
Il n’était pas loin de 17 heures. Dans le ciel, le soleil tirait déjà ses derniers feux. L’avion s’est posé doucement sur la piste, laissant sur sa droite la Sierra Nevada enneigée. A quelques kilomètres, Grenade nous attendait. Ce moment-là, mon petit Pablo, assoupi à mes côtés, en avait tellement rêvé depuis deux années. Deux années et une pandémie, rendant les voyages impossibles. L’Andalousie, destination de ses hivers et de ses printemps, l’oliveraie des grands-parents, les bonheurs de l’enfance entre les arbres et les collines, tout cela était devenu hypothétique, lointain, fuyant. Pourrions-nous revenir, et quand ? La veille d’embarquer encore, nous avions dû affronter le sort, la malchance : le grand-père, Ayo, venait de tester positif au Covid. Fallait-il renoncer, encore une fois, ou conjurer le destin et venir envers et contre tout ? Nous avons maintenu le voyage, avec toutes les précautions nécessaires, derrière les masques de rigueur, avec des gestes barrières observés scrupuleusement. Le temps qui file ne reviendra pas, surtout celui des jeunes années. La pandémie ne pouvait ainsi préempter nos vies, toutes nos vies. C’est avec bonheur que nous avons retrouvé l’Andalousie, mesurant aussi, ce faisant, la chance que nous avions. Et c’est à Grenade que nous fêterons ce soir le passage à l’année nouvelle.
Une année s’achève, que l’on aurait imaginée différente, clôturant la crise sanitaire de l’hiver 2020. Il n’en aura rien été. De 2021, nous nous souviendrons de la troisième, de la quatrième et désormais de la cinquième vague, des libertés restreintes dans chacun de nos pays pour affronter le virus et aussi de la chance immense que furent ces vaccins, développés en un temps record grâce au génie humain. Ces vaccins, je les défends, bec et ongle. Où en serions-nous aujourd’hui sans eux ? Combien de dizaines de millions de morts en serions-nous à déplorer, combien de proches pleurerions-nous ? Dans quel état se trouveraient nos économies, que resterait-il de nos entreprises et de nos jobs ? Je vois les vaccins comme notre chance, notre devoir, notre obligation civique face à une crise redoutable, d’une ampleur inédite et dramatique. Je n’ai aucune forme de compréhension à l’égard de ceux qui refusent la vaccination, fuyant leurs responsabilités, si ce n’est à l’égard d’eux-mêmes, à tout le moins à l’égard d’autrui. Car ce sont eux, pour une très large part, qui sont aujourd’hui hospitalisés, contribuant à mettre sous tension les services de santé et à la déprogrammation d’opérations et soins attendus par tant de patients. Alors qu’il suffit d’un vaccin pour limiter les risques, pour soi-même et pour les autres.
Dans une crise, a fortiori d’une telle magnitude, c’est d’abord aux autres que l’on se doit. Et cela s’appelle la responsabilité. Vivre en société, c’est penser collectif. Nous n’avons pas que des droits, nous avons aussi des devoirs. Le Covid, nous le vaincrons par la volonté et l’engagement de tous, par un sursaut de responsabilité dont j’espère qu’il irriguera longtemps après le fil de nos vies. Oui, nos libertés auront été mises à mal, secouées, injustement parfois, mais c’est pour mieux les retrouver ensuite. Un effort budgétaire immense a été consenti pour maintenir nos économies à flot et soutenir en particulier les plus fragiles, que l’on appelle en France le « quoi qu’il en coûte ». L’Union européenne a fait le choix d’une dette commune face à l’immensité de ce qui se jouait et qui se joue toujours. Des contraintes, politiques, juridiques, économiques, si longtemps présentée ou perçues comme incontournables, ont volé en éclats parce que les circonstances l’exigeaient. La solidarité européenne y a gagné un autre sens, l’idée même de notre communauté de destins, à nous Européens, s’en est trouvée renforcée. Sur cela, nous ne reviendrons plus. Le Covid aura changé nos vies, bousculé nos cadres de pensées, secoué nos certitudes. Il aura été, individuellement et collectivement, une remise en cause.
Une année nouvelle arrive. Puisse 2022 être l’année du renouveau, d’une vie retrouvée, le début d’une nouvelle époque, quand les leçons de la crise seront tirées pour mieux protéger nos sociétés et assurer leur résilience face aux multiples périls du siècle. Sans raser gratis, sans vendre des illusions, en responsabilité, là encore, parce qu’il y aura une économie à stabiliser, un endettement à rembourser, une solidarité à garantir, un dérèglement climatique à dominer, une transition numérique à réussir. Ce chemin-là, nous le ferons dans le rassemblement des volontés, loin des complotismes, de tous ceux qui n’existent, sur les plateaux de télévision et dans les campagnes électorales, que pour faire commerce de peur et de haine. Nous le ferons, je l’espère aussi, dans la fidélité à l’universalisme et à l’idéal républicain, loin des communautarismes et de la cancel culture. C’est de rassemblement et d’unité dont la société a plus que jamais besoin, pas de divisions, de réécriture de l’histoire, de querelles vaines et de passions tristes. C’est autrement que la justice, le droit et le progrès doivent s’écrire. Il y a tant à faire ensemble, dès maintenant et pour si longtemps. A vous tous, chères et chers amis, pour vous et pour vos proches, je souhaite une belle et heureuse année 2022 !
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La caisse, le Kärcher et les emmerdements
Il m’arrive parfois de me sentir très vieux. Ou d’une autre époque, ce qui est une manière un peu plus rassurante de ressentir les choses. Mes premiers souvenirs politiques, mes premières émotions devant le débat public aussi, remontent aux années 1970, au sortir des Trente Glorieuses, lorsque s’affrontaient la gauche et la droite dans un combat souvent manichéen, marqué de clivages et d’oppositions rudes, mais jamais trivial ou vulgaire. Mon cœur battait pour François Mitterrand et peu à peu, l’âge des études venant, la pensée de Michel Rocard et son regard sur la transformation de la société m’influenceraient profondément, et ce jusqu’à ce jour. En face, il y avait Valéry Giscard d’Estaing. Je le percevais comme un adversaire, mais je le respectais aussi. A la fois pour son intelligence et également pour la fonction qu’il exerçait. Les débats étaient certes tendus, rudes et parfois même empreints d’une certaine cruauté dans la joute – on se souviendra du « monopole du cœur » ou de « l’homme du passif » – mais ils étaient toujours de haute tenue, jamais médiocres ou relâchés dans l’expression. En clair, il n’aurait pas été question alors de faire procès à quelq’un d’avoir « cramé la caisse », de « ressortir le Kärcher de la cave » ou de vouloir « emmerder » certains.
Toute ressemblance avec des propos récents n’est ici aucunement fortuite. Et je ne suis pas non plus très objectif, moi dont les préférences vont au Président de la République. J’écris cependant ce petit billet pour regretter que le débat public et plus encore électoral s’affaisse ainsi. Y a-t-il une fatalité à devoir s’exprimer de telle manière, sans doute pour faire le buzz – et cela marche – au risque que l’expression des convictions et in fine le fond de la pensée disparaissent derrière la forme ? Je veux croire que non. Nous vivons tellement plus qu’auparavant à l’ère de l’instantané, des réseaux sociaux, des chaînes TV d’information en continu, où un bon mot, une formule, une phrase un peu enlevée susciteront des dizaines de milliers de commentaires outrés ou laudateurs. Mais qu’en restera-t-il cependant, une fois effacée l’écume des réactions et de l’émotion ? Pas grand-chose. Aura-t-on, citoyens, électeurs, compris durablement ce que veut, pense et propose celle ou celui qu’une formule aura mis momentanément au centre de l’attention ? Je ne le pense pas. C’est précisément cela qu’il faut regretter et, quelque part aussi, déplorer. Au risque d’apparaître vieux jeu, n’est-il pas nécessaire de vouloir convaincre, d’expliquer et d’entendre ? C’est ce que j’espère.
Il nous arrive à tous de parler cash, certains sans doute plus que d’autres. Je n’en suis pas exempt à titre personnel. Parler cash n’est pas choquant, c’est même utile. Mais parler cash, ce doit aussi être parler juste. Une expression sera d’autant plus forte qu’elle sonnera authentique. Ce n’est pas toujours le cas et c’est ce qui sépare souvent le parler cash du parler vrai. L’unité de la parole est une chose importante, essentielle même dans le débat public. On ne peut être tour à tour direct ou lointain, intello ou techno, raffiné ou argotique. Ce sont autant de directions différentes vers lesquelles le choix des mots renvoie et qui finissent par brouiller le message, son contenu, l’image même de celle ou celui qui multiplie ces changements de pied et tout au bout sa crédibilité. A l’inverse de cela, une femme d’Etat comme Angela Merkel a construit ses succès politiques et électoraux, sa longévité et son lien avec le peuple allemand par la sobriété de son expression et l’unité de celle-ci. L’exemple d’Angela Merkel m’impressionne, comme également, il y a quelques décennies désormais, l’attention toute particulière que Pierre Mendès France accordait à ses prises de parole, aux responsabilités, puis dans sa longue période d’opposition, soucieux de nuance et désireux toujours de convaincre.
J’ai assez pratiqué les campagnes électorales pour savoir qu’il y a des hauts et des bas, que certains moments sont meilleurs que d’autres. Je m’inquiète cependant du bruit de fond. Souvent aussi, l’écart entre les propos de campagne et l’expression dans l’exercice des responsabilités, une fois l’élection gagnée, fait mal à la vie publique. C’est là également que l’unité de la parole est précieuse, pour ne pas décevoir bien sûr, mais avant tout pour entrainer, mobiliser, emmener. Il y a dans le débat public et la vie démocratique une réelle noblesse, qu’il faut retrouver, avec le souci d’exposer les différences, les envies, les rêves, avec respect et bienveillance. Cette noblesse-là n’a pas disparu. Il n’en tient qu’aux candidats, à nous aussi, qu’elle revive pour le bien-même de l’action publique et la vitalité de la démocratie. L’hystérisation du débat ne construit pas une société apaisée, pas plus qu’elle ne conduit à l’acceptabilité des choix électoraux, à la liberté d’action de la majorité et au respect dû à l’opposition. La crise démocratique aux Etats-Unis depuis les années Trump le montre bien tristement. Ayons cela à l’esprit pour souhaiter qu’au-delà de la séquence de la caisse, du Kärcher et des emmerdements, ce soit enfin sur les projets, la vision, l’avenir de notre pays que les échanges se nouent.
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