
C’est l’histoire d’une finale que nous voulions tellement gagner, un match qui nous aura totalement échappé durant 80 minutes avant de devenir fou, hallucinant, enthousiasmant, irréel, de nous conduire tout près du Graal et finalement de laisser tout au bout du bout la plus haute marche à nos adversaires argentins. Il y a des finales de Coupe du Monde pour l’histoire et celle-là en sera une, peut-être même la première. Nous nous en souviendrons longtemps. Ce que nous avons vécu, rivés par milliards devant nos postes de télévision dans tous les coins du monde, est une tragédie comme seul le sport et singulièrement le football peuvent en produire. Plus que tout, ce trophée, Leonel Messi le voulait. Et il l’aura mérité, comme ses coéquipiers. L’Argentine est une belle équipe, un grand champion du Monde. Mais nos Bleus aussi, cette troisième étoile, ils en rêvaient. Et ils la méritaient tout autant. Durant ce mois qatari, ils nous ont passionnés, transportés. Qui croyait réellement en leurs chances il y a encore quelques semaines, après une saison internationale médiocre, des cascades de blessures et les forfaits de tant d’entre eux ? L’équipe de France a montré dans ce tournoi une résilience formidable, une abnégation inégalée et un réalisme qui forcent l’admiration.
Ce lundi est le matin du jour d’après. La Coupe du Monde est finie. Nous sommes un peu groggys, partagés entre tristesse et reconnaissance. Ce soir, les Bleus salueront leurs supporters sur la Place de la Concorde dans le froid de l’hiver qui vient, puis ils se sépareront, chacun retrouvant son club et sa vie. La douceur de l’automne qatari entrera dans leurs souvenirs et dans les nôtres, comme le dénouement cruel de cette finale énorme. La France avait besoin de ces moments d’enthousiasme, de joie, de force collective. Nous sommes un pays qui doute, entre craintes et crises. Les occasions de faire nation, de nous regrouper, de dépasser pour quelques heures ou quelques jours ce qui nous divise, sont rares. Le football est magique parce qu’il le permet. Il faut une force d’âme sans limite pour aller défier le destin et l’adversité, renverser le cours d’une histoire qui paraissait écrite. Cette force d’âme, les Bleus l’avaient au Qatar. Jusqu’à hier soir, lorsqu’en deux minutes et deux buts, ils ont repris contrôle de ce match qui leur échappait. Kylian Mbappé aimantait le ballon, conduisait la révolte, du haut de sa jeunesse et de son talent inégalé. Il met 3 buts en finale. Ce n’était arrivé qu’une fois dans toute l’histoire de la Coupe du Monde. L’homme du match, c’était lui.
J’ai replié mon petit drapeau tricolore ce matin. Il m’accompagne depuis près de 10 ans, comme un fétiche. Ce drapeau a une histoire. On me l’avait donné au Stade de France, un soir glacial de novembre 2013, lors du match retour de barrage entre la France et l’Ukraine pour la Coupe du Monde au Brésil. Pas grand monde croyait en la qualification des Bleus, battus 2-0 à l’aller à Kiev. Et pourtant, ce soir-là, une équipe était née, allant chercher un 3-0 rageur ouvrant la voie vers les conquêtes d’après. Je serrais mon drapeau contre moi dans le stade, puis dans le métro au retour vers l’Assemblée nationale et dans la buvette des députés, pour un moment de célébration joyeux. Je suis un vieux footeux, qui se souvient des périodes de disette, lorsque se qualifier pour la Coupe du Monde relevait de l’impossible et que l’idée même de la gagner était à des années lumières. Je me souviens des creux après la retraite de Platini et celle de Zidane. Chaque équipe connaît ses cycles, ses moments de moins bien. La différence, c’est que les Bleus d’aujourd’hui ont un esprit de compétiteurs, nourri par leur expérience internationale en club et la culture de la gagne insufflée par Didier Deschamps depuis 10 ans. Tout cela est là pour durer, assis sur une formation solide dans nos clubs et nos régions.
Je range aussi les journaux, les magazines, l’album Panini que nous compléterons avec mes enfants dans quelques jours. Il rejoindra celui de la Coupe du Monde en Russie parmi leurs souvenirs. Hier soir, ils avaient le cœur gros. Ce n’est pas simple de perdre (ou plutôt de ne pas gagner). Consoler, expliquer, je m’y suis livré tant bien que mal. Mbappé a l’avenir devant lui, Messi est l’un des plus grands joueurs de l’histoire. Et surtout, le football reste avant tout un jeu, même s’il est devenu aussi une économie et une puissance pas toujours très inspirée. En janvier, comme leurs héros français, espagnols et belges dans leurs clubs, mes enfants retrouveront l’école de foot de l’Union Saint-Gilloise, garçons et filles ensemble. Il y aura des buts à marquer, des reprises de volée à travailler et des dribbles à mener. Je crois bien que je rechausserai les crampons aussi. Les Bleus reviendront et nous avec eux. L’histoire est encore à écrire et le meilleur à venir. J’avais glissé avant la finale deux bouteilles dans notre frigo. Nous les avons ouvertes, même si la victoire ne nous avait pas souri. Les larmes séchées, nous avons parlé de ballon, de la Coupe du Monde de football féminine au printemps, de celle de rugby à l’automne et des bonheurs d’après. Le sport est une école de vie. Merci, les Bleus !
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Chemins d’Europe
La pause de fin d’année prendra fin dans quelques heures. Famille espagnole oblige, nous l’avons prolongée jusqu’à l’arrivée des Rois mages. Gaspard, Melchior et Balthazar sont passés avant-hier et il est temps désormais de retrouver le mois de janvier, le nord, la pluie (sûrement) et le froid (peut-être). J’ai aimé ces deux semaines loin de la vie quotidienne. J’en avais besoin, cette année plus encore que les précédentes. Un second Covid m’avait mis à plat au début décembre et je voyais dans ces fêtes de Noël comme un objectif, un Graal étrange et merveilleux pour retrouver la forme et l’énergie qui m’avaient abandonné, malgré la frénésie de la Coupe du Monde de football. Je me réjouissais aussi de lire dans les yeux de mes enfants, par-delà le temps qui passe, la magie renouvelée de Noël et des fêtes. Il y a la part de rêve qui demeure, les cadeaux et, plus que tout, les retrouvailles familiales, cette joyeuse troménie qui, d’année en année, nous conduit par la route et par les airs chez moi dans le Finistère, puis à Grenade et en Andalousie rurale, là où vit notre famille espagnole. Nous reviendrons demain à Bruxelles les valises chargées de présents, souvenirs et autres denrées culinaires, locales et utiles qui rendront les mois d’hiver à venir moins longs, moins durs et aussi plus heureux.
Je n’ai pas l’esprit religieux, mais je célèbre Noël avec tendresse et conviction. Je sais d’où je viens. Je me souviens de ma grand-mère qui me racontait avec pudeur et émotion combien l’orange reçue à Noël, seul cadeau que ses parents pouvaient lui offrir, avait pour elle une valeur immense. Son Noël n’en avait que plus de force et de sens. Ce souvenir m’est cher et, à dire vrai, il m’émeut toujours autant. Ce sont des images, des témoignages venus de loin et quelques objets, souvent modestes, qui font le caractère unique de Noël. Ce sont aussi des promenades et des marches au gré de rues illuminées et dans le silence de la campagne ou de la mer. A l’Ile-Tudy, nous avons arpenté la plage de l’été dans la lueur particulière d’un soir de décembre. Il fallait avancer vite pour retrouver notre chemin à l’approche de la nuit et de la pluie. En Andalousie, nous avons marché sous la lune au milieu des amandiers. Il faisait froid et les arbres tendaient vers le ciel leurs fines branches, comme s’ils attendaient de la pleine lune le signe fragile de la floraison à venir. La mer en Bretagne, la terre du côté de Grenade et d’Almeria, les histoires contées et partagées ont fait de ces vacances des moments doux et heureux. Nous avons parlé de nos Noëls d’avant et un peu aussi de ceux d’après.
Les paysages en hiver me touchent. Je suis un Breton rompu au vent, à la pluie et aux tempêtes. J’y suis sensible, j’en ai même presque besoin. Je crois bien qu’il me manquerait quelque chose dans un Noël sans bourrasque. A condition bien sûr que, fuyant les éléments déchaînés, je trouve par chance, miracle ou soudaine inspiration une crêperie et, derrière sa lourde porte, une joyeuse assemblée et les effluves revigorantes du froment. J’ai appris aussi à connaître et aimer les paysages andalous, les collines parsemées d’oliviers, ces espaces de terre et de vie où l’histoire est une conquête et la recherche de l’eau l’est tout autant. Dans l’oliveraie de notre famille espagnole, décembre est le temps de la récolte. Sur les petits arbres, trop jeunes encore pour être soumis aux machines, nous faisons la cueillette à la main. Mes enfants courent avec leurs petits paniers chargés d’olives. Ils grimpent parfois sur le tracteur et participent ainsi à la récolte d’un peu plus haut. Petits, ils avaient découvert aussi la récolte des amandes. Des générations ont planté et entretenu ces arbres, vivant les bonnes et les moins bonnes années, sans jamais renoncer. Tant de paysages d’Europe, dans leur diversité, sont le fruit de siècles d’abnégation à la tâche pour défricher, protéger, planter.
Les paysages européens racontent notre histoire. J’aime les coins perdus, improbables, authentiques. J’aime les moments d’échange, simples et chaleureux, que les fêtes rendent plus faciles ou spontanés. Nous avons eu la chance durant notre séjour andalou de rouler vers l’est, vers les parties les plus arides de la province d’Almeria, où je n’étais jamais allé. Le champ d’amandiers de notre famille était à plus de 1000 mètres d’altitude. Il faisait froid sous la lune. J’essaie de l’imaginer en fleurs dans quelques semaines. J’en ai vu les photos. Et plus tard aussi, sous la chaleur écrasante de l’été. Il y a tant à apprendre de la terre, à voir et à comprendre du cycle des saisons. Il y a tant aussi à faire pour défendre et promouvoir ces territoires lointains des plus grandes villes, entreprendre et faire croître une économie, défier la désertification et donner sens aux solidarités. C’est cela aussi, l’Europe : la liberté, la dignité, l’égalité, entre autres valeurs qui fondent notre identité commune. Les temps incertains et difficiles que nous traversons n’en soulignent que davantage l’actualité, l’urgence et le sens, comme un devoir pour 2023, comme une promesse aussi. Demain, en route vers Bruxelles, ces sentiments, ces images et ces espoirs m’accompagneront.