Tout au bout d’une allée pavée, dans le soleil de fin de jour, un petit groupe se dessine. Des visages amis apparaissent, si peu changés, des timbres de voix familiers et des souvenirs qui reviennent dans l’instant, comme un saut éperdu dans le temps il y a 30 ans. 30 ans, c’est pourtant si long. 30 ans, c’est ce qui nous sépare désormais de cette année unique passée ici, au bord des canaux, au Collège d’Europe. Le mur de Berlin n’était pas encore tombé, Ronald Reagan vivait ses derniers mois à la Maison Blanche et Margaret Thatcher venait prononcer dans les grandes halles de Bruges, devant nous, ce discours qui ferait date et annoncerait le Brexit. Son Europe n’était pas la nôtre. Nous avions besoin de rêver, d’espérer, de construire. D’imaginer ce que notre continent divisé serait, de lui donner corps et cœur aussi. Ce n’était pas encore l’Union européenne, ni celle de l’Euro, tout juste celle de l’Acte unique. Mais l’histoire était en marche, irrésistible: un projet commun, ambitieux et inédit se dessinait, qui transcenderait nos histoires et nos destins, un projet que nous aurions passion à étudier, imaginer et porter, que nous soyons juristes, économistes ou issus de la science politique.
C’était samedi à Bruges, tout près d’Oud Sint Jan, les retrouvailles d’étudiants devenus quinquas. Il y avait l’émotion, la surprise, l’affection, le bonheur simple de reprendre le cours de conversations là où nous les avions laissées: en 1989, avec ce curieux sentiment que c’était finalement juste hier. Bruges et le Collège d’Europe ont changé à jamais le cours de nos vies. J’ai souvent, comme tant d’autres, le cœur serré lorsque je repense à ces souvenirs, à ces images, à cette année qui nous a tant marqués. Nous étions jeunes, nous avions tant à apprendre: apprendre l’Europe, découvrir cette ville chargée d’histoire qui nous accueillait et nous inspirerait, nous découvrir aussi nous-mêmes. Le Collège d’Europe serait pour chacun d’entre nous un chemin initiatique, construit au long de mois passés ensemble dans les cours, à la bibliothèque, dans nos résidences et nos fêtes. Pour beaucoup d’entre nous, cette expérience était la première à l’étranger. Erasmus n’avait que 3 ans et rares étaient ceux alors qui avaient étudié hors de leur pays. Nous découvrions d’autres cultures, un formidable creuset de traditions universitaires, une émulation intellectuelle, une interaction féconde avec nos professeurs et assistants.
C’était il y a 30 ans. Qu’en reste-il? Le temps s’écoule, nous avons passé le demi-siècle, la vie avance, avec ses succès et ses peines, ses espoirs et ses regrets. Il reste nos souvenirs, le sourire tendre de ceux qui ne sont plus, des amitiés pour la vie, le sentiment que ce que nous avons vécu ensemble nous a changés et unis pour toujours. Il faisait beau hier à Bruges. Comme ce jour de juin 1989 où nous avions vidé nos chambres, quitté nos résidences, bouclé les valises et écrasé bien des larmes parce que l’année était finie, les diplômes étaient décernés et que le temps de partir était venu. La crainte de ne plus se revoir était là, celle aussi de voir s’estomper l’histoire de cette année merveilleuse, au point peut-être de douter un jour qu’elle eut même lieu. Rien de cela, heureusement, n’est arrivé. Le temps n’a pas eu raison de nos liens. C’est la magie de cette année. Je me souviens de l’hiver flamand, lorsqu’il faisait sombre, que le vent soufflait et que la pluie tombait. Ces mois d’hiver étaient beaux et chaleureux. Ils furent des mois d’entraide, de solidarité et de belles histoires. Le Collège d’Europe fut tout cela. C’est notre histoire, elle est simple et vraie. Parce que c’était Bruges, parce que c’était nous. Et parce que le chemin est toujours devant nous.
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Les diasporas, une force au service de l’Europe citoyenne
J’ai été élu ce mardi Président de Europeans Throughout The World, fédération européenne d’associations nationales représentant les citoyens vivant hors de leur pays. Je mesure l’honneur que m’ont fait les membres du Conseil d’administration en me portant à la tête de cette belle organisation, créée en 1985 et présidée en leur temps par des personnalités aussi illustres que l’ancien Président espagnol du Parlement européen Enrique Baron Crespo ou l’ancien Ambassadeur belge Simon-Pierre Nothomb. Je suis un français d’Europe et un européen du monde. Voilà 30 ans que je vis et travaille à l’étranger. Ma famille est multiculturelle. Mes enfants sont français et espagnols. Nés à Bruxelles, ils recevront aussi la nationalité belge à leur majorité. J’ai le sentiment d’appartenir à diverses diasporas: française, mais aussi bretonne et européenne. Cela pourra surprendre. L’identité sur laquelle je me suis construit est diverse. Je suis français, mes racines sont en Bretagne et je ne me suis jamais senti plus européen que lorsque je vivais aux Etats-Unis.
Je crois profondément en la valeur ajoutée des diasporas dans la vie démocratique. Député des Français de l’étranger, membre de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, je me suis attaché à l’illustrer tout au long de mon engagement public. Parfois avec succès, en présentant un rapport et des recommandations au Conseil de l’Europe sur les réseaux associatifs et d’enseignement des diasporas européennes; parfois avec difficulté, comme lors du débat parlementaire français de 2016 sur la déchéance de nationalité. Ce qui nous parle spontanément à l’étranger n’est pas perçu à l’identique en France ou ailleurs. Le débat de 2016 me l’avait sentir rudement, y compris de la part de collègues et amis. Est-on un citoyen à égalité de devoirs et de droits lorsque l’on vit loin de son (ou de ses) pays ? Je pense bien sûr que oui, mais les opinions divergentes exprimées alors m’ont convaincu qu’il y a un travail énorme de présentation de ce qu’est une diaspora à livrer pour démystifier, rendre justice, revendiquer l’égalité et servir la cause démocratique.
C’est ce que je m’attacherai à faire comme Président de Europeans Throughout the World. Dès mardi prochain, je serai présent aux rencontres annuelles de Vlamingen in de Wereld (les Flamands dans le monde) à Mechelen, puis j’interviendrai les 2-3 septembre à l’université d’été sur la citoyenneté européenne à Bruxelles. Je veux montrer que les organisations citoyennes à l’étranger et les réseaux de diasporas contribuent concrètement au vivre-ensemble en maintenant le lien avec le pays (ou la région) d’origine et en facilitant l’intégration dans le pays de résidence. Je l’ai vu par de nombreux exemples lors des deux années d’enquête et de recherche préalables à la présentation de mon rapport au Conseil de l’Europe. Il faut que les autorités des pays d’origine et de résidence encouragent ces associations et réseaux. Nos sociétés sont multiculturelles. Un parcours de vie ne se divise pas. On peut être italien et allemand sans être moins italien que les italiens d’Italie ou les allemands d’Allemagne. Et franco-espagnol en Belgique autant qu’en Espagne ou en France.
Unis dans la diversité, telle est la devise de l’Europe. Les diasporas l’incarnent mieux que tout. La diversité est culturelle dans le plus large sens et c’est très bien. Elle est également législative et c’est nettement moins satisfaisant. Certains pays permettent à leurs ressortissants à l’étranger de voter et même d’élire des députés les représentant. Ce fut mon cas en France. D’autres, au contraire, privent du droit de vote leurs ressortissants après un certain temps passé hors du territoire national. Cette diversité-là est dérangeante. Il y a un travail de conviction à mener au nom de l’égalité des citoyens, qui s’étend de la représentation politique à la libre circulation des personnes, à la reconnaissance des diplômes, à la constitution et liquidation des retraites à l’étranger ou bien encore au droit de la famille. Il faut donner un contenu concret et opérationnel à la protection consulaire européenne. Ce sont autant de sujets sur lesquels Europeans Throughout the World dispose d’un formidable retour d’expérience, qu’il s’agira de mutualiser en renforçant les liens entre organisations nationales et locales, et de partager avec les autorités de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.
Je m’engage dans ce projet avec passion, entouré par un conseil d’administration solide et un secrétaire-général, Steen Illeborg, à qui je veux dire toute mon admiration. L’image que doit porter Europeans Throughout the World est celle d’une multiculturalité ouverte et accueillante. Nos sociétés sont minées par le rejet de l’autre, l’exclusion et la xénophobie. Promouvoir la libre circulation des personnes par la preuve, c’est s’opposer de la meilleure manière qu’il soit au repli sur soi, à la discrimination et à l’europhobie. Je veux faire de Europeans Throughout the World une force de propositions concrètes, un interlocuteur privilégié du monde institutionnel européen, une référence pour les médias internationaux curieux de connaître la réalité de la vie loin de son (ou de ses) pays. Sans doute était-ce le moment, après une vie d’entreprise, une vie associative et une vie politique, de m’engager sur cette voie avec le souci de convaincre, de construire et d’apporter ma pierre à un projet en lequel je crois profondément: l’Europe des citoyens.
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