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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

La Convention d’Istanbul, un texte fondateur pour les droits des femmes

C’est aujourd’hui la journée internationale des droits des femmes, un moment important chaque année pour souligner l’urgence des combats pour l’égalité des genres, de pays à pays et au sein de chacune de nos sociétés. Mais le 8 mars n’est qu’une journée dans une année. Au-delà de la symbolique, c’est tous les jours que ces combats doivent être menés pour aller chercher, pas à pas, les résultats nécessaires. Beaucoup a déjà été fait, reconnaissons-le, et cela doit à la mobilisation collective de générations de femmes et d’hommes au cours du XXème siècle et à la prise de conscience qu’elle a permis d’ouvrir. Ajoutons cependant que beaucoup reste encore à faire, chez nous et plus loin. Il y a le droit et il y a les faits. Comme il y a également les paroles et les actes. Or, l’écart entre les deux est parfois confondant. Les clichés, les « traditions » et les préjugés ont volontiers la vie dure. Sans compter l’instrumentalisation politique orchestrée ici ou là au nom d’idéologies rétrogrades. En clair, quoi qu’on en dise (et qu’ils en disent), il y a des milieux politiques et sociaux qui s’opposent à l’égalité entre les femmes et les hommes parce que la liberté, l’émancipation et les droits ne figurent tout simplement pas à leur agenda.

Les combats pour l’égalité entre les femmes et les hommes couvrent de nombreux sujets. Tous trouvent ou doivent trouver une traduction en droit. Il y a bientôt 10 ans – ce sera le 11 mai prochain – était signée à Istanbul la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, connue comme la Convention d’Istanbul. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe en sont signataires, à la regrettable exception de la Russie et de l’Azerbaïdjan. Dix ans après, il manque encore les ratifications de la Lettonie, de la Lituanie, de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Hongrie, de la Bulgarie, du Royaume-Uni, du Liechtenstein, de la Moldavie, de l’Ukraine et de l’Arménie. Ce texte est pourtant largement fondateur. Il est né de multiples constats sur la diversité des réponses apportées à l’échelle nationale aux violences faites aux femmes et à la violence domestique. En clair, certains pays combattaient ces violences bien davantage que d’autres. Le mérite de la Convention d’Istanbul a été d’élever cette cause au rang de priorité européenne en recherchant un niveau de protection identique et exigeant par la mise en place de normes harmonisées et contraignantes.

La Convention d’Istanbul est insuffisamment connue du grand public. Elle est pourtant le premier texte européen fixant un cadre juridique exhaustif pour prévenir la violence, protéger les victimes et mettre fin à l’impunité de ceux qui se rendent coupables de violences. La Convention caractérise les violences faites aux femmes comme une violation des droits de l’homme et une discrimination. Cette expression est fondamentale car elle commande tout le reste du texte et en particulier ses exigences à l’égard des pays signataires. Ainsi, les Etats parties à la Convention doivent intégrer dans leur code pénal la violence psychologique, le stalking, la violence physique, la violence sexuelle, le mariage forcé, les mutilations génitales, l’avortement forcé et la stérilisation forcée. Le harcèlement sexuel doit également être réprimé par des sanctions pénales ou d’autres sanctions en droit. La Convention s’applique bien sûr en temps de paix, mais aussi dans des situations de guerre et de conflits armés pour qu’aucun gouvernement ne vienne s’abstraire de ses engagements au motif d’une sécurité nationale agitée. Un groupe d’experts indépendants, prévu par la Convention, assure la surveillance de la mise en œuvre par les Etats parties.

La Convention d’Istanbul est en vigueur depuis 2014. Cela fait 7 ans. C’est peu et beaucoup à la fois. De premiers enseignements peuvent déjà être tirés. Ce texte a-t-il pu faire progresser les droits des femmes ? Oui, là où il a été ratifié. Et là où il est correctement appliqué. Ce n’est pas le cas partout. Certains pays sont à la pointe du combat, d’autres un peu moins. Et il s’en trouve quelques-uns aussi qui envisagent de se retirer de la Convention, à commencer par la Turquie, celui où le texte a pourtant été signé. Et la Pologne également. Tout à trac, on reproche entre Ankara et Varsovie à la Convention d’Istanbul de relever de la « culture occidentale » ou de constituer un instrument de « propagande homosexuelle ». A en croire l’AKP ou le PiS au pouvoir, la Convention d’Istanbul relèverait d’une « idéologie » et menacerait les « valeurs familiales », rien moins que cela. Et le seul moyen de protéger ces valeurs serait donc de dénoncer la Convention pour en sortir au plus vite. Au fond et sans beaucoup caricaturer, à suivre l’AKP et le PiS, les valeurs en question s’accommoderaient in fine de violences de genre ici ou là et de l’inégalité de fait entre les femmes et les hommes. Tout cela est profondément réactionnaire et affligeant.

Il n’y a pas de place en Europe pour le mépris à l’égard des droits des femmes et le sexisme sous couvert de bigoterie. L’égalité entre les femmes et les hommes existe en droit et doit être mise en œuvre. Mieux, elle doit aussi être enseignée à l’école, dans toutes ses dimensions. Chaque enfant doit pouvoir se l’approprier comme règle de vie. Contre le fondamentalisme et les mentalités d’un autre âge, c’est l’opinion publique qu’il faut prendre à témoin, qu’il faut gagner pour faire changer les choses. Les tragédies des violences de genre sont insupportables. Elles bouleversent nos sociétés, elles indignent, elles appellent à la mobilisation et à l’action résolue. La Convention d’Istanbul, il faut la signer (Moscou et Bakou) ou la ratifier (Riga, Vilnius, Prague, Bratislava, Budapest, Sofia, Londres, Vaduz, Chisinau, Kiev, Erevan). Et certainement pas la dénoncer (Ankara et Varsovie). Il y a des textes qui font honneur à ce que nous sommes, Européens. La Convention d’Istanbul est l’un de ceux-là. C’est un texte de progrès, émancipateur et légitime, une feuille de route pour l’égalité des genres et contre les violences. En ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, rappeler son actualité et l’importance de sa mise en œuvre fait plus que jamais sens.

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Pas d’avenir sans croissance

©Thomas G. de Pixabay

Depuis près de quatre ans, je sillonne la France au gré de missions de conseil et de conférences. Le plus souvent, c’est sur les énergies renouvelables que j’interviens. Je les connais bien. J’ai travaillé pour un fabricant de panneaux solaires durant des années. Et à l’Assemblée nationale, je suivais le budget de l’écologie et du développement durable, en plus des questions climatiques. Dans cette nouvelle étape de vie, je m’étais dit que je mettrais en pratique concrètement, sur le terrain, les idées et projets que je défendais auparavant. Histoire de valider ces convictions qui me portaient et me portent toujours. J’aime l’environnement, la nature, la beauté des choses. Je redoute que le changement climatique, si nous n’arrivons pas à le maîtriser, change à jamais la vie telle que nous la connaissons et condamne les générations futures, celles de mes enfants et de leurs enfants, à un avenir redoutable. Suis-je écologiste ? Pas par la carte, puisque je n’appartiens à aucun parti vert. C’est la cause qui m’importe, celle qui me conduit à un compagnonnage de plus de 20 ans avec le WWF, celle qui m’amène à parcourir la Bretagne pour y développer l’énergie solaire. Et celle aussi qui, aujourd’hui, me tracasse tant est grand l’écart entre la vraie vie et l’incantation.

La vraie vie, c’est que derrière les panneaux solaires ou les éoliennes, il y a des dizaines d’années et des milliards d’Euros de recherche acharnée. L’incantation, c’est l’appel régulier à la décroissance et le procès récurrent fait à l’économie de marché. A l’évidence, revendiquer la croissance n’arrangera pas mes affaires du côté des tenants de la « verditude ». C’est un peu triste, mais j’assume. Mieux vaut faire que dire, en l’occurrence. Lorsque je travaillais dans l’industrie solaire au début des années 2000, nous avions un objectif aussi lointain qu’ambitieux : atteindre la parité réseau, ce moment rêvé où l’énergie solaire deviendrait compétitive sans subvention d’aucune sorte, devançant les énergies fossiles et, suprême Graal, l’énergie nucléaire. Nous y sommes. Il est possible désormais de construire de grands parcs solaires et de vendre leur électricité au prix du marché, moins cher que toutes les autres sources d’énergie. Rien de cela n’est arrivé par hasard. Les tarifs d’achat et appels d’offre ont assuré aux industriels les débouchés nécessaires pour faire d’immenses investissements et développer des capacités de production conséquentes. C’est ce qui a permis l’effondrement des coûts de fabrication des panneaux et assis la compétitivité de l’énergie solaire.

Investir, chercher, produire, installer, ce sont autant de termes qui évoquent à juste titre la croissance. Je mesure sur le terrain et les réseaux sociaux que cela n’est pas toujours partagé, voire compris. Il faut l’expliquer et je m’y attèle autant que possible dans les rencontres et débats auxquels je prends part. Je ne fantasme pas la croissance. J’en connais et admets volontiers les travers. La croissance doit être vertueuse, frugale, propre, inclusive et … verte. La société, qui a tant évolué, l’exige, comme le législateur et, de plus en plus aussi, les investisseurs eux-mêmes. Le pli de la lutte pour la préservation de la planète a été pris, même si cela reste encore imparfait. C’est à ce titre qu’il faut débattre utilement des propositions de la Convention citoyenne sur le climat et soutenir l’inclusion de l’objectif climatique dans la Constitution. Le reste relève de la liberté, liberté de recherche, liberté d’alliances industrielles, liberté d’échanges. Et de la souveraineté européenne à incarner et construire, c’est-à-dire de l’attention stratégique de la puissance publique. La décroissance ne conduirait à rien de cela, pas davantage que les logiques prescriptives, les interdictions, la planification impérative d’un autre âge ou l’opposition de la précaution à la science.

La décroissance ne concourt pas au développement durable. Il n’y a pas de défi environnemental qui se tienne sans, en parallèle, une action sociale efficace et un soutien ajusté à l’économie et à ses réalités. La violence de la crise des gilets jaunes doit pouvoir nous le rappeler, si l’on en doutait. La France est percluse d’inégalités criantes, que la crise sanitaire rend plus insupportables encore. Il y a les inégalités sociales, générationnelles, territoriales. Et les inégalités de destins. Comment les réduire si on n’investit plus, ne cherche plus, ne produit plus, n’emploie plus ? Sur ma route, je traverse parfois des zones blanches. Elles sont bien plus nombreuses que l’on croit dans nos régions. Or, comment vivre, travailler, entreprendre loin du haut débit, voire même de tout débit ? Plus que d’impératifs, il s’agit là fondamentalement de droits auxquels un contenu doit être donné et seule une démarche de croissance y mènera, tant par la création de valeur que par les recettes fiscales qui y seront associées. C’est un exemple parmi d’autres, mais un exemple qui ne cesse pourtant de me frapper. Ce n’est pas en la mettant à l’arrêt que l’on décarbonera l’économie, c’est en la mettant en mouvement, en travaillant différemment et sans doute aussi davantage.

Ecrire ceci me ramène à ce que furent mes interrogations, puis mes choix à l’Assemblée nationale dans la précédente législature. Devais-je, député et homme de gauche, soutenir une politique économique faisant une part inédite à l’offre ? Je mesurais l’écart de ces choix par rapport aux attentes et aussi à la tradition d’une politique économique de gauche, fondée sur la demande. Je les fis cependant en conscience, dans une démarche de dépassement, sans doute parce que j’avais mesuré les contraintes de l’économie française dans ma vie d’avant. L’investissement repartit. A la sortie de la crise actuelle, il faudra poursuivre dans cette voie de soutien aux entreprises et prendre soin en particulier de réformer l’outil de formation, qui reste un maillon faible. Le monde d’avant ne reviendra pas. Dans l’épreuve, le plan de relance offre des volumes de crédits insoupçonnés. On a coutume, un peu trivialement, de dire que l’histoire ne repasse pas les plats. J’ai ce sentiment-là en ce moment. C’est de la capacité de faire usage du plan de relance, d’investir stratégiquement dans des secteurs décisifs et de renforcer la compétitivité de l’économie française que dépendront largement le combat pour l’environnement, la résilience à la crise climatique et l’avenir de notre société.

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Être né quelque part

Quimerc’h, devant la maisonnette de garde-barrière où j’ai passé mes premières années

J’ai lu il y a quelques jours le livre d’Hervé Algalarrondo, Deux jeunesses françaises. Fidèle de l’Obs depuis des années, l’hebdomadaire où Algalarrondo a longtemps écrit, j’aime sa plume et sa réflexion. Son livre avec Daniel Cohn-Bendit en 2016, Et si on arrêtait les conneries, m’avait beaucoup séduit et préfigurait par plein d’aspects le dépassement politique qu’Emmanuel Macron incarnerait quelques mois plus tard par sa candidature, puis son succès à l’élection présidentielle. Dans Deux jeunesses françaises précisément, il est question d’Emmanuel Macron. Mais pas que de lui, l’on y retrouve aussi Edouard Louis, l’écrivain prodigue, celui dont le premier roman à seulement 21 ans, Pour en finir avec Eddy Bellegueule, avait bouleversé tant de lecteurs, parmi lesquels je me rangeais. Beaucoup, politiquement, oppose Emmanuel Macron et Edouard Louis. Qu’ont-ils cependant en commun, outre la passion des livres et du théâtre, et quelque part le goût de la transgression aussi ? La Picardie. Tous deux y sont nés en effet, l’un à Amiens, l’autre à Abbeville, dans des milieux sociaux certes très différents. La Picardie a façonné leur destin, leur personnalité, leurs idées et … leurs rêves d’ailleurs. Ils n’y vivent plus et n’y retournent guère. Comme si la Picardie n’était plus leur histoire.

La lecture de Deux jeunesses françaises m’a interpellé. Ce que montre Hervé Algalarrondo, c’est qu’Emmanuel Macron et Edouard Louis, chacun à sa manière et avec son parcours, se sont construits par opposition à leur région et leur milieu, au point de vouloir s’en écarter. Prendre de la distance avec les années de jeunesse, y compris géographiquement, cela arrive, mais pose aussi une question : est-on de quelque part au sens tripal du terme ou à tout le moins au sens de l’inspiration pour un parcours de vie ? Loin de moi l’idée de juger et le livre d’Hervé Algalarrondo s’en abstient également. C’est un sujet que j’ai toujours eu envie de comprendre, dans la vie publique, les arts et même l’économie. Quels petits coins, quels souvenirs parlent au cœur et portent un destin ? Où sont les racines, car il ne peut pas ne pas en exister ? Le mois passé, à l’occasion du 25ème anniversaire de la disparition de François Mitterrand, l’évocation de son itinérance personnelle et intime entre la Bourgogne, la Charente et les Landes m’était revenue davantage que ses choix politiques, dans lesquels pourtant je m’étais reconnu. Mitterrand avait une relation à la France, aux paysages de son enfance et de ses jeunes années adultes qui me touche, et peut-être même encore davantage aujourd’hui.

Je suis breton. J’aime la région d’où je viens. Elle m’a façonné, comme ma famille aussi l’a fait. A chaque étape de ma vie, heureuse ou triste, elle a été un ancre salutaire. Quand j’étais loin, elle m’accompagnait. Pas uniquement parce que ces paysages de Bretagne sont beaux et peuplaient mes rêves. Parce que je ressentais profondément, intensément que je suis de là-bas, par la culture, l’histoire, y compris l’histoire des miens, fût-elle parfois tragique. Je suis né à Quimper, j’y ai été à l’école. J’ai grandi à Ergué-Gabéric. Et pourtant, lorsque je me retourne, c’est Quimerc’h, le village où vivaient mes deux grands-mères, que je vois. Et la petite maison de garde-barrière de ma grand-mère maternelle, le long de la voie ferrée entre Quimper et Brest, où j’ai passé mes premières années. C’était une enfance simple, heureuse et aimante, une enfance protégée. De ces années-là viennent les valeurs qui me portent. Quimerc’h s’est inscrit au cœur de mon monde. Les champs, les animaux, la forêt du Cranou toute proche, l’odeur et les couleurs de la campagne tapissent toujours ma vie aujourd’hui. Il y a deux ans ans, au moment de nommer la petite entreprise que je voulais créer, j’ai choisi Kerhall Consulting. Kerhall est le lieu-dit où se trouvait la maisonnette de ma grand-mère.

Être né quelque part a pour moi tout son sens. Je sais d’où je puise mon histoire. Mais ce quelque part peut aussi ne pas être un bout d’enfance. Ce peut être l’endroit et le moment où l’on s’est éveillé ou révélé à soi-même, souvent plus tard qu’à l’âge des culottes courtes, et peut-être rudement. C’est l’histoire d’Edouard Louis, grandissant à Hallencourt dans un milieu viril et inculte alors qu’il se découvrait différent. Il n’existe pas de récit unique. Il y a une multitude d’histoires, parfois enfouies et douloureuses. Dans sa chanson éponyme en 1987, Maxime Le Forestier disait : « Être né quelque part, pour celui qui est né, c’est toujours un hasard ». Ce n’est pas faux non plus. Que sera le quelque part d’un enfant d’immigré à qui l’on fait sentir que le quartier, la ville, le pays dans lesquels il a grandi et qu’il aime sont pourtant moins les siens que ceux du copain avec lequel il aura joué et partagé toute son enfance ? Cette réalité-là existe malheureusement et elle est déstructurante. Elle est celle des identités plurielles, que notre monde mêle aujourd’hui bien plus qu’autrefois. C’est pour elle que Maxime Le Forestier ajoutait : « Être né quelque part, c’est partir quand on veut, revenir quand on part ».  

Mon histoire est simple car elle est homogène : un bout du monde, un petit village, une génération d’aînés empreints d’humanisme et de bonté. Celle de mes enfants est différente. Ils ont d’autres racines. C’est Bruxelles et la Belgique, où ils sont nés et vivent. C’est l’Andalousie et la Galice, terres de mon épouse et de ses parents, les collines d’oliviers et les rias. Et c’est mon coin de Bretagne, la maison de ma maman et celle, l’été, des vacances au bord de l’océan. Ils sont français et espagnols, ils seront belges aussi à leur majorité. Leur quelque part est multiple. J’espère qu’il le restera. C’est leur richesse. Beaucoup se joue dans la transmission et les grands-parents sont imbattables à ce compte. Manette, sa grand-mère, avait donné à Emmanuel Macron le goût éperdu de la lecture et des livres. De ma grand-mère, je garde le souvenir d’une douceur infinie dans notre maisonnette de Quimerc’h et de recommandations attendries sur le chemin de la vie. Être né quelque part est une liberté, celle de faire le miel de ses souvenirs et de ses inspirations, sans contrainte ni jugement d’autrui. C’est être soi-même et être encouragé à l’être aussi. C’est parfois un combat, mais pas pour nier une part de soi : pour gagner au contraire le droit de vivre pleinement et librement ses passions et ses rêves.

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Le long chemin de la justice climatique

Il y a deux ans, quatre organisations non-gouvernementales (Notre affaire à tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas-Hulot) avaient recueilli plus de 2,3 millions de signatures de citoyens au bas d’une pétition, “L’affaire du siècle”, dénonçant l’inaction de l’Etat dans la lutte effective contre le réchauffement climatique. Après la pétition était intervenu le dépôt d’un recours par ces mêmes ONG devant le tribunal administratif de Paris pour carence fautive. Qu’en ferait le tribunal administratif ? De sa réponse dépendrait largement la capacité, déjà mise en œuvre dans d’autres pays, de faire avancer – ou non – la justice climatique en France. C’est peu dire que l’arrêt du tribunal administratif était donc attendu. A l’arrivée, cet arrêt, rendu public hier, offre aux ONG un timide succès.

Le tribunal administratif de Paris reconnaît une faute de l’Etat en raison de son incapacité à tenir ses engagements de réduction de gaz à effet de serre. Pour mémoire, ceux-ci sont de réduire les émissions de 40% en 2030 par rapport à au niveau de 1990 et d’atteindre la neutralité carbone pour 2050. A l’évidence, la trajectoire récente n’y conduit pas. C’est la première fois qu’une faute de cette nature est retenue à l’encontre de l’Etat et cela constitue en soi un précédent notable. Est-ce pour autant un jugement révolutionnaire ? Non, car au-delà de la condamnation de l’Etat à verser aux ONG un Euro symbolique au titre du préjudice moral résultant de sa carence fautive, le tribunal administratif de Paris laisse sans réponse à ce stade la question centrale : la réparation du préjudice écologique.

Il revient désormais aux ONG d’apporter les éléments d’évaluation de ce préjudice pour permettre sa réparation. Le tribunal administratif a prononcé en effet un supplément d’instruction à cette fin, assorti d’un délai de deux mois. Un deuxième jugement interviendra donc, plus important, plus fondateur pour la justice climatique en France que celui d’hier. La faiblesse de l’engagement de l’Etat contre le réchauffement climatique et les résultats insuffisants obtenus sont certes reconnus, mais l’Etat n’est pas non plus le seul fautif. Quelle est la part de sa carence dans la responsabilité d’une sécheresse ou d’inondations catastrophiques et quel contenu concret présentera en conséquence la réparation qu’il lui reviendra d’assumer ? C’est tout cela qui va se jouer dans les deux mois.

Rien n’est encore établi. Que peut décider le tribunal administratif de Paris? Il peut enjoindre l’Etat de prendre une série de mesures contraignantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, conformément à ses engagements. L’écart entre les résultats actuels et les engagements est grand : là où la réduction annuelle devrait être a minima de 1,5%, elle n’était que de 0,9% sur l’année mesurée la plus récente (2019). Le sujet est d’autant plus prégnant juridiquement (et in fine politiquement) qu’au cours de ces mêmes deux mois, le Conseil d’Etat se prononcera sur les réponses de l’Etat quant à sa capacité de tenir la trajectoire de réduction des émissions à l’horizon 2030, dans le cadre d’un recours pour inaction climatique présenté par la commune nordiste de Grande-Synthe.

Ces deux actions convergent et mettent l’Etat sous pression, tout comme la justice administrative. Les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre pris par la France ne sont pas indicatifs, ils sont contraignants et s’imposent. On ne peut avoir été le pays hôte de l’accord de Paris de décembre 2015, se battre à raison pour sa mise en œuvre à travers le monde et échouer paradoxalement chez soi, faute de manifester la volonté que l’on attend ailleurs des autres. C’est là que la justice climatique se glisse, en recherchant par la saisine des cours et tribunaux à forcer l’action publique, en ouvrant la voie à la réparation du préjudice écologique, y compris même au bénéfice de personnes s’estimant nommément victimes des effets du réchauffement climatique.

Tout cela, en France, est encore à venir. L’arrêt du tribunal administratif de Paris du 3 février 2021 ne fait qu’entrouvrir une porte. C’est une étape importante, mais une étape seulement. La dimension contentieuse de l’action climatique est moins commune en France qu’elle ne l’est ailleurs en Europe ou même au-delà. Elle prend cependant un relief particulier au moment où, par coïncidence de calendrier (ou pas), l’agenda législatif du printemps s’ouvre à l’examen par le Parlement du projet de loi issu des propositions de la Convention citoyenne sur le climat et au projet de référendum visant à intégrer l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique dans la Constitution. C’est dire combien les prochains mois seront déterminants pour la justice climatique en France.

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