet, j’avais 9 ans et ma sœur 7 ans. Ces petits transistors ont marqué mes premières années. On ne captait pas toujours bien la station de radio, les chansons ou les informations. Il fallait tendre l’oreille, jouer sur la mollette, parfois même déplier une petite antenne. J’aimais les transistors l’été lorsqu’ils donnaient les nouvelles de « la route du Tour ». Et souvent aussi l’état des bouchons sur une route dont on parlait tout le temps, mais que je ne connaissais pas : la Nationale 7. De temps en temps, chez l’une ou l’autre de mes grands-mères, je voyais à la télévision des images en noir et blanc de cette route. C’étaient de longues files de voitures, les unes après les autres, avançant au pas ou n’avançant pas du tout. Sur les toits, il y avait souvent des valises. Les gens roulaient vers les vacances et ils étaient nombreux. Pour nous, en Bretagne, c’était exotique. Ils allaient dans le Midi, une destination lointaine, vaguement incertaine pour moi, et que je devinais chaude.

C’est comme cela que la Nationale 7 est entrée dans ma vie, sans que jamais nous ne l’empruntions. Je ne suis allé sur la Nationale 7 que longtemps après, à l’âge adulte. Elle était désormais reléguée. Les vacanciers lui avaient préféré les autoroutes construites dans l’intervalle. J’ai emprunté la Nationale 7 sur quelques dizaines de kilomètres, jamais davantage. Il n’y avait plus de bouchons, mais les platanes étaient encore là, l’esprit des vacances aussi et la chanson de Trénet également. Ce devait être merveilleux de rouler vers le sud, de Paris vers Menton, ou vers Sète aussi. Et inversement tellement déprimant d’en revenir, vers le nord, les vacances finies. Jusqu’à hier, j’avais toujours roulé seul sur la Nationale 7. Je n’avais eu personne à qui confier cette émotion guère explicable, venue de si loin, de ces jeunes années et des souvenirs de nos petits transistors grésillant sous le soleil de l’été. Mais hier, revenant de Savoie avec ma famille, je me suis aperçu que nous étions tout près de la Nationale 7. Je n’y avais pas pensé plus tôt. Je l’ai prise et, peu à peu, j’ai commencé à partager ces images lointaines, à mesure que nous avancions entre les villages, les collines et les grands arbres. Pour mes enfants, arrachés aux DVD qui trompent la monotonie de l’autoroute, mes histoires étaient peut-être étranges.

J’avais retenu des chambres dans un petit motel à proximité de Pouilly-sur-Loire. Il s’appelle le Motel Les Broussailles. Je le recommande volontiers : confortable, accueillant et subtilement rénové. Où dîner ? A la réception du motel, il me fut proposé un petit relais à l’entrée de Pouilly. La nuit était tombée. Mes jeunes skieurs, du fond de la DS, criaient famine. Va pour le petit relais. Quelques kilomètres plus loin, dans l’obscurité, je vis apparaître une vieille station-service. Ce ne pouvait être là. Mais si, c’était bien là. Nous allions dîner dans l’une des stations mythiques de la Nationale 7, celle du kilomètre 200, là où l’on faisait le plein du réservoir, celui de l’estomac aussi, et où l’on pouvait également passer la nuit. La station-service a certes été restaurée, mais elle a conservé un charme délicieusement kitsch, depuis les serviettes assorties aux rideaux vichy rouges et blancs jusqu’aux murs tapissés de vieilles affiches automobiles et aux étagères garnies de vieux bidons d’huile de vidange et de voitures miniatures. Voilà comment, après avoir raconté la Bourgogne et la Loire un peu plus tôt, je me suis retrouvé, devant les assiettes de blanquette de veau, à expliquer ce qu’étaient Castrol, Mobil ou Champion. Je ne suis pas certain d’être apparu irrésistiblement moderne, mais suffisamment authentique malgré tout pour que mes enfants s’amusent de tous les souvenirs qui me revenaient en pagaille.

Le hasard fait bien les choses, finalement. Au relais Les 200 Bornes, nous étions servis. Qui se souvient de l’émission Les routiers sont sympa ? Il faut sans doute être à tout le moins quinquagénaire pour cela. Le signe était là, face à moi, à la table du restaurant, et j’ai encore la voix de Max Meynier à l’oreille. Il y avait aussi le panonceau bleu et rouge des relais Les Routiers. Mon père adorait ces restaurants des bords de route et je nous y vois encore avec lui, ma mère, ma sœur et moi, devant une table toujours garnie d’une nourriture solidement roborative. Je crois que c’est le côté populaire de ces restaurants qui lui plaisait. De tout cela aussi, j’ai raconté hier l’histoire à ma petite équipe. En y ajoutant les souvenirs de nuits passées dans d’improbables hôtels de sous-préfecture, Au Lion d’Or ou Le Cheval Blanc le plus souvent, avec les lits qui grinçaient, et les toilettes et les douches sur le palier. C’était réellement un autre temps, mais vous savez quoi, ai-je ajouté, c’était vraiment bien. J’ai la mémoire peuplée de ces images et je me suis retrouvé, à Pouilly, à partager ces émotions, juste parce que nous avions emprunté une route mythique et que la recommandation de notre hôtel nous avait conduit par chance dans un endroit qui l’incarnait mieux que tout.

La France est tellement plus belle le long des nationales et des départementales que depuis les aires et restaurants d’autoroute. Il faut oser sortir de ces autoroutes, accepter d’aller moins vite, choisir de prendre le temps et – acte d’autorité doucement exercé – décréter que les tablettes et autres écrans ne sont définitivement pas compatibles avec les chemins de traverse. Il faut prendre le temps d’admirer la France et l’aimer comme elle vient, dans la diversité des paysages et des saisons. L’an passé, au retour des montagnes, nous étions allés à Vézelay, par les petites routes vallonnées du Morvan, vers cette colline éternelle qui m’émeut chaque fois davantage et rapproche tellement de Dieu. Nous avions cherché aussi les lieux de tournage de La Grande Vadrouille, car il ne faut pas oublier que le rire fait partie de notre patrimoine (et qu’il transcende les générations). Cette année, c’était la Loire d’avant les châteaux, le fleuve encore sauvage venu du Massif central, glissant entre les vignobles, les îles, les champs et les bois vers la mer encore lointaine. Et demain, dans quelques mois, l’années prochaine ? Nul ne le sait encore. J’essaierai de trouver. Cluny peut-être, Solutré, Bibracte, le Mont Beuvray. Une chose est sûre : nous recroiserons la Nationale 7 et l’emprunterons à nouveau avec bonheur.

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Mon ami Avi

Septembre 2022, à Louvain-la-Neuve (Belgique)

Avi Assouly était mon ami. Sa soudaine disparition le 14 février m’a beaucoup peiné. Avi était tellement plein de vie qu’il m’est difficile d’imaginer qu’il n’en est plus, de cette vie qu’il embrassait avec passion et tant de bonté. J’ai encore le sentiment qu’un message m’arrivera bientôt qui commencera par le même « Salut, frérot, tu as vu le dernier match de l’OM ! ». La réalité, malheureusement, est tristement rude. Avi est passé de l’autre côté du miroir et nous sommes nombreux à le pleurer. Il me manque comme à tant d’autres. Depuis deux semaines, je suis retourné souvent sur sa page Facebook, là où il nous racontait des tas de trucs, à commencer par les matchs de l’OM vécus depuis les hauteurs du Vélodrome, photos et commentaires détaillés à l’appui, comme au temps où il était derrière le micro de France Bleu Provence. Lisant Avi live les soirs de matchs, j’avais l’impression de l’entendre. Derrière ses mots, il y avait sa voix, unique, inimitable, chaleureuse, irrésistible. Avi affichait un enthousiasme contagieux. Dans notre époque morose, glauque et rageuse, il était un rayon de soleil bienvenu. Contre lui, les pisse-vinaigres et autres passe-murailles tristounes comme un jour sans pain ne pouvaient rien. KO technique assuré pour eux et joie sans limite pour nous. Tout cela, c’était Avi.

Avi et moi nous sommes connus dans l’Hémicycle de l’Assemblée nationale. Il était assis derrière moi. L’Hémicycle est un lieu solennel et nous étions bien sûr toute ouïe pour les orateurs successifs, sérieux comme des papes et concentrés comme jamais lorsque venait notre tour de parler. Mais il faut reconnaître aussi que les séances étaient parfois longues, surtout la nuit, et que le bavardage, comme des élèves dissipés au fond des salles de classe – le radiateur en moins – était sans doute pardonnable dans ces conditions. C’est comme cela que j’ai engagé l’échange avec Avi et que nous l’avons poursuivi des années. On a causé, puis on a souri, puis on a ri, beaucoup. Un humour potache s’est ainsi installé en haut et au centre de l’Hémicycle. A 3 heures du matin, après des heures de débats, cela faisait tellement de bien. Le président de séance nous regardait, parfois sévèrement et sans doute plus souvent avec envie. Il devait observer les mêmes 3 ou 4 député(e)s hilares depuis la solitude de son perchoir. Avi avait un don hallucinant pour raconter des histoires à voix basse et avec un vocabulaire fleuri. Je dois avouer – il y a désormais prescription – qu’il m’est arrivé de devoir filer par la sortie de secours derrière nos bancs pour libérer un fou-rire que je ne parvenais plus à maîtriser.

Avi était authentique et fidèle. Le fondu de foot que je suis était un bon client. Et comme en plus j’aime l’OM, nous étions destinés à devenir copains. Il m’avait tout appris de la science du catenaccio, l’air navré et faussement grognon, car ce n’était pas le foot qu’il aimait. Le foot d’Avi, ce n’était pas un but et le verrou, c’était des buts, des tas de buts, de la joie, de l’intuition. Il me racontait ses grands matchs, ceux que j’avais vus, plus jeune, à la télévision. Ces matchs avaient parfois 20 ans et plus, mais l’émotion qui accompagnait ses paroles me donnaient le frisson. J’avais presque l’impression d’être assis à côté de lui dans la tribune de presse. Il y avait aussi son Panthéon personnel de l’OM et du ballon rond : Basile, Chris, Abedi, Pixie, Fabrizio, Zizou et quelques autres. Et bien sûr Tapie, le boss, pour qui il avait une admiration et une reconnaissance éternelle. Avi m’avait raconté Furiani, le 5 mai 1992, les jours de coma, les mois de souffrance, le sentiment, la certitude même que Tapie lui avait sauvé la vie. Il avait des anecdotes à la pelle sur le boss, ses appels, les voyages en avion avec lui, la passion dévorante d’un club et d’une ville. J’adorais ces moments-là. Lorsqu’Avi quitta l’Assemblée au printemps 2014, j’en fus atterré. Je pris une photo de sa dernière intervention en séance en nous jurant de nous retrouver.

Je mettrai du temps à utiliser le passé pour parler d’Avi. Je crois que l’on ne rencontre pas beaucoup de gens comme lui dans une vie. Nous étions proches par l’amitié, proches aussi politiquement. Nous siégions ensemble à la commission des affaires étrangères. Son regard sur les affaires internationales m’était précieux. J’ai quitté la politique en 2018. On se donnait des nouvelles. On se lisait l’un l’autre sur les réseaux sociaux. Il m’avait parlé de son retour aux législatives de 2022 et m’encourageait à revenir avec un tel entrain que l’idée avait fini par me traverser l’esprit. On parlait aussi de business, d’investissements, de livres. Et de foot. La dernière fois que j’ai vu Avi, c’était à Louvain-la-Neuve, en Belgique il y a deux ans. Nous avions déjeuné ensemble, Avi et toute ma famille. Mon fils Pablo avait des yeux ronds comme des soucoupes en l’entendant parler de foot. Le surnom de Pablo est Api. Avi et Api étaient ainsi destinés à être amis. Avi lui avait fait promettre de garder du temps pour l’OM quand nous viendrions à Marseille. J’allais appeler Avi en ces jours de février pour lui dire que le voyage familial à Marseille était enfin programmé pour le mois de mai. A Pablo, j’ai dû expliquer le départ d’Avi et ma grande peine. Ce fut aussi la sienne, tant cet échange sur le foot avec Avi l’avait touché.

Nous irons au Vélodrome et notre pensée sera pour Avi. Lorsque nous marcherons sur les collines de Pagnol, ce sera le cas aussi. A Avi, j’avais en effet confessé une bien malheureuse carence : j’aime Marseille, mais je n’y suis jamais allé. Il m’avait dit avec un grand sourire que c’était certes fâcheux, mais qu’il n’était jamais trop tard pour corriger cela. Ce sont les livres et les films qui m’ont fait aimer Marseille (et le foot aussi), au point de devenir incollable sur l’œuvre de Pagnol. Avi s’était amusé de cela : un petit gars du Finistère, devenu député des Français d’Allemagne et d’Europe centrale, établi en Belgique avec sa famille espagnole, connaissait tout de Cigalon, de La Fille du puisatier ou de Marius, Fanny et César. C’est donc que Marseille est universelle, avait-il dit. Bien sûr que oui, avais-je ajouté. Et Avi faisait partie de ces Marseillais qui ne pouvaient que la faire aimer. De lui, je garderai ces discussions heureuses, ces fous-rires, ces déconnades comme il aimait les nommer. Je les garderai avec une immense affection et une infinie reconnaissance. J’ai eu cette grande chance de connaître Avi et son souvenir m’habitera longtemps. Je pense à son épouse Martine, à ses enfants Céline, Eva et Yoni, à ses petits-enfants, à toute sa famille. Je veux leur dire ma sincère amitié et combien leur chagrin est aussi le mien.

30 avril 2014, la dernière question au gouvernement d’Avi à l’Assemblée

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A la recherche de ma gauche perdue

J’écris ce petit billet comme on lancerait une bouteille à la mer, depuis un rivage incertain et vers des horizons lointains. Je ne sais si ma bouteille et son message arriveront. J’aimerais bien. Je suis un électeur de gauche. J’ai longtemps été un militant. J’ai passé près de 30 ans de ma vie au Parti socialiste. J’en ai dirigé une fédération. J’ai aussi été député. Mon histoire avec la gauche est celle d’une famille modeste tout au bout de la Bretagne, de générations désireuses de s’émanciper, de partager, d’écrire un récit commun qui éloigne la pauvreté et la souffrance sociale, qui construise le progrès et la paix. Je me souviens des émotions de mes parents, des souvenirs de mes grands-parents : 1936, 1968, le programme commun, le 10 mai 1981. Nous votions socialistes. Nous étions socialistes. Un idéal nous rassemblait, une folle espérance aussi : changer la vie. La génération de mes parents était attachée au rôle protecteur de l’Etat. La mienne était plus girondine, plus européenne. Je me suis reconnu dans les idées de Michel Rocard, l’action d’Edmond Maire à la CFDT, l’engagement de la société civile, des syndicats, de l’entreprise et des collectivités locales pour transformer la société. C’est cette gauche que j’ai aimée, que j’ai rejointe, à laquelle j’ai donné avec passion une belle part de ma vie.

La gauche me manque. Je ne la retrouve plus. Elle s’est égarée, elle s’est dispersée. Il y a plus de 30 ans, la lecture d’un livre, Le long Remords du pouvoir, m’avait beaucoup marqué. Alain Bergounioux et Gérard Grunberg, les auteurs, racontaient la relation ambivalente de la gauche à l’exercice des responsabilités : la crainte et peut-être même l’assurance de décevoir, l’écart immanquable avec le rêve. J’ai vécu cela comme député. S’y est rajouté le procès en trahison. François Hollande avait-il trahi la gauche ? Nous étions-nous abimés à agir au regard des contraintes de la France et du monde, en décalage, c’est vrai, avec les accents enthousiastes d’une campagne victorieuse ? J’ai pensé que non. Je le pense encore, mais je mesure la rupture latente et sincère que ce fut pour des millions de gens, avec des millions de gens. C’est parce que je ne pouvais me faire à l’idée que le Parti socialiste cesse de porter la cause du travail que je n’ai pu soutenir Benoît Hamon en 2017. J’ai voté pour Emmanuel Macron car j’ai cru, espéré voir en lui un Rocard jeune. Au fil des années, j’ai réalisé que je m’étais trompé. Il n’y avait ni Rocard, ni rocardisme. Il y avait une insensibilité sociale qui m’a peiné. Je me suis éloigné, du PS comme du macronisme, et j’ai repris ailleurs le cours de ma vie.

Un espace politique qui demeure

Suis-je condamné à une longue, vaine et peut-être définitive errance politique ? J’aimerais croire que non. L’espace politique demeure. Il n’est juste plus irrigué, renouvelé, incarné. Ma gauche est la gauche républicaine, la gauche digne, solide sur la question sociale, responsable sur l’économie, ferme sur l’égalité, impeccable sur la laïcité, engagée pour l’Europe. Elle est la gauche de Rocard et de Mendes France, elle est aussi celle de Mitterrand et de Jospin. Elle est socialiste, elle est radicale, elle est citoyenne, elle est un peu écolo également. La seule communauté qu’elle connaît – c’est tout son honneur – est la République. Pourquoi ne s’exprime-t-elle plus, pourquoi ne s’unit-elle pas ? Il y a des tas d’initiatives et de clubs qui font un travail remarquable, mais méconnu. Il faudrait les rassembler, les fédérer. L’émiettement de l’offre politique rend la gauche républicaine inaudible. Il en est même toute la faiblesse. Unir les forces, ce serait associer les diagnostics et les idées, les lectures nouvelles et nécessaires de l’évolution de l’économie et du monde, les propositions à imaginer ensemble. Il manque à la gauche républicaine un grand mouvement populaire, enraciné dans nos communes et départements, ce que fut peut-être le Parti socialiste dans ses meilleures années.

Je ne veux pas au printemps 2027 d’un match entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Parce qu’il serait l’assurance de l’élection de Marine Le Pen. Je ne vois pas la gauche dans La France Insoumise, j’y vois le chaos, l’irresponsabilité, l’autoritarisme, le communautarisme et désormais même l’antisémitisme. C’est l’honneur de la gauche républicaine de résister à une telle dérive, dans les partis politiques existants et plus souvent en dehors. Ce le serait davantage encore si cette résistance s’organisait pour construire une offre, loin de Mélenchon et pour notre pays. La gauche républicaine doit aborder toutes les questions que se posent les Français, sans totem ni tabou. Cela vaut pour les comptes publics, pour l’insécurité, pour l’immigration, pour tous les sujets si longtemps esquivés car perçus comme « de droite ». La gauche républicaine doit entendre les craintes des Français, à commencer par celles des catégories populaires, et savoir y répondre concrètement et courageusement. Le déni de réalité ou de colère ne peut être la réponse. L’avenir de notre pays n’est pas dans toujours plus de dépense publique, il est dans la qualité de celle-ci. Il n’est pas dans toujours plus d’impôts, il est dans la justice fiscale et la mise en mouvement de l’économie.

Le compromis au service du progrès

Créer de la valeur n’est pas un vilain mot, même si cela peut vouloir dire travailler plus. Il le faut pour renforcer notre protection sociale et nos services publics, si chers à la gauche. Comment le faire ? Pas par le haut, pas par la décision imposée, le conflit et l’humiliation. Par le dialogue social, la démocratie participative, l’intelligence collective. La gauche républicaine doit assumer le meilleur de la social-démocratie : la recherche sincère et constante du compromis. Il n’est plus temps d’entendre que la division syndicale et toute une série de particularismes surjoués feraient de la France une terre incompatible avec la social-démocratie, de même qu’il faut cesser de voir dans l’entreprise un lieu obligé de conflit pour y reconnaître à l’inverse un acteur essentiel de la création de richesses et un partenaire avec lequel travailler. C’est cette dynamique-là que la gauche républicaine doit encourager, impulser et faire vivre. D’évidence, la France Insoumise ne le fera pas, la droite non plus. Ce ne sont ni la révolution, ni la réaction qui feront avancer notre pays, mais un mouvement de la société que la gauche républicaine doit proposer et défendre. Ces convictions lui sont propres, elles la distinguent même, et il lui faut les affirmer dans le combat politique pour l’avenir de la France.

Il y aura 2027 bien sûr, mais 2026 et les municipales, et 2028 et les régionales aussi. La présidentielle étouffe le débat. C’est à un long sillon que la gauche républicaine devrait s’atteler, rassemblée sur ses valeurs et ses propositions, non pour faire l’appoint dans un second tour dont elle ne serait pas, mais pour s’y qualifier et pour gagner. Il y a dans notre pays des talents qui portent ses combats. Je pense à Mickaël Delafosse à Montpellier, à Carole Delga en Occitanie, à Loïg Chesnais-Girard en Bretagne, à Juliette Méadel au gouvernement, et bien d’autres. Je pense à Bernard Cazeneuve et à Raphaël Glucksmann, dont l’engagement et la force de conviction touchent durablement l’opinion nationale. Je voudrais imaginer que ces talents s’unissent, que les différences de personnalité ou de parcours non seulement ne freinent pas le mouvement, mais le renforcent, et que la porte ne soit pas fermée aux partis existants non plus. Il faut y aller parce qu’il est temps. C’est l’espoir que je caresse dans la quête de ma gauche perdue. J’ai toujours envie d’y croire. Cela fait finalement un long billet pour une bouteille à la mer. Qui que ce soit qui le recevra, de l’autre côté de l’océan ou d’une mer plus petite, aura une longue lecture. S’il peut être utile pour que la gauche renaisse, j’en serai heureux.

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L’esprit Violette

Comme tant d’autres amoureux de la mer, de la course au large et des grands espaces, j’ai suivi avec passion l’aventure de Violette Dorange sur le Vendée Globe Challenge depuis le mois de novembre. J’ai été touché, impressionné, bouleversé par l’immense courage de Violette, sa fraicheur et sa joie de vivre. Partir seule à tout juste 23 ans pour un tour du monde à la voile sans escale sur les mers les plus lointaines et les plus agitées du globe était un défi énorme, un Everest maritime, une géniale folie. Tous les jours, le matin et le soir, je scrutais Facebook pour avoir des nouvelles de Violette. A en juger par le nombre de likes et de commentaires, des dizaines de milliers d’autres admirateurs en faisaient de même. Les vidéos de Violette étaient fortes parce qu’elles étaient authentiques, sincères et justes. Il y avait des images hallucinantes, comme celles prises tout en haut de son mat. Elle nous souriait. Derrière nos écrans, nous flippions sévère. Elle nous racontait sa vie à bord, sa course – car elle est une régatière dans l’âme – ses espoirs, ses doutes et ses craintes, dans le vent, la pluie ou un lever de soleil. Je me souviens de son passage au point Nemo, le point le plus éloigné de toute terre, quelque part dans le vaste Pacifique, et de sa peur de la tempête redoutable qui s’annonçait à l’approche du Cap Horn.

Depuis le bout du bout du monde, face à l’immensité de l’océan, qu’il soit Indien, Pacifique ou Atlantique, un sourire apparaissait, même quand c’était dur. Ce sourire valait plus que tout le reste tant il était pour nous sur la terre ferme une sacrée leçon de vie. Y croire, s’accrocher, apprécier le moment et l’énormité de l’aventure, tout s’y trouvait. Violette a su lever un enthousiasme, sans peut-être même en prendre la mesure, par sa simplicité et son sens du partage. Nous avions tous les jours le témoignage d’une jeune femme qui vivait à plein son rêve et qui nous le racontait. Elle nous donnait des nouvelles. Nous vivions la course avec elle. Pour le vieux et très modeste voileux que je suis, c’était la révolution absolue avec les temps anciens, ceux d’avant les premières balises Argos et même d’un peu après aussi, lorsque les skippers – quasiment tous des mecs – étaient plutôt taiseux ou mutiques, sur les pontons et plus encore en course. La course commençait et ils ne nous disaient plus rien. Les récits, nous les découvririons après (ou pas). Violette est née avec notre siècle, ses codes et ses réseaux sociaux. Jour après jour, elle a rassemblé une communauté impressionnante de femmes et d’hommes, d’enfants aussi, que son incroyable aventure a fédéré en France et bien plus loin.

Hier matin, j’avais la chair de poule en suivant sur mon téléphone depuis Bruxelles l’arrivée de DeVenir, son voilier, aux Sables d’Olonne. C’était la première fois que l’on revoyait Violette « live » depuis le départ du même port le 10 novembre. J’aurais voulu être là-bas, le long du mythique chenal vendéen, pour assister à sa remontée sous les vivas et les bravos d’une foule immense brassant toutes les générations. Les pancartes, les banderoles, les cornes de brume, les cris des enfants disaient une reconnaissance infinie à Violette. L’émotion était immense, la sienne bien sûr, et la nôtre aussi. Un tour du monde s’achevait et une histoire, une belle, une vraie, était en marche. Je pensais au projet sociétal qui avait nourri cette aventure, celui de venir en aide à la jeunesse en difficulté et à son insertion grâce à la Fondation Apprentis d’Auteuil. Il n’était aucun meilleur message d’espoir et d’abnégation que celui de Violette, de retour de ses 3 mois sur les mers, nous envoyait. Il y avait la volonté et le talent, mais aussi le travail d’une équipe à laquelle elle a su rendre hommage car la course au large d’aujourd’hui, même en solitaire, est désormais une histoire collective. Cela valait un joli feu d’artifice final et une arrivée unique au son de Ocean Eyes, la belle et envoutante chanson de Billie Eilish.

Ce que Violette Dorange nous a donné à vivre est précieux et universel. C’est l’espoir et la confiance, la sincérité et la générosité. C’est un état d’esprit. Nous vivons une époque difficile et souvent sombre. Les occasions de porter un regard sur le monde autre que pessimiste ou rageux ne sont pas légions. Nous avons besoin de récits vifs, volontaires, positifs comme celui de Violette, qui nous rappellent que la force d’âme n’est pas une illusion, qu’elle existe en chacune et en chacun d’entre nous, que la puissance d’un rêve peut conduire au dépassement et qu’il faut toujours vouloir y croire. C’est cela, l’esprit Violette. Je suis sûr qu’elle nous racontera, encore et encore, ses 3 mois au cœur du Vendée Globe Challenge, la plus grande et la plus exigeante des courses à la voile au monde, et ses projets futurs lorsque le moment sera venu. Et quand viendront les beaux jours sur nos côtes françaises, j’espère bien que les écoles de voile et les classes de mer verront venir vers elles des tas de nouveaux petits marins conquis par le souffle de l’aventure et par la contagieuse joie de vivre d’une jeune femme de 23 ans dont l’histoire, au cœur de l’hiver 2025, aura rencontré la leur. Il faut que l’esprit Violette infuse en eux, en nous, et qu’il dure longtemps.

Les Sables d’Olonne, 9 février 2025
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