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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

Vive le foot féminin !

A Valenciennes le dimanche 9 juin, au moment des hymnes nationaux

C’est le dernier week-end de la Coupe du Monde féminine de football. Demain soir, la Suède et l’Angleterre s’affronteront à Nice pour la petite finale, celle de la troisième place. Et dimanche à Lyon, la finale entre les USA, championnes du monde sortantes, et les Pays-Bas, championnes d’Europe, sera à coup sûr somptueuse. J’ai adoré ce mois de compétition en France. Je me suis pris au jeu, suivant presque tous les matches et emmenant un dimanche mes enfants par surprise au Stade du Hainaut à Valenciennes pour y voir un très beau Italie-Australie. Je leur avais dit, pieux mensonge pour ménager l’effet, que nous allions faire une petite promenade le long d’un canal du côté de la frontière franco-belge. Leur bonheur en arrivant à Valenciennes, puis durant tout le match m’avait touché. Ils étaient émerveillés. C’était leur première sortie dans un grand stade de foot. Et c’était pour un match féminin. J’espère qu’ils s’en souviendront.

Moi, je me souviendrai de cette Coupe du Monde. De la joie dans les stades, des supporters, de celles et ceux qui ont tant donné pour faire de ce moment une grande compétition. Et bien sûr aussi des superbes équipes qui y ont participé. A vrai dire, et ce n’est pas une coquetterie à quelques heures du dénouement, j’en arrive même à redouter l’après-Coupe du Monde. Je ne sais si je pourrai retourner avec la même passion au foot masculin. Pourquoi ? Parce que s’est exprimé un football généreux, engagé, altruiste, sans trucage ni simulation ni violence (ou presque). Dans cette Coupe du Monde, il n’y a eu aucune version féminine de Neymar plongeant dans toutes les surfaces de réparation à la recherche désespérée d’un pénalty ou se tordant de douleur pour des fautes imaginaires. J’ai eu l’impression de retrouver un football oublié, simple et juste, celui que j’avais appris petit lorsque, poussin au Stade Quimpérois, mon premier entraineur était … une footballeuse.

J’aurais aimé que la France gagne. Les Bleues de Corinne Diacre ont donné beaucoup de joie à des millions de supporters. Elles ne soulèveront pas la Coupe dimanche soir, mais elles auront, comme cela a déjà été dit, gagné le cœur des français. Comme mes enfants, j’ai adoré Wendie Renard, ses buts, son courage et aussi sa sagesse dans et en dehors du terrain. Les matins de match, ma question pour eux était toujours : «qui va marquer ce soir ?». Et leur réponse était invariablement : «Renard». J’ai aimé les dribbles, l’énergie et les courses d’Amel Majri. Et j’ai vibré pour les exploits de Megan Rapinoe, les buts d’Alex Morgan, les arrêts hallucinants de Sari van Veenendaal dans la cage néerlandaise ou la fulgurance d’Ellen White à la pointe de l’attaque anglaise. Sans oublier l’immense classe et les larmes bouleversantes de Marta au soir de l’élimination brésilienne. Nous avons vu du beau football et il est à parier que la formidable demi-finale entre les USA et l’Angleterre de mardi dernier restera dans les annales du jeu.

Dimanche soir, mon cœur d’Européen sera avec les Pays-Bas. Mais il y a aussi quelque chose en moi qui attend un but d’anthologie de Megan Rapinoe, histoire d’écrire un peu plus la légende. Viendra l’été, puis la reprise. J’espère que ces semaines de bonheur partagé par des millions de téléspectateurs conduiront davantage d’entre eux dans les stades de foot pour les matches féminins. Pour y assister et, mieux encore, pour y jouer. Car il faut plus de licenciées, c’est la clé des succès à venir. Et plus de budget, plus de retransmissions, plus de droits télévisés. L’économie du foot féminin doit croître avec l’effet Coupe du Monde, les salaires des joueuses aussi (pour réduire les écarts insensés avec les joueurs). J’irai au stade, dûment accompagné, car la question m’a été posée, pressante, depuis l’élimination française : «Papa, c’est quand qu’on verra Renard ?». Ce sera à Lyon, là où elle joue, ou pas loin de chez nous si la Champion’s League nous amène l’OL et ses championnes d’Europe. On n’a pas fini de vibrer.

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Les diasporas, une force au service de l’Europe citoyenne

J’ai été élu ce mardi Président de Europeans Throughout The World, fédération européenne d’associations nationales représentant les citoyens vivant hors de leur pays. Je mesure l’honneur que m’ont fait les membres du Conseil d’administration en me portant à la tête de cette belle organisation, créée en 1985 et présidée en leur temps par des personnalités aussi illustres que l’ancien Président espagnol du Parlement européen Enrique Baron Crespo ou l’ancien Ambassadeur belge Simon-Pierre Nothomb. Je suis un français d’Europe et un européen du monde. Voilà 30 ans que je vis et travaille à l’étranger. Ma famille est multiculturelle. Mes enfants sont français et espagnols. Nés à Bruxelles, ils recevront aussi la nationalité belge à leur majorité. J’ai le sentiment d’appartenir à diverses diasporas: française, mais aussi bretonne et européenne. Cela pourra surprendre. L’identité sur laquelle je me suis construit est diverse. Je suis français, mes racines sont en Bretagne et je ne me suis jamais senti plus européen que lorsque je vivais aux Etats-Unis.

Je crois profondément en la valeur ajoutée des diasporas dans la vie démocratique. Député des Français de l’étranger, membre de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, je me suis attaché à l’illustrer tout au long de mon engagement public. Parfois avec succès, en présentant un rapport et des recommandations au Conseil de l’Europe sur les réseaux associatifs et d’enseignement des diasporas européennes; parfois avec difficulté, comme lors du débat parlementaire français de 2016 sur la déchéance de nationalité. Ce qui nous parle spontanément à l’étranger n’est pas perçu à l’identique en France ou ailleurs. Le débat de 2016 me l’avait sentir rudement, y compris de la part de collègues et amis. Est-on un citoyen à égalité de devoirs et de droits lorsque l’on vit loin de son (ou de ses) pays ? Je pense bien sûr que oui, mais les opinions divergentes exprimées alors m’ont convaincu qu’il y a un travail énorme de présentation de ce qu’est une diaspora à livrer pour démystifier, rendre justice, revendiquer l’égalité et servir la cause démocratique.

C’est ce que je m’attacherai à faire comme Président de Europeans Throughout the World. Dès mardi prochain, je serai présent aux rencontres annuelles de Vlamingen in de Wereld (les Flamands dans le monde) à Mechelen, puis j’interviendrai les 2-3 septembre à l’université d’été sur la citoyenneté européenne à Bruxelles. Je veux montrer que les organisations citoyennes à l’étranger et les réseaux de diasporas contribuent concrètement au vivre-ensemble en maintenant le lien avec le pays (ou la région) d’origine et en facilitant l’intégration dans le pays de résidence. Je l’ai vu par de nombreux exemples lors des deux années d’enquête et de recherche préalables à la présentation de mon rapport au Conseil de l’Europe. Il faut que les autorités des pays d’origine et de résidence encouragent ces associations et réseaux. Nos sociétés sont multiculturelles. Un parcours de vie ne se divise pas. On peut être italien et allemand sans être moins italien que les italiens d’Italie ou les allemands d’Allemagne. Et franco-espagnol en Belgique autant qu’en Espagne ou en France.

Unis dans la diversité, telle est la devise de l’Europe. Les diasporas l’incarnent mieux que tout. La diversité est culturelle dans le plus large sens et c’est très bien. Elle est également législative et c’est nettement moins satisfaisant. Certains pays permettent à leurs ressortissants à l’étranger de voter et même d’élire des députés les représentant. Ce fut mon cas en France. D’autres, au contraire, privent du droit de vote leurs ressortissants après un certain temps passé hors du territoire national. Cette diversité-là est dérangeante. Il y a un travail de conviction à mener au nom de l’égalité des citoyens, qui s’étend de la représentation politique à la libre circulation des personnes, à la reconnaissance des diplômes, à la constitution et liquidation des retraites à l’étranger ou bien encore au droit de la famille. Il faut donner un contenu concret et opérationnel à la protection consulaire européenne. Ce sont autant de sujets sur lesquels Europeans Throughout the World dispose d’un formidable retour d’expérience, qu’il s’agira de mutualiser en renforçant les liens entre organisations nationales et locales, et de partager avec les autorités de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.

Je m’engage dans ce projet avec passion, entouré par un conseil d’administration solide et un secrétaire-général, Steen Illeborg, à qui je veux dire toute mon admiration. L’image que doit porter Europeans Throughout the World est celle d’une multiculturalité ouverte et accueillante. Nos sociétés sont minées par le rejet de l’autre, l’exclusion et la xénophobie. Promouvoir la libre circulation des personnes par la preuve, c’est s’opposer de la meilleure manière qu’il soit au repli sur soi, à la discrimination et à l’europhobie. Je veux faire de Europeans Throughout the World une force de propositions concrètes, un interlocuteur privilégié du monde institutionnel européen, une référence pour les médias internationaux curieux de connaître la réalité de la vie loin de son (ou de ses) pays. Sans doute était-ce le moment, après une vie d’entreprise, une vie associative et une vie politique, de m’engager sur cette voie avec le souci de convaincre, de construire et d’apporter ma pierre à un projet en lequel je crois profondément: l’Europe des citoyens.

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Parce que c’était Bruges, parce que c’était nous

Tout au bout d’une allée pavée, dans le soleil de fin de jour, un petit groupe se dessine. Des visages amis apparaissent, si peu changés, des timbres de voix familiers et des souvenirs qui reviennent dans l’instant, comme un saut éperdu dans le temps il y a 30 ans. 30 ans, c’est pourtant si long. 30 ans, c’est ce qui nous sépare désormais de cette année unique passée ici, au bord des canaux, au Collège d’Europe. Le mur de Berlin n’était pas encore tombé, Ronald Reagan vivait ses derniers mois à la Maison Blanche et Margaret Thatcher venait prononcer dans les grandes halles de Bruges, devant nous, ce discours qui ferait date et annoncerait le Brexit. Son Europe n’était pas la nôtre. Nous avions besoin de rêver, d’espérer, de construire. D’imaginer ce que notre continent divisé serait, de lui donner corps et cœur aussi. Ce n’était pas encore l’Union européenne, ni celle de l’Euro, tout juste celle de l’Acte unique. Mais l’histoire était en marche, irrésistible: un projet commun, ambitieux et inédit se dessinait, qui transcenderait nos histoires et nos destins, un projet que nous aurions passion à étudier, imaginer et porter, que nous soyons juristes, économistes ou issus de la science politique.

C’était samedi à Bruges, tout près d’Oud Sint Jan, les retrouvailles d’étudiants devenus quinquas. Il y avait l’émotion, la surprise, l’affection, le bonheur simple de reprendre le cours de conversations là où nous les avions laissées: en 1989, avec ce curieux sentiment que c’était finalement juste hier. Bruges et le Collège d’Europe ont changé à jamais le cours de nos vies. J’ai souvent, comme tant d’autres, le cœur serré lorsque je repense à ces souvenirs, à ces images, à cette année qui nous a tant marqués. Nous étions jeunes, nous avions tant à apprendre: apprendre l’Europe, découvrir cette ville chargée d’histoire qui nous accueillait et nous inspirerait, nous découvrir aussi nous-mêmes. Le Collège d’Europe serait pour chacun d’entre nous un chemin initiatique, construit au long de mois passés ensemble dans les cours, à la bibliothèque, dans nos résidences et nos fêtes. Pour beaucoup d’entre nous, cette expérience était la première à l’étranger. Erasmus n’avait que 3 ans et rares étaient ceux alors qui avaient étudié hors de leur pays. Nous découvrions d’autres cultures, un formidable creuset de traditions universitaires, une émulation intellectuelle, une interaction féconde avec nos professeurs et assistants.

C’était il y a 30 ans. Qu’en reste-il? Le temps s’écoule, nous avons passé le demi-siècle, la vie avance, avec ses succès et ses peines, ses espoirs et ses regrets. Il reste nos souvenirs, le sourire tendre de ceux qui ne sont plus, des amitiés pour la vie, le sentiment que ce que nous avons vécu ensemble nous a changés et unis pour toujours. Il faisait beau hier à Bruges. Comme ce jour de juin 1989 où nous avions vidé nos chambres, quitté nos résidences, bouclé les valises et écrasé bien des larmes parce que l’année était finie, les diplômes étaient décernés et que le temps de partir était venu. La crainte de ne plus se revoir était là, celle aussi de voir s’estomper l’histoire de cette année merveilleuse, au point peut-être de douter un jour qu’elle eut même lieu. Rien de cela, heureusement, n’est arrivé. Le temps n’a pas eu raison de nos liens. C’est la magie de cette année. Je me souviens de l’hiver flamand, lorsqu’il faisait sombre, que le vent soufflait et que la pluie tombait. Ces mois d’hiver étaient beaux et chaleureux. Ils furent des mois d’entraide, de solidarité et de belles histoires. Le Collège d’Europe fut tout cela. C’est notre histoire, elle est simple et vraie. Parce que c’était Bruges, parce que c’était nous. Et parce que le chemin est toujours devant nous.

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Deux ans après

Il y a deux ans ce 18 juin, j’essuyais une rude défaite au second tour des élections législatives. La vague m’emportait, malgré un mandat mené tambour battant cinq années durant au service des Français d’Europe centrale et des Balkans, malgré une longue et belle campagne aussi. Je n’avais juste pas la bonne étiquette et l’humeur était au dégagisme. Cette sanction des urnes, je la sentais venir depuis le premier tour. Le mouvement était irrésistible et l’entre-deux tour avait été pour moi comme une tournée d’adieux. Les échanges étaient doux, chaleureux, un peu tristes aussi. Il n’y avait plus d’espoir et là où je passais, chacun le savait bien. L’après-midi du vote, à quelques heures des résultats, je m’étais isolé dans le cimetière d’Ehrenfeld à Cologne, un parc que j’aimais beaucoup. J’avais besoin de me préparer à ce qui viendrait.

Une défaite ne tient pas à grand-chose. J’avais souhaité la candidature d’Emmanuel Macron, puis son élection. Deux jours après celle-ci, je reçus le 9 mai un appel du secrétariat du nouveau Président me proposant le soutien de la République en Marche pour les élections législatives. Je l’acceptais. J’avais fait la connaissance d’Emmanuel Macron la semaine suivant son entrée au gouvernement en septembre 2014. Nous avions voyagé à plusieurs reprises en Allemagne ensemble, partageant réflexions et propositions en matière économique. Le 11 mai devait être publiée la liste des candidats investis ou soutenus par la République en Marche. J’étais en campagne en Slovénie. Installé dans un petit café, je vis sortir un autre nom que le mien sur le site que je consultais au moment fatidique. J’appris par la suite que le MoDem était passé par là.

C’est la vie. Il faut savoir perdre. J’étais sorti de la mandature de François Hollande affligé par les divisions, l’absence de leadership, l’incapacité à expliquer la politique menée et le manque de dialogue avec les parlementaires. La déchéance de nationalité m’avait blessé comme député et comme père d’enfants binationaux. Puis la publication d’un livre d’entretiens de plus de 600 pages entre le Président et deux journalistes à l’automne 2016 m’avait achevé, tant par son contenu que par la révélation que le Président préférait in fine la chronique de son quinquennat à l’échange avec les soutiers anonymes de l’Assemblée nationale dont j’étais. Enfin, j’étais las des leçons de gauchisme assénées par des collègues qui n’avaient jamais passé une journée de leur vie dans l’entreprise alors que j’y avais consacré plus de 20 ans de la mienne.

Je suis aujourd’hui un petit entrepreneur qui se bat. J’ai quitté l’engagement partisan. Mon histoire avec le PS a pris fin. Je ne m’y retrouvais plus. Les amitiés de ces années-là me manquent, mais pas l’appareil. Ai-je renoncé à mes idéaux ? Non. Je conserve la sensibilité de centre-gauche, un peu écolo et volontiers rocardienne, qui m’avait conduit à pousser la porte du PS au temps de mes études et à y militer pendant 28 ans. L’intérêt pour la chose publique ne m’a pas abandonné. Je n’en suis juste plus un acteur. L’avenir de notre pays continue de me passionner. Il y a tant de défis à relever : l’économie, le climat, la précarité. Je suis convaincu que la France y parviendra si elle sait s’unir au-delà des frontières partisanes. Et si cette union incarne la volonté d’agir notamment en faveur de ceux qui ont le moins, pour les catégories populaires.

Réformer la France, lui donner toutes ses chances en Europe et dans le monde requiert de l’explication, de l’écoute et du partage. C’est ce qui a manqué depuis deux ans. On ne met pas un pays en mouvement sans cela. Au contraire, on le braque. La verticalité n’est pas la condition de l’autorité, pas davantage que l’oubli des corps intermédiaires, qu’il s’agisse des ONG, des syndicats ou des organisations professionnelles, et des élus locaux. Aucune action publique, aucune législation, aucune réforme ne sont pérennes si les Français ne se les sont pas appropriées. C’est mon vieux fond rocardien : il faut rendre compte, écouter et accepter de se laisser convaincre. J’ai vu dans le mouvement initial des gilets jaunes l’expression d’une souffrance sociale infinie à laquelle il faut répondre. Et dans la mobilisation de la jeunesse pour le climat une crainte de l’avenir qui nous oblige tous.

Les conversations roulent déjà sur 2022, comme si le temps était suspendu, comme si les élections européennes n’avaient pas envoyé un message fort et inquiétant. La vie politique française ne peut se résumer à un match entre les inclus, que représenterait la majorité, et les exclus, abandonnés aux populistes. Il y a péril pour notre pays. Ce sont de solutions concrètes et de résultats tangibles dont il doit être question. Oui, il existe une France rurale et périphérique, paupérisée et reléguée, victime d’une fracture sociale et générationnelle croissante. L’admirable roman Leurs enfants malgré eux de Nicolas Mathieu, Prix Goncourt 2018, la raconte de manière bouleversante. Il faut se tourner vers elle. La majorité a le devoir d’agir, le devoir de s’ouvrir pour porter utilement, efficacement un agenda de réformes pour tous les Français et pour un pays qui refera société.

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