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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

L’avenir, ce sont les énergies renouvelables

J’ai lu hier matin l’interview dans Le Monde du député du Vaucluse Julien Aubert s’en prenant au soutien accordé par les autorités françaises au déploiement des énergies renouvelables (www.lemonde.fr/economie/article/2019/03/16/julien-aubert-depute-lr-la-transition-energetique-a-la-francaise-est-incoherente_5437031_3234.html). Dire que les bras m’en sont tombés est un euphémisme. Voudrait-on faire échouer à l’avance le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, dont Monsieur Aubert est pourtant le président, que l’on ne s’y prendrait pas autrement. J’ai été cadre-dirigeant dans l’industrie solaire européenne, puis député et à ce titre rapporteur de la ratification de l’Accord de Paris sur le climat à l’Assemblée nationale. C’est dire que les énergies renouvelables, je les connais bien depuis longtemps. Et je me sens autorisé à contredire les affirmations de mon ancien collègue.

Selon Monsieur Aubert, le soutien aux énergies renouvelables serait trop coûteux. Doit-on rappeler que ce qui coûte cher aujourd’hui, c’est essentiellement le financement des premières installations déployées entre 2005 et 2011 au moyen d’un tarif de rachat de l’électricité sur 20 ans certes généreux, mais qui permettait aussi aux industriels d’avoir la visibilité pluriannuelle d’investissements décisive autorisant une production importante de panneaux photovoltaïques – pour prendre l’exemple de l’énergie solaire – contribuant elle-même par des économies d’échelle à une baisse considérable des coûts de fabrication. Ce pari était nécessaire. Il a été relevé : la compétitivité des énergies renouvelables est désormais une réalité. Les prix pratiqués dans les appels d’offres ces dernières années n’ont plus rien à voir avec les tarifs de rachat initiaux.

Monsieur Aubert qualifie de « folie budgétaire » la récente décision du gouvernement dans la programmation pluriannelle de l’énergie (PPE) de multiplier par cinq et par deux les capacités installées des installations solaires et éoliennes pour 2028. Son erreur est de raisonner à technologies et à coûts constants. Elle est aussi d’ignorer que l’énergie solaire est maintenant compétitive avec les énergies fossiles et même avec l’énergie nucléaire. Ce qui soulève d’ailleurs l’intérêt de son déploiement par de grandes centrales hors appels d’offres et donc hors soutien public au moyen de contrats d’achat de longue durée entre un producteur d’électricité solaire et des entreprises consommatrices énergivores. Pour atteindre les objectifs de la PPE, le chemin pour la France, en complément du système d’appels d’offres, se trouve notamment là.

Des contraintes existent qui, si elles étaient levées, libéreraient le déploiement de l’énergie solaire en France. Il faudrait travailler sur la taille des installations, la réduction des incertitudes et des délais pour les permis de construire et les raccordements au réseau, la connexion des grandes centrales au réseau de transmission, la transparence des coûts d’accès au réseau de distribution, etc. Faisons confiance au retour d’expérience des entreprises, où qu’elles se trouvent dans la chaîne de valeur. L’industrie photovoltaïque d’il y a 10 ans n’a plus grand-chose à voir avec celle d’aujourd’hui tant les avancées technologiques ont été considérables. C’est vrai des rendements. C’est même vrai aussi, peu à peu, du stockage et de l’intermittence. Aussi n’est-il pas juste de dire, comme le fait Julien Aubert, « qu’on devra coupler (les énergies renouvelables) avec du gaz et du charbon » pour toujours.

Arrêtons également d’opposer le choix nucléaire de la France aux énergies renouvelables, en arguant que le nucléaire ne produit pas d’émissions de CO2 et qu’il n’est pas cher pour dispenser notre pays de tout effort en faveur des énergies propres. Quel est le coût du traitement et de la gestion des déchets nucléaires ? Voilà une question qu’il faut aborder. Pour ma part, je connais l’accord volontaire et préfinancé européen de collecte et de recyclage des panneaux solaires (PV Cycle) pour en avoir été, avec quelques autres industriels, à l’origine il y a une douzaine d’années. Autre question : qui paierait l’installation d’un second EPR en France ? A l’évidence les consommateurs, par une surcharge sur leur facture d’électricité qui excéderait sûrement le coût du déploiement des énergies renouvelables tel qu’envisagé par la PPE. Gardons-nous de ce fait de tout jugement péremptoire et définitif.

Reste l’argument de l’emploi français employé par Julien Aubert : « … on dépense beaucoup d’argent pour remplacer une énergie décarbonée produite avec des emplois industriels en France – le nucléaire – par une énergie décarbonée qui favorise les entreprises des pays voisins – le solaire et l’éolien ». C’est vrai que les panneaux solaires et les éléments d’éoliennes sont souvent fabriqués hors de France. Mais la chaîne de valeur est beaucoup plus large que la seule industrie manufacturière. En amont et en aval des projets de déploiement, il y a des entreprises, souvent jeunes, toutes dynamiques, passionnées et ancrées dans nos territoires, qui ont un savoir-faire décisif et qui créent beaucoup d’emplois, directement et indirectement. L’aventure des énergies renouvelables, c’est cela aussi. La France doit prendre sa pleine part de ce défi économique, industriel et de société. Tant se joue maintenant. J’ai confiance que le rapport de l’Assemblée nationale, attendu pour l’été, saura utilement l’illustrer.

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Quel avenir pour le Conseil de l’Europe ?

J’étais hier soir à Fontainebleau le premier conférencier de la toute nouvelle Maison de l’Europe de Seine-et-Marne, présidée par mon ami et ancien collègue député Jean-Claude Mignon et par l’ancien Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Alain Vivien. Jean-Claude Mignon, Alain Vivien et le maire de Fontainebleau Frédéric Valletoux m’avaient invité à plancher sur l’avenir du Conseil de l’Europe. 2019 est une année importante pour l’Europe. Dans deux mois auront lieu les élections européennes. Mais cette année est aussi celle des 70 ans du Conseil de l’Europe et celle des 60 ans de la Cour européenne des droits de l’homme. Ces deux anniversaires interviendront en outre durant la présidence française du Comité des Ministres de mai à novembre prochains. Toutes ces coïncidences de calendrier doivent être mises à profit pour illustrer l’apport décisif du Conseil de l’Europe à la vie quotidienne des Européens et pour imaginer son avenir. Voici les éléments essentiels de mon intervention.

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Le Conseil de l’Europe vient de loin, de l’immédiat après-guerre et d’un discours fondateur de Winston Churchill à Zurich en 1946. Un objectif habitait Churchill, et aussi bien d’autres pères de l’Europe, témoins des deux conflits mondiaux qui avaient ravagé notre continent : créer les conditions d’une union de l’Europe pour conjurer à jamais les affres de la guerre. Le choix fut fait à Londres le 5 mai 1949 de créer, non une organisation de nature fédérale (qui viendra plus tard avec la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, puis les Communautés Economiques Européennes et la Communauté Européenne de l’Energie Atomique), mais une organisation intergouvernementale autour des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit.

Les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit forment les bases d’une société de liberté et de responsabilité. Les droits de l’homme permettent de s’attaquer aux difficultés, fléaux et tragédies de notre temps : terrorisme, criminalité organisée, cybercriminalité, corruption, racisme, intolérance, les violences faites aux femmes et aux enfants, homophobie et traite des êtres humains. Ce sont autant de questions que le Conseil de l’Europe, depuis 70 ans, couvre par diverses Conventions et programmes d’action sur des sujets qui vont de la démocratie et des affaires politiques à la cohésion sociale, à la culture, à l’éducation, à la jeunesse et aux sports.

Le Conseil de l’Europe a mis en place près de 200 conventions thématiques qui ont fait progresser l’Etat de droit décisivement dans les Etats membres. Les plus connues sont la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte sociale européenne, la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes, la Convention de Lanzarote sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels et la Convention de Budapest sur la cybercriminalité. Cette œuvre conventionnelle est la marque d’un long et profond sillon tracé au service des droits et libertés des 800 millions d’Européens. En 70 ans, c’est un espace juridique commun que le Conseil de l’Europe a forgé.

En adhérant au Conseil de l’Europe, chacun des 47 Etats membres a accepté de se soumettre à des mécanismes de contrôle indépendants dont la mission est l’évaluation in situ du respect des droits de l’homme et des pratiques démocratiques. Ce système de suivi permanent met en lumière sous le regard exigeant de l’opinion les carences et les difficultés de chaque Etat membre. Tout aussi important, chaque rapport est assorti de recommandations concrètes et utiles. Ces précieux mécanismes de contrôle indépendants sont notamment ceux du Comité européen de prévention de la torture, de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance ou de la Commission européenne pour la démocratie par le droit, plus connue comme Commission de Venise.

Le Conseil de l’Europe est la seule organisation réellement paneuropéenne, couvrant un territoire bien plus vaste que celui de l’Union européenne en incluant des Etats situés à l’est du continent ou dans le Caucase. Ce territoire va de l’Atlantique au Pacifique. Le Conseil de l’Europe incarne également d’autres valeurs que celles de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui s’étend, quant à elle, aux Etats-Unis, au Canada et à des pays d’Asie centrale, avec des Etats membres, à commencer par les Etats-Unis, qui pratiquent la peine de mort alors même qu’elle est interdite dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe et que c’en est l’une des plus grandes fiertés.

Les activités du Conseil de l’Europe présentent une importante dimension géopolitique, en particulier entre Etats membres appartenant à l’Union européenne et des Etats comme la Russie et la Turquie. Y contribuent tout à la fois les Ambassadeurs siégeant au Comité des Ministres, dont les échanges sont permanents, et l’Assemblée parlementaire par le truchement de la diplomatie parlementaire, un concept peu connu en France et dont j’ai pu prendre toute la mesure à Strasbourg par les discussions que les parlementaires ont informellement entre eux. Les parlementaires ne cessent jamais de se parler, poursuivant les conversations là où parfois la diplomatie s’arrête, et ces liens sont très précieux pour la démocratie et les droits de l’homme.

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Le bilan du Conseil de l’Europe est positif et décisif. Il est même, lorsqu’on le regarde avec le recul du temps, objectivement impressionnant. Rien n’était acquis ni gagné d’avance en 1949. C’est ce sentiment, cette profondeur historique qui m’avait saisi lorsque j’ai découvert le Conseil de l’Europe en rejoignant l’Assemblée parlementaire comme député en 2012. Mais la vérité m’oblige à reconnaître aussi, au-delà ce bilan, que le Conseil de l’Europe traverse aujourd’hui une crise profonde, certainement la plus grave de son histoire, de laquelle il est impératif qu’il sorte dans l’intérêt même des Européens.

Cette crise est de multiple nature. Elle tient tout d’abord à l’émergence en Europe de démocraties illibérales. L’illibéralisme, c’est la contestation, sur le principe et dans les faits, des fondements de la démocratie libérale : séparation des pouvoirs, indépendance de la justice, liberté d’expression, entre autres. S’y mêlent tout à la fois et à des degrés divers le populisme, la protection des nomenklaturas post-communistes et, au moins pour la Russie et la Turquie, des ambitions impérialistes assumées. Tous ces pays ont aussi en commun la contestation répétée et de plus en plus vive de l’autorité de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi qu’une résistance croissante à la mise en œuvre des jugements les concernant.

La crise que traverse le Conseil de l’Europe est également la conséquence de l’annexion de la Crimée, territoire ukrainien, par la Russie en 2014. A cette annexion, l’Assemblée parlementaire avait réagi par des sanctions à l’encontre de la délégation parlementaire russe, privée non de son droit de siéger, mais de ses droits de vote et de l’accès à des rapports pour les députés la composant. En retour, la délégation russe s’est retirée de toutes les instances de l’Assemblée, puis le gouvernement russe, à compter de 2017, a refusé de verser sa quote-part d’Etat membre au Conseil de l’Europe (environ 33 millions d’Euros). Cela fait presque 2 ans désormais et, sauf surprise, le Comité des Ministres, sous présidence française, ne pourra que constater en juin prochain la suspension de la Russie de sa qualité d’Etat membre.

A cela s’ajoute un dernier élément de crise, peut-être le plus redoutable. C’est une perte de sens, de perspective et de confiance en le Conseil de l’Europe. Je l’ai ressentie en faisant campagne comme candidat au mandat de Commissaire aux droits de l’homme l’an passé. Quel peut encore être le rôle du Conseil de l’Europe alors que l’Union européenne s’élargit tant dans l’espace que par ses compétences ? Au contact de certains pays, j’ai perçu cette interrogation, dont l’une des expressions peut être trouvée dans les difficultés de signature et ratification des plus récentes Conventions. Et aussi parfois auprès de personnels de l’organisation, interrogatifs sur le sens de leur engagement. Il faut vouloir entendre cette inquiétude sourde exprimée par celles et ceux qui, à Strasbourg, représentent la permanence, l’unité et les talents du Conseil de l’Europe.

Le retrait de la Russie du Conseil de l’Europe serait un échec pour tout le monde. L’adhésion de la Russie en 1996 avait été une avancée considérable pour l’Europe car elle ouvrait une voie précieuse pour le dialogue, la sécurité et la stabilité dans l’espace européen. Elle offrait aussi une protection essentielle, celle du système de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour, aux 180 millions de citoyens russes. Cette protection, en dépit des nombreuses condamnations de la Russie par la Cour et d’une mise en œuvre malaisée des arrêts, a permis à l’Etat de droit de progresser en Russie. Tout cela serait perdu si la Russie devait quitter le Conseil de l’Europe dans les prochains mois. C’est pour cela que le maintien de la Russie dans l’organisation doit rester un objectif.

Il ne saurait cependant être question de reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie. Ni l’idéal, ni les principes sur lesquels reposent le Conseil de l’Europe ne doivent être sacrifiés. Il faudra que l’Assemblée parlementaire lève tout ou partie des sanctions car elles n’ont pas eu objectivement les effets escomptés et parce qu’une sanction ne peut être une fin en soi. La Russie devra faire un geste pour convaincre la majorité de l’Assemblée parlementaire qui n’est ni pour son départ du Conseil de l’Europe, ni pour un soutien à son gouvernement et qui reste fondamentalement attachée au respect du droit international. Ce geste pourrait être la libération des prisonniers ukrainiens et celle de personnes détenues pour des raisons politiques comme Alexei Pichugin, dernier prisonnier de l’affaire Yukos, privé de liberté depuis plus de 16 ans en dépit de deux jugements de la Cour européenne des droits de l’homme.

Cela pose la question du périmètre d’intervention du Conseil de l’Europe et de la coordination de ses activités avec les autres organisations européennes. La difficulté budgétaire créée par la Russie offre à l’organisation l’opportunité de recentrer ses activités. Pour cela, il faut doter le Conseil de l’Europe d’un pilotage plus politique et plus stratégique. Cette perspective doit s’imposer autant au Comité des Ministres qu’à l’Assemblée parlementaire, a fortiori à travers l’élection prochaine du nouveau ou de la nouvelle Secrétaire-Générale. Ce travail demande tout à la fois de resserrer les liens entre le Comité des Ministres et l’Assemblée et pour celle ou celui qui succédera à Thorbjorn Jagland de s’imposer comme un interlocuteur exigeant et attentif dans les relations avec les Etats membres. Un sommet régulier des chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe, tous les 4 ou 5 ans, serait également utile pour élever les sujets et prendre les décisions qui s’imposent.

Ce pilotage politique à développer est d’autant plus nécessaire dans la perspective souhaitable du renforcement des liens entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Il faut aller plus loin que le mémorandum de 2007 entre les deux organisations. En matière de politique de voisinage, le Conseil de l’Europe a une expertise remarquable à faire valoir à l’Est (partenariat oriental de l’Union), mais aussi sur la rive sud de la Méditerranée avec le Partenariat pour la démocratie et le travail discret mais utile conduit par le Centre Nord-Sud à Lisbonne. Depuis une dizaine d’années, la confiance qui faisait initialement défaut marque les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union. Il faut poursuivre dans cette voie, dans le respect des objectifs et compétences des deux organisations. Le Conseil de l’Europe est la référence européenne en matière de droits de l’homme, de démocratie et d’Etat de droit. Il doit le rester, y compris pour l’Union européenne.

Le Traité sur l’Union européenne prévoit l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme. Un Traité d’adhésion avait été négocié en 2013. Il a fait l’objet d’un avis circonspect de la Cour de Justice de l’Union européenne. Les discussions ont repris au Conseil des Ministres de l’Union européenne en 2018 pour tenter de trouver une solution qui prenne en compte les préoccupations de la Cour de Justice sur le respect de l’autonomie du droit de l’Union. Cet arrimage de l’Union à la Convention, outre le progrès qu’il constituerait en termes d’Etat de droit, est politiquement nécessaire. Toute la difficulté est de prendre en compte l’opposition de la Cour de Justice au contrôle par la Cour européenne des droits de l’homme des décisions de l’Union en matière de politique étrangère et de sécurité commune. Peut-être pourrait-on imaginer la rédaction d’un protocole à la Convention européenne des droits de l’homme sur l’adhésion d’une organisation internationale, une part des contraintes identifiées par la Cour de Justice dans son avis de 2013 relevant en effet d’une adhésion prévue pour des Etats et non pour une organisation internationale.

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Voilà l’avenir du Conseil de l’Europe tel que je le perçois, entre un bilan objectivement positif pour l’Etat de droit et la démocratie en Europe et des incertitudes majeures qui sont autant de menaces pour le système de la Convention européenne des droits de l’homme. Il faut préserver et renforcer le Conseil de l’Europe. Il faut aussi mieux le faire connaître car sa discrétion depuis 70 ans joue aujourd’hui contre lui. Le Conseil de l’Europe doit expliquer ses engagements, ses principes, ses valeurs, son action et ses réussites auprès de l’opinion publique. Ce travail n’a pas été suffisamment fait ou il n’a pas à tout le moins obtenu les résultats qu’il devrait. Il n’est pas juste que l’œuvre du Conseil de l’Europe ne soit connue que par des initiés, qu’il s’agisse de diplomates, de parlementaires, de fonctionnaires ou de juristes. Le Conseil de l’Europe est une organisation profondément citoyenne et c’est précisément au citoyen au sens le plus large qu’il doit s’adresser.

L’avenir, c’est à l’aune des défis nouveaux posés aux droits de l’homme qu’il faut l’imaginer. C’était l’un des éléments de ma campagne l’an passé pour le mandat de Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Il faut s’engager davantage sur les droits économiques et sociaux et donc sur la Charte sociale et son application par les Etats membres. La mise en place effective des droits économiques et sociaux est une condition d’acceptation de la démocratie libérale. Il existe dans la société une exigence légitime et élevée de solidarité qu’il faut prendre en compte. La crise des gilets jaunes en France nous le rappelle. Enfin, nous avons le devoir d’anticiper les défis aux droits de l’homme que posent déjà le big data, le changement climatique ou globalisation. Ce sont de réelles questions qu’il s’agit d’aborder de manière prospective et tel doit être le rôle du Conseil de l’Europe.

Je pense aussi aux personnes vulnérables, aux deux bouts de la vie : les enfants et les personnes âgées. Leurs droits doivent être protégés face à l’évolution de la société. C’est un champ d’action important pour le Conseil de l’Europe. Au fond, même en resserrant l’action du Conseil de l’Europe autour des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit, ce qu’il reste à faire est immense. Le combat des droits de l’homme, c’est tous les jours. C’est un combat pour chacune et chacun d’entre nous. La volonté demeure le moteur et l’enthousiasme aussi. Sans doute est-ce la leçon qu’il faut retenir de Churchill, Schuman, Madariaga, Spaak et de Gasperi, de ces pères fondateurs qui ont pensé et agi pour l’Europe : ne jamais renoncer, ne jamais brider nos ambitions, regarder devant et agir pour les futures générations d’Européens.

C’est pour cela que le Conseil de l’Europe est une formidable organisation citoyenne. C’est pour cela, au-delà des difficultés actuelles et des défis de notre époque, que je crois plus que jamais en lui.

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Entre Alsace et Vosges, le bonheur d’une nouvelle vie

Changer de vie. Qui n’y a pas pensé un jour ? Il y a un peu plus d’un an, à la fin de l’année 2017, je promettais à mes enfants de les emmener faire du ski. Pour mes 3 petits, cette perspective de chausser les skis était comme un Graal. Il fallait assurer. Nous étions alors à quelques semaines de l’élection du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, prévue le 23 janvier 2018, et j’étais l’un des 3 candidats finalistes. La semaine de ski devait avoir lieu en février. Où skier ? Mon choix se porta sur la petite station familiale du Champ du Feu, dans le massif vosgien, à quelques dizaines de kilomètres de Strasbourg. Ainsi, si j’étais élu, je pourrais déposer la famille sur les pentes chaque matin et filer à Strasbourg préparer la prise de fonction. Et si j’étais battu s’ouvriraient alors de longues et incertaines vacances … La seconde alternative, malheureusement pour moi, s’imposa.

A quelque chose, malheur est bon dit le proverbe. Pour loger tout le monde, j’avais cherché une maison d’hôtes. La magie d’un célèbre moteur de recherche me dirigea vers Bluets et Brimbelles (www.bluetsetbrimbelles.fr), située à Saulxures, tout au bout de la vallée de la Bruche, à quelques kilomètres des Vosges. Quatre belles chambres et une cuisine exceptionnelle, au milieu d’un joli village entouré de sapins enneigés. Un réel paradis. A Bluets et Brimbelles nous attendaient Catherine et Thierry Habersetzer. J’y arrivais l’esprit un peu perdu, tant à la fois par la défaite douloureuse essuyée le mois précédent et par quelques premières discussions professionnelles pour l’après. Devais-je changer de vie ? A Bluets et Brimbelles, j’allais trouver la réponse. Le cadre s’y prêtait, mais surtout, ce changement de vie, Catherine et Thierry l’avaient expérimenté.

Dans la cuisine officiait Catherine, cheffe hors pair et pâtissière accomplie. Autour de la table le soir, elle nous raconta son histoire. Sa formation de pâtissière certes, mais aussi son long passé de banquière. Et Thierry, collectionneur passionné de 2 CV et heureux conducteur d’une Traction Avant (www.2cv-bruche.com), connaisseur sans égal de sa vallée, se révéla être un ancien cadre dirigeant d’entreprise internationale. A l’approche de la cinquantaine, ils avaient tous les deux décidé de changer radicalement de vie. Finis les chiffres et les tableaux Excel, les journées sans fin (et la vie qui file), les voyages incessants (et la redoutable empreinte carbone), les gros salaires (et les trop gros impôts). Bonjour à un projet vrai et authentique : transformer la maison de famille de Thierry, construite en 1753 et habitée par 11 générations, en une superbe maison d’hôtes.

Cette semaine en février 2018 fut pour nous un moment de bonheur. Les enfants découvraient les joies de la neige. Les conversations le soir avec Catherine et Thierry étaient fortes et justes. Faire ce que l’on aime, vivre ses passions. Ce message infusait totalement en moi. Le plaisir de la table était sans limite. La cuisine de Catherine, merveilleuse et inventive, mêlait les touches du terroir alsacien et des saveurs plus lointaines comme celles de l’Inde, où elle a accompli une part de son apprentissage de pâtissière. Le tout arrosé des meilleurs crus locaux. La ferme vosgienne presque tricentenaire, rénovée en 2014, vit une autre vie. Là où cohabitaient autrefois la famille, les animaux et le fourrage cohabitent aujourd’hui un couple passionné et leurs hôtes sous le charme. L’écurie est devenue le laboratoire de pâtisserie, le cœur du réacteur de Bluets et Brimbelles.

Forcément, cela appelait un retour. Pareille expérience ne pouvait rester en effet sans lendemain, d’un hiver à l’autre, de février 2018 à février 2019. Ce fut la semaine passée. Avec le même plaisir. Au point désormais de nous dire que les Vosges, nous gagnerions aussi à les découvrir en été, à pied et en VTT. Ce qui nous ramènerait avec bonheur à Bluets et Brimbelles avant février 2020. Il y a ainsi des rencontres fortuites et des moments de grâce. Un couple qui change de vie et dont le message résonne. Ce fut le cas pour moi. Merci à Catherine et Thierry Habersetzer pour ce qu’ils sont, pour leur part de vérité. L’enthousiasme et la passion sont des valeurs contagieuses. Finalement, j’ai changé de vie aussi. Loin de mes expériences passées, des multinationales et de la vie politique. J’ai créé à mon tour ma petite entreprise pour écrire, enseigner, partager et conseiller. Et pour vivre autrement.

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Pour une COP de la biodiversité

©Pixabay

Il y a quelques semaines, j’ai ramené de Bretagne un joli livre sur les oiseaux qui appartenait à mon père. Mon père aimait les oiseaux. Il me les montrait souvent lorsque j’étais enfant, m’expliquant la construction du nid, la naissance des oisillons ou les migrations d’automne. Professeur de sciences naturelles, c’était son job et il le faisait bien. Mais la vérité, c’est que c’était surtout sa passion. Jamais il ne cessait d’observer les animaux, les plantes, la nature. Chez nous, le printemps était toujours un bonheur. Je connaissais tous les oiseaux de notre jardin et aussi ceux que nous apercevions au bord de la mer, volant sur la plage ou nichés dans les recoins des falaises. J’ai ramené à Bruxelles ce livre plein de dessins et d’histoires car il est pour moi, désormais que mon père n’est plus là, un précieux souvenir. Mais j’avais l’espoir aussi de pouvoir y trouver toute la matière pour parler à mon tour des oiseaux à mes propres enfants. Comme pour transmettre la flamme.

Les images et les photos, je pourrai les montrer. Mais les oiseaux eux-mêmes ? Il y a quelques mois, un rapport du CNRS et du Muséum national d’histoire naturelle a établi que les populations d’oiseaux dans les campagnes françaises avaient reculé de plus de 30% en 15 ans. Ce chiffre est terrifiant. A l’échelle d’une vie humaine, voire de quelques décennies tout au plus, le recul de la biodiversité est une réalité palpable. Ces oiseaux qui volaient près de moi lorsque j’avais l’âge de mes enfants, eux ne les aperçoivent presque plus aujourd’hui, alors que nous visitons pourtant les mêmes lieux. Et que dire des insectes de nos campagnes, de ces papillons derrière lesquels je courais l’été? Le premier rapport mondial sur l’évolution des populations d’insectes, publié récemment, fait état d’un déclin continu de 40% des espèces depuis une trentaine d’années et d’un taux d’extinction plus rapide que celui des mammifères, des oiseaux ou des reptiles.

L’érosion du vivant à l’échelle de la planète est catastrophique. Le patrimoine inestimable qu’est la biodiversité disparaît, victime de l’intensification de l’agriculture et de l’usage des pesticides, de la déforestation, de la surexploitation des ressources, de l’urbanisation, de la pollution et du changement climatique. Le constat établi l’an passé par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) est sans appel : si rien n’est entrepris pour enrayer le déclin de la biodiversité, le monde court à la catastrophe. Or, la protection de la biodiversité reste l’angle mort de la plupart des politiques publiques. Peu nombreux sont ceux qui, aux responsabilités, perçoivent la menace que la dégradation des écosystèmes terrestres entraine pour nos sociétés. Au risque que l’inaction finisse à terme par coûter bien plus cher que l’action urgente qu’il faudrait engager.

Rien de ce qui se passe n’est pourtant virtuel. Plus du tiers de l’alimentation mondiale est assuré par des cultures pollinisées par les insectes. C’est dire que le recul des populations d’insectes est donc un danger imminent pour l’homme. La préservation de la biodiversité s’inscrit de ce fait dans la même logique que le combat contre le réchauffement climatique : agir sans attendre pour la vie. Ce sont les deux faces d’une seule et même pièce. Certes, la prise de conscience est là, grâce en particulier à l’engagement des ONG, mais les actes manquent, a fortiori à la hauteur des enjeux. L’horloge tourne. En 2018, c’est le 1er août que l’humanité avait consommé l’ensemble des ressources que la nature peut générer en un an. En 1975, c’était le 1er décembre. Sans remettre en cause nos modes de vie, de production et de consommation, il est clair que nous ne redresserons pas la barre. Préserver la biodiversité requiert que nous changions de modèle.

Depuis près de 25 ans, je suis membre du WWF. Tous les deux ans, la publication du rapport Planète vivante me met le moral à plat. La dernière édition du rapport l’an passé montrait que les populations d’animaux vertébrés ont chuté de 60% entre 2014 et 1970, première année pour laquelle des données existent. Ce taux était de 52% dans le rapport Planète vivante de 2014, couvrant la période 1970-2010. Face à cette chute sans fin, c’est d’une action coordonnée à l’échelle internationale dont il doit être question pour réduire l’impact des activités humaines sur les ressources naturelles et amorcer la reconquête. En clair, il faut une « COP de la biodiversité ». Or, si l’IPBES est reconnu comme « le GIEC de la biodiversité », il n’y a pas de COP, faute d’une conférence internationale qui amorcerait le mouvement sur la base d’engagements initiaux des Etats. Ce doit être un élément de mobilisation. La réunion de l’IPBES à Paris en mai prochain peut en offrir l’occasion.

Que faire ? Dans mon atelier juridique sur le climat et les droits de l’homme à l’Institut d’études politiques de Paris, je fais le pont entre la protection de la nature et l’exercice des droits fondamentaux. De même que je crois à la justice climatique, je crois à la justice pour la biodiversité. Sur la base, entre autres, de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à la vie. Il s’agit de conduire les Etats et les entreprises à assumer leurs responsabilités afin de réparer et prévenir les dommages à la biodiversité. C’est un « duty of care » contraignant qu’il faut instaurer par la négociation internationale et la jurisprudence. Etats, entreprises, société civile, nous sommes partenaires d’un même destin. Il y a tant à faire, entre l’établissement de corridors écologiques et d’aires protégées, la conservation et la réintroduction d’espèces, l’intégration de la protection de la biodiversité dans toute politique publique ou la limitation des aides à l’agriculture intensive. C’est maintenant que tout se joue, c’est maintenant qu’il faut agir.

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