
C’est l’histoire d’un premier matin, celui qui nous attendra demain, dans les lueurs de l’aube du 1er janvier 2024. Les 1ers janvier sont ceux des bonnes résolutions, tous les ans. Survivent-elles aux premières semaines de janvier ? Parfois. Je me souviens d’une anecdote croustillante à mon arrivée à l’Assemblée nationale en juin 2012. J’étais le premier député de la législature nouvelle à venir consulter le cabinet médical de l’Assemblée, la faute à des doigts coincés dans ma porte de garage le surlendemain des élections. Le médecin m’avait expliqué que les députés se portaient en général plutôt bien, sauf au mois de janvier en raison des nombreuses galettes des rois à engloutir en quantité industrielle aux quatre coins de leurs circonscriptions. Janvier et février étaient les mois du cholestérol parlementaire. Les prises de sang étaient à proscrire jusqu’en mars, le temps de se refaire. J’avais bien ri, tout en gardant à l’esprit qu’il ne fallait pas que cela m’arrive à mon tour. Quelques semaines après, profitant de l’été en Galice, j’apprenais que la longue jetée du port de La Corogne sur laquelle je courais le matin était appelée par les habitants la « avenida del colesterol ». Tous les gens au régime venaient y dégourdir leurs jambes. Mon beau-père médecin y croisait un nombre conséquent de ses patients. Les bonnes résolutions étaient donc durables.
Pour commencer l’année, il faut donc se souhaiter une bonne santé. Bouger, marcher, courir, sauter, profiter du bon air, se vider l’esprit. Et lire ! On ne lit jamais assez. Au risque de passer pour un vieux schnock, je considère que la lecture des réseaux sociaux ne compte pas. Lire, c’est un bon livre, un livre que l’on chérit, que l’on attend de retrouver le soir pour quelques pages ou plus, que l’on découvre et déguste doucement comme un whisky hors d’âge (voilà que j’oublie déjà la résolution sur le cholestérol…). On ne lit jamais assez. Le livre n’est pas un produit comme un autre, c’est un voyage pour une vie, un passeport universel. Le bonheur de lire vient souvent à l’enfance, grâce à la passion contagieuse d’instituteurs merveilleux. Ou parfois plus tard, en cours de vie, au hasard d’une rencontre ou d’une découverte. Je pense à ma maman qui, durant près de 30 ans, fit vivre bénévolement la permanence du lundi soir à la bibliothèque d’Ergué-Gabéric, accueillant avec bienveillance celles et ceux qui venaient chercher une histoire, des aventures, une évasion par les pages d’un livre partagé. Les bibliothèques sont des lieux précieux d’imaginaire pour tous, au-delà de toutes les conditions. Il faut les défendre, les développer, les soutenir. L’accès au livre ne doit pas être barré par le manque de moyens. C’est l’une des plus belles causes.
Derrière le livre, il y a la liberté, celle de penser, celle d’être soi-même, celle de vivre, d’imaginer, de créer, d’entreprendre. Il faut se souhaiter la liberté. Y pense-t-on encore ? Rien n’est moins sûr. Nous vivons dans un monde de contraintes, de peurs multiples, de catastrophes réelles et intériorisées. L’année 2023 qui s’achève en aura été un terrible exemple. Le monde de demain ne peut être celui de Poutine, du Hamas, de l’Iran des mollahs, des tyrans sanguinaires et autres frappadingues asservissant leurs peuples. Ni celui de Trump, de Netanyahu ou de Milei, pour qui l’état de droit est un concept incongru tant il incarne le vivre-ensemble dont ils ne veulent pas, blindés qu’ils sont dans leurs certitudes, leurs obsessions et leur folie. Il faut chérir la liberté, s’engager pour elle, ne pas s’arrêter au triste motif, entendu ici ou là, que s’en préoccuper, ce serait juste pour des temps meilleurs, quand l’économie va bien, que les budgets sont équilibrés et que la paix règne. La liberté, les droits, les valeurs et les principes de la démocratie ne relèvent pas d’un prêchi-prêcha d’intellectuels en goguette, c’est un combat de tous les jours. Ils sont l’essence même de nos vies de citoyens, ils incarnent la dignité et le meilleur d’une société. Ils sont des causes pour maintenant, pour chacune et chacun. N’oublions jamais tous ceux qui sont tombés parce qu’ils les portaient.
Souhaitons enfin que 2024 soit une année pour la solidarité. Il n’existe pas de liberté durable sans solidarité. La solidarité, il faut la faire vivre, concrètement, activement. Il ne faut pas juste en parler. La République ne peut avoir le cœur sec, trier entre les gens, se méfier des étrangers. Il faut vouloir convaincre, toujours, ne pas se laisser porter par l’air du temps. Il ne doit y avoir aucune place pour la xénophobie. En 2024, nous élirons le Parlement européen. Le projet européen est fondé sur la solidarité, n’en déplaise à ceux qui crient à longueur de temps à « l’ultra-libéralisme » ou n’imaginent notre pays que derrière des frontières. Ceux-là se trompent et parfois même se rejoignent. Le marché est un moyen, il n’est aucunement une fin. Jacques Delors évoquait à raison les trois principes qui fondent le modèle européen : la concurrence qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit. Puisse le souvenir de cet homme admirable, de cet Européen passionné, en ce dernier jour de décembre inspirer celles et ceux que la liberté et la solidarité rassemblent. Dans quelques mois, nous aurons rendez-vous ensemble pour défendre cet idéal, le porter plus loin, en réponse aux défis de l’Europe et du monde. Ce rendez-vous sera essentiel pour les temps qui viennent. Souhaitons-nous une grande, une belle année 2024, une année décisive et généreuse, une année qui rassemble !

Une chanson de l’été et une autre de l’hiver
Il y a quelques semaines, sur la route joyeuse des vacances de Noël, mes enfants fredonnaient quelques chansons lointaines (pour eux). L’une d’entre elles était Eye of the Tiger, la musique qui accompagnait les films Rocky avec l’ineffable Silvester Stallone, et que chantait Frankie Sullivan avec le groupe Survivor. L’autre chanson bien vintage entendue au fond de la voiture était The Final Countdown, du groupe suédois Europe, dont je me souvenais surtout pour les fracassantes entrées en meeting de Jacques Chirac dans ses meilleures années. Je ne sais trop comment ces deux chansons sont arrivées jusqu’à l’école de mes enfants, mais elles ont été vite apprises et l’anglais entendu alors que défilait l’autoroute vers la Bretagne était absolument parfait. Est venue ensuite la question immanquable : «tu as connu cela, n’est-ce pas ? ». Traduire : c’était de ton époque. Oui, bien sûr, ai-je certainement bredouillé, un peu pris de court. En n’osant ajouter que mon époque avait même commencé bien avant que Frankie Sullivan ne grimpe sur scène et que Jacques Chirac ne s’éprenne du groupe Europe pour sa conquête de l’Elysée. Que dire ? Que la toute première chanson dont j’ai le souvenir parce qu’elle passait sans cesse sur les ondes en cet été 1973 était La Maladie d’amour de Michel Sardou. Pas sûr que cela soit à mon avantage, et encore moins aux yeux de ceux qui font la chasse aux chanteurs de droite.
Je n’eus pas vraiment le temps de raconter mes premiers émois musicaux car mes enfants furent vite distraits par les quelques DVD des Charlots que je leur avais offerts pour les longues routes en voiture. Sans doute y ai-je gagné car parler avec conviction de chansons remontant aux années Giscard n’aurait pas suscité de leur part un intérêt irrésistible. Le pire est d’ailleurs que je les comprends. J’étais là avant les années 1980, c’est dire mon handicap. Dans la voiture redevenue silencieuse par la grâce de casques audio dernier cri, je me pris cependant à fouiller dans ma mémoire à la recherche de ces chansons qui touchèrent mon enfance. Après tout, mes enfants m’avaient mis une idée en tête. Il y a, c’est vrai, des airs qui traversent les décennies et restent cachés quelque part dans le tréfonds des souvenirs, ne demandant qu’à resurgir un jour, on ne sait trop vraiment pourquoi. Sans doute parce la mélodie et les paroles évoquent dans l’esprit de l’enfant devenu grand des lieux et des gens, des moments heureux, des images douces et lointaines. J’ai cherché, et j’ai fini par trouver. En Bretagne, puis en Andalousie, le soir, quand la nuit était depuis longtemps tombée, j’ai retrouvé de vieilles chansons « de mon époque » – Youtube fait des miracles – et j’ai même fait mon petit best of. Et plutôt que de garder cela pour moi par crainte de ringardise, je me suis dit que je pouvais le partager ici.
La première chanson, c’est So Far Away From L.A. de Nicolas Peyrac. Je crois que je devais avoir 10 ans. C’était l’été à Loctudy, nous campions dans un petit verger avec ma famille. Sur notre transistor grésillant revenait cet air calme, nostalgique, dont je ne comprenais alors pas grand-chose des paroles, mais que je soupçonnais cependant profondes. La chanson était à l’opposé des tubes de l’été, trépidants, entraînants, fugaces aussi. Je me souviens des couleurs du ciel le soir, quand s’élevait la musique. Des souvenirs des pommiers, des champs et des balades à vélo qui reviendraient chaque fois, des années après, lorsque la chanson serait rejouée. Je me souviens des amis de notre âge, vacanciers d’un été dans la maison toute proche. Cette chanson a tracé un sillon en moi qui demeure. Si j’avais été un meilleur guitariste à l’adolescence, j’aurais aimé l’interpréter. Nicolas Peyrac était un jeune chanteur. Il était toujours étudiant en médecine. Je n’ai pris la dimension des paroles qu’en vivant longtemps après en Californie. Elles disent cela : « … quelques lueurs d’aéroport, l’étrange fille aux cheveux d’or, dans ma mémoire traîne encore, c’est l’hiver à San Francisco, mais il ne tombe jamais d’eau aux confins du Colorado… ». C’était une chanson sur l’hiver qui avait gagné mon été. Et le refrain, qui me bouleverse toujours : “… so far away from L.A., so far ago from Frisco, I’m no one but a shadow, but a shadow, a shadow…”.
Il y avait la chanson de l’été et il y eut aussi celle de l’hiver. Pourquoi l’hiver ? Parce qu’en explorant ma mémoire, c’est aux soirées dans ma petite chambre de notre maison familiale d’Ergué-Gabéric que je pense avec cette chanson, lorsque les volets étaient fermés et que dehors soufflait la tempête. Il ne pleuvait pas pourtant toutes les nuits, mais c’est à l’hiver que me ramène Baker Street de Gerry Rafferty. J’avais un peu grandi, mais nous étions toujours dans les années 1970. L’adolescence venait. J’adorais les solos de saxophone au cœur des paroles, imaginant le souffle immense qu’il fallait pour dégager une telle puissance. Je crois bien qu’on en parlait au collège. Ou que j’en parlais moi-même, pressé de plaire à une ou deux filles que je trouvais jolies. Sans grand succès, dois-je le reconnaître. Je m’essayais à apprendre les paroles dans mon anglais balbutiant : “… winding your way down on Baker Street, light in your head and dead on your feet, well another crazy day, you’ll drink the night away and forget about everything”. Et j’adorais la fin de la chanson, pleine d’optimisme: “… when you wake up, it’s a new morning, the sun is shining, it’s a new morning, you’re going, you’re going home…”. Aujourd’hui, Baker Street repasse parfois sur les radios et j’aime toujours l’entendre. La dernière fois, je traversais en voiture la Haute-Marne un jour d’hiver totalement sinistre. Le saxo de Gerry Rafferty m’avait réchauffé le cœur.
Voilà mes deux chansons. J’imagine le lecteur m’ayant accompagné jusqu’à ce paragraphe se gratter la tête et être désolé pour moi. Ou mes enfants, qui lisent parfois ce blog aussi et qui préféreront certainement Rocky en se disant que leur paternel est bien étrange en effet. Mes goûts musicaux ne sont pas irrésistibles. Je me souviens d’une amie américaine découvrant ma collection de CD il y a de cela un temps respectable et concluant avec consternation sa revue d’un « this can’t be » définitif. Ou de celle qui deviendrait plus tard mon épouse trouver que certains choix musicaux étaient certes heureux, mais que d’autres relevaient d’errements abyssaux. Mais voilà, je suis quelqu’un qui associe une chanson à des souvenirs et je crains fort de ne pas pouvoir me refaire, vu que je n’ai plus l’âge de mes émois avec Baker Street dans ma petite chambre bretonne. Voilà tout ce que j’aurais dit sans doute à mes enfants s’ils n’avaient pas préféré Les Charlots et Bons Baisers de Hong Kong sur la route de Noël. Les automobiles d’aujourd’hui n’ont heureusement plus d’autoradio, avec les cassettes dont les bandes magnétiques se décrochaient, provoquant la frayeur des passagers. Sinon, peut-être bien que j’aurais ressorti Driving Home for Christmas de Chris Rea. Je crois avoir conservé cette cassette quelque part. Mais c’est quand même un peu trop sucré et je pense finalement que je n’aurais pas osé.
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