
Le mois passé, je suis allé pédaler dans les cantons de l’Est. Depuis une première visite il y a une quinzaine d’années, je me suis pris de passion pour cette partie méconnue de la Belgique, paradis des randonneurs et des cyclotouristes. J’ai besoin d’y aller 3 ou 4 fois par an, au rythme des saisons, pour voir la nature changer et goûter la beauté de ces espaces entre l’Eifel et l’Ardenne, aujourd’hui belges et autrefois allemands. D’Eupen à Malmédy, de Raeren à Saint-Vith, de Butgenbach à Burg-Reuland, les distances ne sont pas grandes. Mais il y a les forêts, les vallons, les tourbières et les landes, une succession de paysages différents et grandioses, qui démentent l’idée que la Belgique est un plat pays. Le mollet peut en témoigner : marcher ou pédaler dans les cantons de l’Est est exigeant. On en revient heureux, le plein de chlorophylle fait, mais un peu fourbu aussi.
Dans mon lointain livre d’histoire de terminale à Quimper, les cantons de l’Est étaient appelés les «cantons rédimés», étrange expression non-dénuée de bigoterie. Elle signifiait «racheter les pécheurs» et a fort heureusement disparu depuis des expressions officielles. Les cantons apparaissaient dans mon manuel car, territoires allemands, ils furent attribués à la Belgique à l’issue de la Première Guerre Mondiale par le Traité de Versailles afin d’asseoir une défense militaire vers l’est. C’était en 1919. Cela fait donc un siècle que les cantons d’Eupen, de Malmédy et Saint-Vith, leurs 31 communes d’origine et leur quelque 1000 km2 de territoires sont belges, même s’ils furent annexés par l’Allemagne entre 1940 et 1945. En deux siècles, ils furent successivement français, prussiens, belges, allemands et de nouveau belges.
Sans doute est-ce aussi ce brassage culturel et historique qui me touche, au-delà de la force de la nature, dans les cantons de l’Est. C’est la Belgique et on s’y exprime en allemand. J’aime cela en raison de mon prime germanophone. Et aussi parce que c’est un beau symbole de la diversité du pays. Les 31 communes sont aujourd’hui devenues 11 par le fait de fusions. Celles qui composaient les cantons d’Eupen et de Saint-Vith forment la Communauté germanophone de Belgique, avec son Ministre-Président, son gouvernement, son parlement et même son député européen. Les communes des environs de Malmédy appartiennent à la Communauté française de Belgique. Cela me parle parce que je crois à la nécessité d’incarner institutionnellement le fait régional et culturel. Les cantons de l’Est en sont un laboratoire.
J’ai mes coins favoris. Il y a le parc naturel régional des Hautes Fagnes, non loin d’Eupen, un espace naturel remarquable, à près de 700 mètres d’altitude. Tout cela peut apparaître bien relatif, mais cette altitude, on la sent et on la voit aussi dans le paysage. Il y a même quelques pistes de ski de fond. D’ailleurs, et c’est un clin d’œil amusé, une butte de 6 mètres a été construite au Signal de Botrange, le point le plus élevé de la Belgique afin de passer de ses 694 mètres à 700 mètres. D’autres endroits me touchent également, comme le lac de Butgenbach, le village de Manderfeld ou les hauteurs de Schönberg, face à l’Allemagne, où le plateau de l’Eifel s’étend à l’infini. J’aime séjourner dans un merveilleux petit hôtel-restaurant, installé dans un moulin à eau restauré à Weywertz (www.levieuxmoulin.be). C’est un endroit à l’accueil chaleureux, sublime en toutes les saisons.
Les cantons de l’Est sont un paradis pour les cyclotouristes et les amateurs de VTT. Ma dernière sortie en mai était sur les chemins de Burg-Reuland, à la frontière du Luxembourg, vers Schönberg, Saint-Vith et Brach. J’ai enchainé des pentes à 15% et plus. Le parcours était exigeant. Dans la poche de mon maillot, le téléphone bipait à chaque fois que je passais de Belgique en Allemagne et d’Allemagne en Belgique. Mais le plus grand bonheur des cantons de l’Est, sur des chemins plus plats, c’est la Vennbahn (www.vennbahn.eu), l’une des plus belles voies vertes d’Europe, construite sur une ancienne ligne de chemin de fer qui reliait Troisvierges (Luxembourg) et Aix-la-Chapelle (Allemagne). Ce sont 125 kilomètres de piste asphaltée au milieu de superbes paysages, avec des tunnels et des viaducs, entre 3 pays. Les pentes sont douces et le plaisir de pédaler garanti.
Le bonheur d’aimer une région, la nature et de petits coins méconnus, c’est précisément de les faire connaître. C’est l’idée que j’avais en retrouvant mon blog il y a quelques mois : partager. J’espère que ces quelques lignes donneront à celles et ceux qui les liront l’envie d’aller à la découverte des cantons de l’Est, de leurs paysages et d’une nature magnifique, non loin de Bruxelles, de Cologne et de Bonn. En se munissant – saine recommandation – d’une bonne carte pour trouver le chemin en forêt (je parle d’expérience, marchant dans les Hautes Fagnes, je me suis retrouvé en Allemagne) et aussi sur les pistes de VTT (autre expérience, je pédalais vers le Luxembourg et j’ai fini là aussi en Allemagne…). Cela fait des kilomètres, plus parfois que l’on peut l’imaginer, mais il se trouvera toujours, et c’est aussi l’un des plaisirs des cantons de l’Est, un petit restaurant, un café, un lieu accueillant où s’arrêter, reprendre des forces et tout simplement prendre le temps.
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Deux ans après
Il y a deux ans ce 18 juin, j’essuyais une rude défaite au second tour des élections législatives. La vague m’emportait, malgré un mandat mené tambour battant cinq années durant au service des Français d’Europe centrale et des Balkans, malgré une longue et belle campagne aussi. Je n’avais juste pas la bonne étiquette et l’humeur était au dégagisme. Cette sanction des urnes, je la sentais venir depuis le premier tour. Le mouvement était irrésistible et l’entre-deux tour avait été pour moi comme une tournée d’adieux. Les échanges étaient doux, chaleureux, un peu tristes aussi. Il n’y avait plus d’espoir et là où je passais, chacun le savait bien. L’après-midi du vote, à quelques heures des résultats, je m’étais isolé dans le cimetière d’Ehrenfeld à Cologne, un parc que j’aimais beaucoup. J’avais besoin de me préparer à ce qui viendrait.
Une défaite ne tient pas à grand-chose. J’avais souhaité la candidature d’Emmanuel Macron, puis son élection. Deux jours après celle-ci, je reçus le 9 mai un appel du secrétariat du nouveau Président me proposant le soutien de la République en Marche pour les élections législatives. Je l’acceptais. J’avais fait la connaissance d’Emmanuel Macron la semaine suivant son entrée au gouvernement en septembre 2014. Nous avions voyagé à plusieurs reprises en Allemagne ensemble, partageant réflexions et propositions en matière économique. Le 11 mai devait être publiée la liste des candidats investis ou soutenus par la République en Marche. J’étais en campagne en Slovénie. Installé dans un petit café, je vis sortir un autre nom que le mien sur le site que je consultais au moment fatidique. J’appris par la suite que le MoDem était passé par là.
C’est la vie. Il faut savoir perdre. J’étais sorti de la mandature de François Hollande affligé par les divisions, l’absence de leadership, l’incapacité à expliquer la politique menée et le manque de dialogue avec les parlementaires. La déchéance de nationalité m’avait blessé comme député et comme père d’enfants binationaux. Puis la publication d’un livre d’entretiens de plus de 600 pages entre le Président et deux journalistes à l’automne 2016 m’avait achevé, tant par son contenu que par la révélation que le Président préférait in fine la chronique de son quinquennat à l’échange avec les soutiers anonymes de l’Assemblée nationale dont j’étais. Enfin, j’étais las des leçons de gauchisme assénées par des collègues qui n’avaient jamais passé une journée de leur vie dans l’entreprise alors que j’y avais consacré plus de 20 ans de la mienne.
Je suis aujourd’hui un petit entrepreneur qui se bat. J’ai quitté l’engagement partisan. Mon histoire avec le PS a pris fin. Je ne m’y retrouvais plus. Les amitiés de ces années-là me manquent, mais pas l’appareil. Ai-je renoncé à mes idéaux ? Non. Je conserve la sensibilité de centre-gauche, un peu écolo et volontiers rocardienne, qui m’avait conduit à pousser la porte du PS au temps de mes études et à y militer pendant 28 ans. L’intérêt pour la chose publique ne m’a pas abandonné. Je n’en suis juste plus un acteur. L’avenir de notre pays continue de me passionner. Il y a tant de défis à relever : l’économie, le climat, la précarité. Je suis convaincu que la France y parviendra si elle sait s’unir au-delà des frontières partisanes. Et si cette union incarne la volonté d’agir notamment en faveur de ceux qui ont le moins, pour les catégories populaires.
Réformer la France, lui donner toutes ses chances en Europe et dans le monde requiert de l’explication, de l’écoute et du partage. C’est ce qui a manqué depuis deux ans. On ne met pas un pays en mouvement sans cela. Au contraire, on le braque. La verticalité n’est pas la condition de l’autorité, pas davantage que l’oubli des corps intermédiaires, qu’il s’agisse des ONG, des syndicats ou des organisations professionnelles, et des élus locaux. Aucune action publique, aucune législation, aucune réforme ne sont pérennes si les Français ne se les sont pas appropriées. C’est mon vieux fond rocardien : il faut rendre compte, écouter et accepter de se laisser convaincre. J’ai vu dans le mouvement initial des gilets jaunes l’expression d’une souffrance sociale infinie à laquelle il faut répondre. Et dans la mobilisation de la jeunesse pour le climat une crainte de l’avenir qui nous oblige tous.
Les conversations roulent déjà sur 2022, comme si le temps était suspendu, comme si les élections européennes n’avaient pas envoyé un message fort et inquiétant. La vie politique française ne peut se résumer à un match entre les inclus, que représenterait la majorité, et les exclus, abandonnés aux populistes. Il y a péril pour notre pays. Ce sont de solutions concrètes et de résultats tangibles dont il doit être question. Oui, il existe une France rurale et périphérique, paupérisée et reléguée, victime d’une fracture sociale et générationnelle croissante. L’admirable roman Leurs enfants malgré eux de Nicolas Mathieu, Prix Goncourt 2018, la raconte de manière bouleversante. Il faut se tourner vers elle. La majorité a le devoir d’agir, le devoir de s’ouvrir pour porter utilement, efficacement un agenda de réformes pour tous les Français et pour un pays qui refera société.
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