
C’est aujourd’hui le 14 juillet, jour de fête nationale. Dans chaque coin de France, grandes et petites villes, bourgs et villages, les drapeaux flottent, les bals et feux d’artifice sont à venir, les bénévoles et les services s’affairent pour que la fête soit belle et qu’elle soit partagée. A l’étranger aussi, sous toutes les latitudes, par-delà les distances, le 14 juillet est fêté dignement, passionnément et même amoureusement. J’ai toujours aimé ce jour, plein de joie et de soleil. Je me souviens des rues pavoisées de mon enfance, de la musique, de l’allégresse sincère et contagieuse du moment. C’est la fête nationale, venue du 14 juillet 1789, un souvenir qui a scellé l’histoire, la nôtre, et un peu plus que la nôtre aussi. C’est le moment de se rappeler ce qui nous unit : des idéaux, des principes, une devise, un destin. La vie d’un pays comme la France est volontiers rageuse. Cela fait son originalité, certainement une part de son charme et également l’un de ses plus grands défis. Faire nation n’est pas seulement affaire de 14 juillet. Ce devrait être tous les jours, mais le mettre en œuvre le 14 juillet a tout de même un sens particulier. Les querelles cessent, un pays se réunit, un peuple se retrouve, non pas parce qu’on le doit, mais parce qu’on le veut. Le 14 juillet vient de loin et il nous appartient.
J’ai des souvenirs drôles et merveilleux du 14 juillet. Jeune journaliste au Télégramme de Brest, je me revois dans un Zodiac patrouillant sur la rivière et la mer avec les forces de sécurité devant la foule amassée sur les quais de Bénodet, dans l’attente de la nuit et du feu d’artifice. Il arrivait parfois qu’un vacancier joyeux et quelque peu enivré tombe dans la rivière. Nous allions le repêcher et la chaleur ambiante le réchauffait bien vite. A Los Angeles, barman parmi d’autres de la fête du Consulat de France, j’ouvrais des bouteilles jusqu’au bout de la nuit. Durant mes premières années d’élu, je frissonnais d’émotion en entendant le peuple de Liège entonner la Marseillaise à pleins poumons sur les bords de la Meuse. L’année de mon élection à l’Assemblée nationale, j’avais enchaîné trois cérémonies le 14 juillet 2012: à Berlin, Hambourg et Munich. Mon petit Marcos, 10 mois, était de la partie. Sa poussette était décorée de petits drapeaux tricolores. Je me souviens de Düsseldorf, de Mannheim, de Francfort, de Vienne et de bien d’autres villes visitées les 14 juillet des années d’après. Et d’un 14 juillet dans la tribune officielle Place de la Concorde, face au défilé militaire, un moment de grande émotion. Je sais par mon histoire familiale l’immense gratitude que nous devons à nos armées.
C’est la fête nationale, c’est aussi celle de la République. Le 14 juillet 1790, un après la prise de la Bastille, c’est en présence du roi que la Fête de la Fédération avait eu lieu à Paris sur le Champ-de-Mars. Ce n’était pas (encore) la République et le roi, s’il avait prêté serment à la Constitution, n’était sans doute pas le plus réjoui des nombreux participants. Le moment avait pourtant valeur de symbole. Il s’agissait de célébrer l’unité de la France et l’adhésion des Français à des valeurs communes, des valeurs qui les rassemblent, où qu’ils se trouvent dans le pays et quelles que soient leurs conditions. Par le fait des soubresauts de l’histoire, la célébration du 14 juillet mettra ensuite bien du temps à revenir, jusqu’à l’adoption unanime par l’Assemblée nationale et le Sénat de la loi du 6 juillet 1880 faisant du 14 juillet le jour de la fête nationale, jour chômé, jour de rassemblement et de souvenir de la victoire du peuple sur l’arbitraire, pour la liberté et pour l’égalité. Depuis lors, le 14 juillet a traversé les époques et survécu aux moments de guerre, de peines, de calamités et de souffrances nationales. Il est entré dans notre patrimoine collectif. La France a besoin de repères collectifs, de rituels et de symboles et le 14 juillet, mieux que tout autre, en est la plus vive expression.
Un ancien parlementaire irascible et au verbe haut avait affirmé un jour de grande colère que la République, c’était lui. « La République, c’est moi », assurait-il. Non, la République, c’est nous ! C’est nous tous, Françaises et Français, de métropole, des outre-mer et de l’étranger. Nous sommes ces citoyens égaux en devoirs et en droits, qui célèbrent le 14 juillet passionnément et qui le portent en idéal. Nous sommes cette communauté faite d’histoires et d’itinéraires différents, de sang mêlé et de sang versé, de convictions multiples, de foi et de chemins intimes, soudée par l’héritage des Lumières, par la laïcité qui protège et qui libère, par l’école qui émancipe. Nous sommes ce pays tempétueux qui rêve pourtant de tempérance pour se projeter demain et écrire une nouvelle page de son histoire. Le 14 juillet, c’est tout cela, c’est le rassemblement plutôt que la haine, c’est la fraternité plutôt que le rejet, c’est l’avenir sans les fachos et aussi sans les dingos. Puissions-nous, aujourd’hui, partout en France et plus loin, éprouver dans nos célébrations cette force collective, cet engagement sincère, ce dépassement possible et espéré. Il y a tant à faire ensemble, dans la fidélité aux valeurs de la République. Une fête nous le rappelle et, avec elle, le bleu, le blanc et le rouge des drapeaux qui voleront au vent.
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Cour internationale de justice et climat : un avis fondateur
La Cour internationale de justice a rendu hier mercredi 23 juillet à l’unanimité un avis historique sur le changement climatique. C’est la première fois que la CIJ avait à traiter des obligations légales des Etats face au changement climatique, qualifié par son président Yuji Iwasawa de « menace urgente et existentielle » pour les écosystèmes naturels et les populations humaines. La procédure avait été initiée en 2019 par un groupe d’étudiants du Vanuatu et validée en 2023 par l’Assemblée générale de l’ONU. Lors de l’audience organisée en fin d’année 2024, plus de 100 Etats et organisations internationales avaient pris la parole au Palais de la Paix à La Haye. Deux questions étaient posées. La première portait sur les obligations des Etats en droit international pour protéger le climat. La seconde visait les conséquences juridiques découlant de ces obligations pour les Etats dont les émissions ont causé des dommages, notamment envers les Etats insulaires comme le Vanuatu.
A la première question, la CIJ a répondu que « les traités relatifs au changement climatique imposent aux Etats-parties des obligations contraignantes relativement à la protection » du climat et de l’environnement contre les émissions de gaz à effet de serre. Ces obligations sont l’adoption de mesures pour contribuer à l’atténuation des émissions et à l’adaptation au changement climatique. La CIJ a jugé que « les Etats ont l’obligation de (…) mettre tous les moyens à disposition pour empêcher que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle causent des dommages significatifs » au système climatique et à l’environnement. Cette formulation est d’importance car la CIJ signifie ainsi que la responsabilité des Etats n’est pas réduite par le fait que les émissions procèdent des activités d’entreprises. La CIJ a jugé également que le changement climatique pouvait affecter le droit à la santé et les droits des femmes, des enfants et des peuples autochtones.
Sur la seconde question, la CIJ a estimé que la violation de l’une de ces obligations « constitue, de la part d’un Etat, un fait internationalement illicite engageant sa responsabilité ». L’Etat concerné a de ce fait « un devoir continu de s’acquitter de l’obligation à laquelle il a manqué », ce qui entend la cessation de l’action en cause ou de l’inaction. Surtout, les Etats affectés par le changement climatique pourront sur cette base obtenir des Etats pollueurs une « réparation intégrale »sous forme de « restitution ou indemnisation » dès lors « qu’un lien de causalité suffisamment direct et certain » pourra « être établi entre le fait illicite et le préjudice subi ». Ce lien de causalité ne sera pas simple à établir devant une juridiction nationale face à la résistance des Etats pollueurs. Y parvenir, comme l’écrit la CIJ, ne sera cependant « pas impossible ». La question de la réparation concrète par les Etats pollueurs du préjudice causé constituera en effet selon toute vraisemblance la prochaine étape.
L’avis de la CIJ n’est pas contraignant en droit, mais il ne fait pas grand doute que sa portée sera considérable dans la dynamique des négociations climatiques internationales et dans les délibérés des affaires sur le climat portées devant les juridictions nationales, pour qui la jurisprudence de la CIJ est une référence majeure. Dans les négociations internationales, l’avis exercera notamment une pression accrue en faveur d’un financement renforcé et accéléré par les Etats et les banques internationales de développement des projets de décarbonation d’activités économiques et de transition énergétique. En matière de justice climatique, il encouragera davantage d’organisations non-gouvernementales et de collectifs de citoyens à porter devant les juridictions nationales des actions à l’encontre des gouvernements et d’entreprises fortement émettrices de gaz à effet de serre. A ce jour, il y aurait quelque 3 000 affaires de justice climatique en attente de jugement dans le monde.
La judiciarisation du climat est une réalité, que l’on s’en félicite ou l’on s’en désole. Elle est l’expression d’un désarroi partagé face à la lenteur des efforts d’adaptation au changement climatique et à l’insuffisante réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il est désormais acquis, malheureusement, que l’objectif de l’accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle ne sera pas atteint puisque le monde se trouve d’ores et déjà, 10 ans après la COP 21, dans l’épure de ces 1,5°C. La multiplicité et la violence accrue d’épisodes climatiques autrefois rares font peur, qu’il s’agisse de canicules comme celle du récent solstice d’été ou de tempêtes destructrices. Ignorer cette peur de l’avenir, l’écarter, la moquer est le fonds de commerce d’une internationale du déni qui prospère sur les réseaux sociaux et les chaînes de TV réactionnaires. Son but est d’entraver l’effort international face à la crise climatique.
Il y a d’un côté la volonté, parfois excessive, et de l’autre le cynisme. Donald Trump se moque du changement climatique, même face au pire comme avec les tragiques inondations survenues au Texas. Il sort son pays de l’accord de Paris, rouvre les centrales au charbon, combat les énergies renouvelables, démantèle les normes environnementales et instaure une police de la pensée dans les universités en coupant les budgets, gelant les programmes et licenciant les chercheurs. En Europe aussi, le déni ou la résignation progressent. Il ne reste plus grand-chose du Green Deal qu’Ursula von der Leyen portait jusque l’an passé et qu’elle démantèle désormais. La prise de conscience de l’urgence climatique est devenue impopulaire. Le moratoire sur les énergies renouvelables voté par l’Assemblée nationale un jour de juin – et fort heureusement balayé la semaine suivante – est la triste illustration du déni, du renoncement et quelque part aussi d’une forme de cynisme.
Le sujet climatique revêt une intense dimension citoyenne. Il oppose le moyen et long terme à l’immédiateté, la crainte de perdre ce que l’on a aujourd’hui sans garantie de ce que l’avenir sera. La question sociale dans l’action climatique a été souvent ignorée ou ramenée au rang de préoccupation lointaine. Ce fut une lourde erreur et cela le reste. Le mouvement des gilets jaunes a montré combien cette opposition de la fin du mois à la fin du monde était funeste. Il faut un accompagnement social des choix climatiques calibré sur les géographies – monde rural, monde périphérique, vie urbaine – et les différences de revenus. Sans cela, l’action climatique sera vécue comme une entrave et in fine combattue. Il faut aussi pouvoir – et vouloir – illustrer ce que l’action climatique apporte de positif dans la vie quotidienne, par exemple pour les économies d’énergie et donc le pouvoir d’achat après l’isolation thermique d’un logement ou l’installation de panneaux solaires en toiture.
L’acceptabilité des efforts est la clé du succès pour l’action climatique, nationale comme internationale. Dans ce contexte, l’avis de la CIJ du 23 juillet 2025 est un développement essentiel. Il peut opposer, diviser, radicaliser les parties. La probabilité que cela survienne est réelle, au moins dans le court terme. Mais cet avis doit aussi servir de wake up call. La crise climatique n’est pas disjointe des bouleversements géopolitiques de notre monde. Choisir d’y répondre, en particulier pour les Européens, c’est prendre un temps d’avance décisif sur la cupidité, les calculs et l’ignorance à l’œuvre ailleurs. C’est concurrencer la Chine sur les énergies renouvelables. C’est accueillir les chercheurs et les investisseurs que Trump pousse dehors. C’est travailler à la souveraineté de nos choix européens et à la sécurité de notre espace commun. C’est agir de concert avec les pays en développement. Et c’est protéger les citoyens et construire l’avenir pour et avec eux. Il en est encore temps.
Texte intégral de l’avis de la Cour internationale de justice : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/187/187-20250723-adv-01-00-fr.pdf
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