Comme tant d’autres, la mort de Nahel, ce jeune homme de 17 ans abattu à bout portant le 27 juin au volant d’une voiture dans une rue de Nanterre en raison d’un refus d’obtempérer, me bouleverse profondément. C’est une tragédie. La vidéo ne laisse guère de doute quant au geste fatal du policier. Il n’y avait pas de situation de légitime défense. C’est un homicide et il est volontaire. Il revient désormais à la justice d’établir les faits, leur enchaînement et les responsabilités. De là viendra la sanction pénale. Tout cela est si triste. J’ai habité Nanterre, certes il y a longtemps désormais, et je ressens sans doute pour cette raison plus encore la peine, l’accablement même, comme citoyen et comme père, face à ce drame et ses conséquences. Je pense à la maman de Nael et à tous ses amis. La perte d’une vie est une chose terrible et ce qui a pu être dit sur le fait que Nahel n’avait pas le permis de conduire et n’avait pas obtempéré – ce qui est vrai – lorsque les policiers ont arrêté sa voiture ne légitime en rien la suite tragique des évènements. Honte aux politiciens d’extrême-droite qui ont mis ceci en avant pour, comment dire, relativiser les choses. On ne relativise pas la perte d’une vie, d’aucune vie, et ici celle d’un jeune des quartiers populaires.
Mais honte aussi à d’autres politiciens, à l’extrême-gauche, que leur haine récurrente de la police républicaine conduit à récupérer sans vergogne un drame aussi terrible pour se payer les forces de l’ordre. Ce que je lis sous certaines plumes de La France Insoumise me scandalise. J’ai confiance en la police républicaine et je la soutiens. Je ne jette pas dans le même sac le policier de Nanterre qui a ôté la vie à Nahel et les dizaines de milliers de policiers qui protègent les Français chaque jour au péril de leur vie. Je ne condamne pas a priori la loi Cazeneuve de février 2017, qui s’inscrivait dans un contexte – que l’on s’est vite empresser d’oublier – de menace terroriste et de danger majeur pour les forces de l’ordre. La police, on l’a tous louée quand on avait peur en 2015-2016. Heureusement qu’elle est là. Que l’on s’interroge sur la doctrine de maintien de l’ordre, c’est utile et une commission parlementaire devrait s’y atteler. Mais hurler que la police tue à longueur de tweets, c’est un scandale et c’est d’une rare irresponsabilité. Je ne peux pas imaginer et encore moins accepter comme ancien député que des parlementaires de la République puissent en être rendus là, alimentant la révolte, le vandalisme et la peur chez des millions de Français.
La mémoire de Nahel mériterait un sursaut de dignité et d’unité nationale. Il y a dans la récupération misérable de cette tragédie le symbole de l’affaissement de bien des valeurs, à commencer par le respect du chagrin et l’éthique de responsabilité. Et le signe aussi d’une grande médiocrité d’âme. Au lieu de tout conflictualiser par idéologie, de balancer des anathèmes à tours de bras, de s’en prendre sans retenue les uns aux autres, il faudrait faire nation, plus que jamais. Nous n’avons tristement rien de cela depuis 3 jours, ni mesure, ni sang-froid. Les invectives et les insultes pleuvent sur les réseaux sociaux de la part d’individus qui ont concouru à l’élection présidentielle ou qui s’y verraient bien la prochaine fois, et qui estiment que le travail de parlementaire se résume à tweeter et hurler dans l’Hémicycle. C’est honteux. Pendant ce temps-là, un pays brûle et appelle des réponses, claires et posées, et plus encore des actes. Il y a la majorité et les oppositions, chacune dans son rôle. N’est-il donc pas possible de se maîtriser et de se réunir, dans le respect des différences politiques, pour trouver les mots justes et les décisions nécessaires ? Et envoyer au pays le message d’apaisement qui lui fait si cruellement défaut ?
La police n’a pas en France de « permis de tuer » (LFI) ou de « présomption de légitime défense » (RN). Il n’y a rien de cela dans la loi Cazeneuve de sécurité publique de 2017. Prétendre l’inverse est faux. Les dispositions sur la légitime défense qu’elle contient sont la reprise de la jurisprudence en l’état il y a 6 ans, et notamment la référence à l’immédiateté, à la nécessité absolue quant à l’usage des armes et au respect dans ce cadre de la proportionnalité la plus stricte. Il n’en reste pas moins cependant que le drame de Nanterre et plusieurs autres survenus au cours des années écoulées pointent vers une difficulté d’interprétation ou de compréhension des règles d’engagement des forces de l’ordre et d’usage des armes qu’il faut reconnaître et dont il faut vouloir parler, sereinement, sans pointer du doigt ni voir dans les ressorts d’une tragédie comme celle de Nanterre le signe de la violence ou du racisme supposé de toute une profession. En l’occurrence, il n’y a ni l’un ni l’autre. La police mérite respect et soutien. Que la représentation nationale, Assemblée nationale et Sénat, se saisisse de cette question, aborde la formation des policiers, et ose aussi apprendre de l’expérience de nos voisins européens. C’est son rôle. A la lumière de ce que nous vivons, c’est plus encore son devoir.
C’est un petit texte que j’écris dans un hôtel de Chaumont. Il est tard en ce dimanche de la Pentecôte. Hier matin encore, nous ne savions pas que nous viendrions dans la Haute-Marne. Tout est né d’un voyage à Paris le week-end passé. Sur la liste des nombreuses visites souhaitées par mes enfants aux quatre coins de la capitale, il y avait les Invalides. C’est grand, les Invalides. Nous y avons passé des heures, courant d’une salle à l’autre, d’un couloir vers un autre, d’une époque à une autre. Ils avaient envie de voir Napoléon, mais ce qui les a le plus impressionné fut au fond l’historial Charles de Gaulle, avec les images d’époque, les films et les voix. Ils ne s’y attendaient pas. Où trouver de Gaulle fut immanquablement pour moi la question subsidiaire, comme pour prolonger notre itinérance historique et familiale. Pas aux Invalides, mais à Colombey, dus-je expliquer, un petit village quelque part dans le Grand Est. De retour de Paris, la semaine passa avec cette idée récurrente : et si on allait à Colombey ? Ce n’est pas si loin de la Belgique, finalement. Et le week-end de la Pentecôte dure 3 jours. Voilà comment, à la dernière minute, s’improvisa ce voyage dans la Haute-Marne. Demain, à la première heure, nous prendrons la direction de la Boisserie et de Colombey-les-Deux-Eglises pour un rendez-vous avec l’histoire glorieuse de notre pays.
Pour arriver jusque Chaumont, nous avons roulé un peu plus de 4 heures, traversant la Lorraine du nord vers le sud. Il faisait beau, les paysages étaient magnifiques comme peut l’être la campagne au mois de mai. Au fond de la voiture pourtant, l’attention se portait plutôt vers un film, La Carapate, précieusement déroulé sur un lecteur de DVD, une autre ode au mois de mai, en moins bucolique et certainement plus comique. Le plus drôle, c’est que de Gaulle est dans ce film aussi, pas le Général libérateur de la France, mais le Président un peu perdu de mai 1968. Ce DVD a une histoire, je l’avais acheté durant le confinement du printemps 2020, pour distraire mes enfants et faire rire, parce qu’il le fallait bien alors. A l’affiche de La Carapate, il y a Pierre Richard et Victor Lanoux. C’est l’aventure totalement loufoque d’un taulard un peu facho en fuite avec son avocat gauchiste, mi-victime, mi-complice, soucieux de lui éviter la peine capitale en obtenant la grâce du Général de Gaulle. De Lyon vers Paris en passant par Auxerre, le tandem traverse la France en grève, dans les campagnes fleuries du mois de mai, piquant la Rolls d’un couple de bourgeois friqués en route vers la Suisse pour y planquer leurs sous et leurs lingots. Le film s’achève par la grâce obtenue par Pierre Richard du Général dans les toilettes de l’héliport de Villacoublay.
Je me suis amusé à entendre mes enfants glousser sur la banquette arrière, rire de mai et rire en mai. Quelque part, le mois de mai, c’est un mois léger, heureux, plein d’espérance. L’hiver est fini, le printemps avance et l’été est bientôt à venir. Les beaux jours sont là. Il y a de l’optimisme dans l’air et ce par-delà les générations. J’aime les paysages et l’esprit rebelle de mai. Notre histoire s’est souvent écrite en mai. J’adore la nature et les couleurs de mai, porté sans doute par les souvenirs de ma jeunesse, quand tout semblait possible, heureux et juste. Il y avait dans mes mois de mai bretons l’odeur du printemps et la force des rêves d’après, les émotions naissantes et les amours qui viendraient. Je revois la campagne finistérienne irradiée par les premiers soleils, le bruit délicat des ruisseaux, le parfum doux des fleurs et des foins. Je me souviens de cette envie de s’allonger dans les champs, de profiter, de rire, d’imaginer et de vivre, d’embrasser joyeusement la vie. C’est le joli mois de mai. La Carapate n’est pas un immense film, loin s’en faut même, mais il donne le moral. Il a aussi à son générique une drôle de chanson, légère et entrainante, depuis longtemps oubliée et qui pourtant restitue tellement toutes ces facettes du mois de mai, frondeur, malicieux, heureux et romantique. Interprétée par les Sunset Brothers, elle nous dit notamment ceci :
Demain, à Colombey, l’histoire nous saisira, la plus belle, la plus grande, la plus noble. Tout autour de nous, l’air, les couleurs et l’esprit de mai nous rappelleront combien aussi cette saison est belle, et notamment parce qu’elle porte en elle la force de l’espérance et une vraie part de bonheur.
C’est aujourd’hui le 9 mai, Journée de l’Europe. Pourquoi le 9 mai ? Parce qu’il y a 73 ans le 9 mai 1950, Robert Schuman, Ministre des Affaires étrangères français, prononçait à Paris une déclaration, inspirée par Jean Monnet, proposant la création d’une communauté européenne du charbon et de l’acier. Cette déclaration est considérée comme le premier texte fondateur de la construction européenne et le 9 mai est célébré depuis 1985 comme la Journée de l’Europe. A Bruxelles, on aime l’appeler, non sans malice, la Saint-Schuman. C’est un jour heureux, un jour de pause et de célébration, un jour d’espoir et de réflexion aussi. J’aime profondément le 9 mai. Il est pour moi comme une fête. Oui, l’Europe est la grande cause, la belle et noble aventure humaniste embrassée par des générations de femmes et d’hommes, par des familles politiques différentes, rassemblées autour du même attachement au développement de la paix par le droit. N’en déplaise aux extrémistes, à ceux qui voient la tête de la Vierge entre les étoiles du drapeau européen ou qui professent depuis des lustres un nationalisme rance et belliqueux, la cause de l’Europe est plus que jamais actuelle. Aucun Etat seul ne pourra répondre aux défis du XXIème siècle. Rassemblée, l’Europe le pourra.
L’Europe, c’est nous tous, citoyennes et citoyens. En fin d’année passée, je me suis joint à un petit groupe de personnes issues de 7 pays pour faire émerger une initiative citoyenne européenne sur le respect de la dignité des migrants. L’idée est née à Rennes, à l’initiative d’un groupe d’élèves du Collège Rosa Parks. Elle a été portée dans un débat participatif organisé par le « Labo Europe » de la ville de Rennes et soutenue très majoritairement par un vote en ligne en 2022. C’est quoi, une initiative citoyenne européenne ? C’est un droit d’initiative politique reconnu à un million au moins de citoyens de l’Union, issus d’au moins 7 Etats membres. Quelle en est la finalité ? Convaincre la Commission européenne de présenter une proposition législative sur le sujet couvert par l’initiative. Il fallait, pour lancer le projet, constituer un groupe composé d’au moins 7 citoyens résidant dans au moins 7 Etats différents de l’Union. Vivant en Belgique, je suis l’un de ces 7 citoyens. Les 6 autres résident en France, en Espagne, en Pologne, en Grèce, en Italie et en Allemagne. Nous formons le comité d’organisation de l’initiative citoyenne rennaise. Notre initiative a été enregistrée par la Commission européenne et nous avons désormais jusqu’au 14 avril 2024 pour aller chercher le million de signatures.
C’est une formidable mobilisation qu’il nous faut impulser à travers toute l’Europe dans les mois qui viennent pour mener notre initiative à bon port. Que recherchons-nous? A obtenir la présentation par la Commission européenne d’un nouveau mécanisme de répartition des demandeurs d’asile dans l’Union européenne, assis sur la solidarité effective entre les Etats membres et en rupture avec le Règlement de Dublin, dont les limites et les injustices sont connues. Nous souhaitons aussi que soient rendues contraignantes des normes communes d’accueil en matière de santé, de logement, d’éducation et de travail assurant aux demandeurs d’asile des conditions de vie dignes dans toute l’Union. Notre initiative repose sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union aux procédures et aux demandeurs d’asile. Elle est fondée sur le respect de la dignité humaine. C’est cela que notre initiative citoyenne porte et qu’il nous appartient de faire partager pour récolter les signatures nécessaires sur le site dédié de la Commission européenne : https://europa.eu/citizens-initiative/select-language?destination=/initiatives/details/2023/000002. Le site de l’initiative citoyenne rennaise est : www.dignity-in-europe.com.
En ce 9 mai, il faut vouloir rêver, penser et agir pour l’Europe. Rien n’est impossible, personne ne saurait ignorer un appel citoyen. Une société civile européenne existe et c’est elle qu’il faut toucher. Des initiatives citoyennes européennes ont abouti au cours des années passées, par exemple sur le droit à l’eau ou l’interdiction du glyphosate, conduisant la Commission européenne à proposer une évolution législative, plaçant le Parlement européen et les Etats membres de l’Union européenne devant leurs responsabilités de co-législateurs, responsabilités qu’ils ont assumées. C’est précisément l’objectif que l’initiative citoyenne européenne rennaise poursuit. Sans doute lui sera-t-il objecté que le sujet est beaucoup trop sérieux – comprendre : citoyens, ce n’est pas pour vous, passez votre chemin – pour épargner aux chancelleries et capitales nationales de devoir en plus se préoccuper de mobilisation européenne. C’est pourtant ce que le Traité de Lisbonne, reprenant une disposition initiale du projet de Constitution européenne, permet avec la reconnaissance des initiatives citoyennes européennes. Elles ne sont pas un gadget, mais un instrument précieux de démocratie participative qui met les citoyens au cœur du projet européen et en fait des acteurs dont la voix doit être entendue.
C’est pour ces raisons que j’ai répondu « oui » lorsque la proposition m’a été faite de rejoindre le groupe organisateur de l’initiative citoyenne européenne de Rennes. Et aussi parce que la cause défendue me touchait particulièrement. Je me souviens de mes missions parlementaires sur la route des Balkans et dans la « jungle » de Calais. Je me souviens du regard vide et perdus des enfants qui couraient après moi dans un camp de réfugiés en Macédoine. Mes propres enfants avaient leur âge. Ce souvenir me poursuit encore, des années après. Les droits fondamentaux sont inconditionnels. Le droit d’asile ne se galvaude pas, il se respecte et il s’honore. L’Europe doit être juste, à la hauteur de ses valeurs et de ses engagements, de ce qui la distingue au sein du concert des nations. Relisons le premier article de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : « la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée ». Le droit d’asile apparaît à l’article 18 et impose à l’Union de respecter la convention de Genève de 1951 sur les réfugiés. L’Europe est un supplément d’âme. C’est dans l’action qu’elle se construit, par la preuve, et justement. En ce 9 mai 2023, soutenons l’initiative citoyenne européenne pour la dignité des migrants ! Le 14 avril 2024, ce million de signatures, nous l’aurons !
Avec plusieurs membres du comité d’organisation autour de Nathalie Appéré, la maire de Rennes, venue présenter l’initiative citoyenne européenne à Bruxelles le 3 mai 2023
Les 16 et 17 mai prochains se tiendra à Reykjavik le 4ème Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe. Ce sera un moment important, essentiel même, pour l’avenir de l’Europe. Le précédent Sommet remonte à près de 20 ans. C’était à Varsovie en 2005. Depuis lors, le monde a changé et l’Europe avec lui. L’agression russe en Ukraine en février 2022 a fait basculer notre continent vers un avenir périlleux. Il y a un an, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe prenait la saine décision d’exclure la Russie de l’organisation. Le Conseil de l’Europe y a certes perdu un Etat membre, mais elle a préservé, ce faisant, tout son sens, sa force et sa pleine vocation pour le dialogue politique et la paix par le droit. Il le fallait. Cela fait plusieurs années en effet que la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’homme sont mis à mal en Europe. J’avais pu m’en apercevoir lors de mes missions de rapporteur de l’Assemblée parlementaire sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Je pense en particulier à la prolifération du discours de haine, à l’intimidation dans le débat public, à la recrudescence de la xénophobie et du racisme, ou encore à la volonté de réduire l’expression critique et libre.
C’est au Conseil de l’Europe que j’ai vécu les meilleurs moments de ma vie publique. J’ai à l’égard de cette organisation un attachement profond, teinté de reconnaissance pour ce que nous tous, Européens, lui devons. Je reste plus que jamais convaincu de sa valeur ajoutée. Au mois de mars dernier, j’ai préparé une petite note à l’attention des autorités françaises sur ce que pourrait être idéalement l’avenir du Conseil de l’Europe. En vue du Sommet de Reykjavik, j’y ai glissé des idées et des propositions nourries par mon expérience passée de parlementaire, puis de candidat de la France au mandat de Commissaire aux droits de l’homme. Les défis pour le Conseil de l’Europe sont nombreux et ils sont très actuels. Le premier est de tenir bon, plus que jamais, sur l’universalité des droits de l’homme. L’universalité des droits de l’homme est la clé de tout le reste. Le second défi est de promouvoir les valeurs qui rassemblent les 46 Etats membres et les plus de 700 millions de citoyens protégés par la Convention européenne des droits de l’homme. Le troisième est de tracer un engagement de long terme, un long sillon, acté solennellement par les Etats parties et doté à cette fin des moyens nécessaires, y compris budgétaires.
Le premier cercle de la construction européenne
Ce sont la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’homme qui rassemblent fondamentalement les Européens. Le Conseil de l’Europe est in fine le premier cercle de la construction européenne. Il est déjà, peu ou prou, cette Communauté politique européenne que certains Etats membres de l’Union européenne souhaiteraient voir émerger dans la foulée de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Construire une organisation redondante ou parallèle au Conseil de l’Europe n’aurait pas grand sens. C’est à partir du Conseil de l’Europe qu’il faut agir et fonder cette Communauté, politiquement et juridiquement. Le Conseil de l’Europe est une organisation passionnante, mais compliquée de prime abord. Il y a le Comité des Ministres, l’Assemblée parlementaire et la Cour européenne des droits de l’homme, mais aussi, outre le Congrès des Pouvoirs locaux, la Conférence des OING et la Commissaire aux droits de l’homme, toute une constellation d’organes de suivi (Commission de Venise, ECRI, CPT, GRECO, Moneyval) travaillant souvent en silos. Cette situation est regrettable en termes d’efficacité, d’impact et de lisibilité des actions entreprises. Il convient de rationnaliser la gouvernance du Conseil de l’Europe par la collaboration et la complémentarité entre ses différentes institutions et organes.
Cela requiert de mieux assurer le suivi par le Comité des Ministres des résolutions et recommandations de l’Assemblée parlementaire ou de coordonner l’action de l’Assemblée parlementaire avec celle du Comité des Ministres sur le respect des obligations des Etats membres. Ou, autre exemple, de renforcer le lien entre la Cour européenne des droits de l’homme et la Commissaire aux droits de l’homme par le biais de la tierce intervention. Ce sont là quelques éléments illustratifs de la complexité du cadre institutionnel du Conseil de l’Europe. Il en résulte une capacité limitée d’anticipation et un risque de dispersion. L’Assemblée parlementaire s’intéresse peu aux quelque 200 conventions thématiques et le Comité des Ministres ne sollicite guère la diplomatie parlementaire. Se pose aussi la question du déficit de leadership. Le Conseil de l’Europe est insuffisamment présent dans le débat public. Cela doit changer. Il faut pouvoir élire à sa tête un(e) Secrétaire-Général(e) au profil politique, à la stature d’ancien chef d’Etat ou de gouvernement, prêt(e) à peser dans le débat, dans la relation avec les Etats membres et avec les autres organisations européennes et internationales. Son mandat pourrait être porté de 5 ans à 6 ans, sans possibilité de réélection.
Agir en lien avec les défis de notre temps
Le Conseil de l’Europe a eu tendance au fil du temps à s’écarter sans grand résultat de son « cœur de métier » (démocratie, Etat de droit, droits de l’homme). Ceci doit cesser au bénéfice d’un recentrage stratégique autour de sa valeur ajoutée, en lien avec les défis essentiels de notre époque : intelligence artificielle, transition digitale, cybercriminalité, bioéthique, crise climatique, terrorisme, intégrismes, droits des femmes, droits de l’enfant, droits des migrants et réfugiés, droits des minorités, droits LGTBI. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme doit recevoir les moyens de son action. Elle est le joyau du Conseil de l’Europe. La protection qu’elle apporte aux citoyens et l’œuvre jurisprudentielle hardie qu’elle a développée sont d’une valeur inestimable. Il faut sécuriser l’avenir de la Cour et la qualité de ses travaux. Sans doute faut-il aussi oser aborder la question de l’hétérogénéité de niveau entre juges et revoir – pour la protéger – la procédure d’élection par l’Assemblée parlementaire, pour rendre transparent l’appel à candidature dans les Etats membres et publique l’audition des candidats devant la commission sur l’élection des juges. C’est une question de crédibilité à terme de la Cour et d’acceptabilité de la jurisprudence.
La mise en œuvre des arrêts de la Cour requiert un engagement renouvelé. Cette question m’est chère comme ancien rapporteur de l’Assemblée parlementaire. Le processus d’exécution reste bien trop long, excédant parfois une dizaine d’années. Certains obstacles s’expliquent par les ressources financières limitées des Etats concernés ou une situation politique locale. Mais il y a aussi parfois la tentation pour certains Etats membres d’une épreuve de force avec le Comité des Ministres, espérant que l’argument de difficultés sociétales ou d’opposition de l’opinion publique puisse en faire fléchir certains autres, qui n’aimeraient pas que les mêmes questions leur soient posées. La mise en œuvre des arrêts de la Cour ne peut en soi reposer sur une logique prescriptive. Il s’agit dans l’échange avec l’Etat concerné de le conduire à choisir lui-même les mesures nécessaires. Pour cela, il importe de mieux mobiliser l’Assemblée parlementaire, dont le travail sur la mise en œuvre des arrêts reste insuffisamment utilisé par le Comité des Ministres. Au-delà, si la mauvaise volonté de l’Etat partie est avérée, le recours à la procédure d’infraction et à des sanctions doit être envisagé sans hésiter, comme ce fut le cas dans les affaires Mamadov pour l’Azerbaïdjan.
Pour un Traité de coopération avec l’Union européenne
Longtemps, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne se sont ignorés. A tort, car tous deux sont complémentaires et ont vocation à devenir des partenaires privilégiés. Cette situation a évolué avec le Mémorandum de 2007, qu’il faut désormais porter plus loin au regard des enjeux actuels et à venir. Il est urgent de mener à bien l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme, qui fera faire à la protection des droits de l’homme en Europe un dernier pas encore nécessaire. Et il faudrait y ajouter aussi l’adhésion de l’Union à la Charte sociale européenne, au bénéfice du système de protection des droits économiques et sociaux. L’essentiel est de partir de l’esprit du rapport Juncker de 2006, de traquer tous les doublons entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, et de positionner le Conseil de l’Europe comme l’organisation de référence sur les droits de l’homme en Europe, en partenariat avec l’Union. C’est d’une nouvelle étape et d’un Traité de coopération en bonne et due forme entre les deux organisations dont il est besoin. Outre l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme et à la Charte sociale, ce Traité pourrait aussi envisager les coopérations suivantes le soutien à la consolidation de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits de l’homme dans les Etats candidats à l’Union européenne, mobilisant aux fins d’évaluation et de conseil les services de la Commissaire aux droits de l’homme et les différents organes de suivi du Conseil de l’Europe, en particulier la Commission de Venise, l’ECRI et le CPT.
Voilà les quelques idées et propositions que j’ai développées le mois passé à l’attention des autorités françaises. Je crois à l’actualité du Conseil de l’Europe, à sa capacité de jouer un rôle essentiel face aux bouleversements de l’Europe et du monde, face à la crise de la démocratie, en réponse aussi aux envies de démocratie participative et de développement du débat public qui s’expriment largement en Europe. Le 4eme sommet des chefs d’Etat et de gouvernement vient pour cela à point nommé. J’espère qu’il aboutira à des décisions solides et claires, donnant à cette magnifique organisation – et aux milliers de personnes dévouées qui y travaillent chaque jour – toute la place qui lui revient au cœur de la construction européenne. Il ne faut pas opposer l’Europe de l’économie et celle des droits, l’Europe de la défense et celle des libertés. Il n’y a qu’une seule Europe et c’est la nôtre. L’Europe sera ce que nous en ferons, nous tous, citoyennes et citoyens. Je ne vais plus à Strasbourg et je regrette ces belles années passées à agir dans l’Hémicycle du Palais de l’Europe. Je n’ai pas abdiqué cependant l’idée de partager des idées et des convictions, celle peut-être de servir à nouveau. Il y a tant à faire ensemble pour l’Europe, la démocratie, la liberté et le droit.
Le chagrin et la responsabilité
Comme tant d’autres, la mort de Nahel, ce jeune homme de 17 ans abattu à bout portant le 27 juin au volant d’une voiture dans une rue de Nanterre en raison d’un refus d’obtempérer, me bouleverse profondément. C’est une tragédie. La vidéo ne laisse guère de doute quant au geste fatal du policier. Il n’y avait pas de situation de légitime défense. C’est un homicide et il est volontaire. Il revient désormais à la justice d’établir les faits, leur enchaînement et les responsabilités. De là viendra la sanction pénale. Tout cela est si triste. J’ai habité Nanterre, certes il y a longtemps désormais, et je ressens sans doute pour cette raison plus encore la peine, l’accablement même, comme citoyen et comme père, face à ce drame et ses conséquences. Je pense à la maman de Nael et à tous ses amis. La perte d’une vie est une chose terrible et ce qui a pu être dit sur le fait que Nahel n’avait pas le permis de conduire et n’avait pas obtempéré – ce qui est vrai – lorsque les policiers ont arrêté sa voiture ne légitime en rien la suite tragique des évènements. Honte aux politiciens d’extrême-droite qui ont mis ceci en avant pour, comment dire, relativiser les choses. On ne relativise pas la perte d’une vie, d’aucune vie, et ici celle d’un jeune des quartiers populaires.
Mais honte aussi à d’autres politiciens, à l’extrême-gauche, que leur haine récurrente de la police républicaine conduit à récupérer sans vergogne un drame aussi terrible pour se payer les forces de l’ordre. Ce que je lis sous certaines plumes de La France Insoumise me scandalise. J’ai confiance en la police républicaine et je la soutiens. Je ne jette pas dans le même sac le policier de Nanterre qui a ôté la vie à Nahel et les dizaines de milliers de policiers qui protègent les Français chaque jour au péril de leur vie. Je ne condamne pas a priori la loi Cazeneuve de février 2017, qui s’inscrivait dans un contexte – que l’on s’est vite empresser d’oublier – de menace terroriste et de danger majeur pour les forces de l’ordre. La police, on l’a tous louée quand on avait peur en 2015-2016. Heureusement qu’elle est là. Que l’on s’interroge sur la doctrine de maintien de l’ordre, c’est utile et une commission parlementaire devrait s’y atteler. Mais hurler que la police tue à longueur de tweets, c’est un scandale et c’est d’une rare irresponsabilité. Je ne peux pas imaginer et encore moins accepter comme ancien député que des parlementaires de la République puissent en être rendus là, alimentant la révolte, le vandalisme et la peur chez des millions de Français.
La mémoire de Nahel mériterait un sursaut de dignité et d’unité nationale. Il y a dans la récupération misérable de cette tragédie le symbole de l’affaissement de bien des valeurs, à commencer par le respect du chagrin et l’éthique de responsabilité. Et le signe aussi d’une grande médiocrité d’âme. Au lieu de tout conflictualiser par idéologie, de balancer des anathèmes à tours de bras, de s’en prendre sans retenue les uns aux autres, il faudrait faire nation, plus que jamais. Nous n’avons tristement rien de cela depuis 3 jours, ni mesure, ni sang-froid. Les invectives et les insultes pleuvent sur les réseaux sociaux de la part d’individus qui ont concouru à l’élection présidentielle ou qui s’y verraient bien la prochaine fois, et qui estiment que le travail de parlementaire se résume à tweeter et hurler dans l’Hémicycle. C’est honteux. Pendant ce temps-là, un pays brûle et appelle des réponses, claires et posées, et plus encore des actes. Il y a la majorité et les oppositions, chacune dans son rôle. N’est-il donc pas possible de se maîtriser et de se réunir, dans le respect des différences politiques, pour trouver les mots justes et les décisions nécessaires ? Et envoyer au pays le message d’apaisement qui lui fait si cruellement défaut ?
La police n’a pas en France de « permis de tuer » (LFI) ou de « présomption de légitime défense » (RN). Il n’y a rien de cela dans la loi Cazeneuve de sécurité publique de 2017. Prétendre l’inverse est faux. Les dispositions sur la légitime défense qu’elle contient sont la reprise de la jurisprudence en l’état il y a 6 ans, et notamment la référence à l’immédiateté, à la nécessité absolue quant à l’usage des armes et au respect dans ce cadre de la proportionnalité la plus stricte. Il n’en reste pas moins cependant que le drame de Nanterre et plusieurs autres survenus au cours des années écoulées pointent vers une difficulté d’interprétation ou de compréhension des règles d’engagement des forces de l’ordre et d’usage des armes qu’il faut reconnaître et dont il faut vouloir parler, sereinement, sans pointer du doigt ni voir dans les ressorts d’une tragédie comme celle de Nanterre le signe de la violence ou du racisme supposé de toute une profession. En l’occurrence, il n’y a ni l’un ni l’autre. La police mérite respect et soutien. Que la représentation nationale, Assemblée nationale et Sénat, se saisisse de cette question, aborde la formation des policiers, et ose aussi apprendre de l’expérience de nos voisins européens. C’est son rôle. A la lumière de ce que nous vivons, c’est plus encore son devoir.
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