
J’aime profondément les Etats-Unis. J’ai eu la chance d’y vivre deux belles années au sortir des études. Je garde de cette vie californienne un souvenir heureux et fondateur. J’y ai tant appris. Je sais aussi ce que la France, mon pays, et l’Europe doivent au peuple américain: leur liberté. Les plages et les cimetières de Normandie le rappellent. Sur le chemin de la Bretagne, ma région natale, je m’y arrête parfois. J’en ai besoin. Dans le silence de Colleville-sur-Mer, face à la Manche, est écrite pour l’éternité la force du lien entre la France et les Etats-Unis. Cette histoire de sacrifice et de sang mêlé, lorsque le monde s’en allait vers l’abîme, est imprescriptible. C’est pour tout cela que les Etats-Unis ne seront jamais pour moi un pays comme les autres, encore moins un pays lointain ou, pire, un pays hostile. Un jour, lorsqu’ils seront un peu plus grands, j’emmènerai mes enfants sur les routes américaines, à la découverte de ces espaces uniques, d’une société diverse et fascinante, pour transmettre cette reconnaissance que je ressens.
C’est certainement parce que j’aime l’Amérique que la situation présente à Washington me peine (et le mot est faible). L’histoire politique américaine s’est structurée autour de l’alternance entre démocrates et républicains. Si j’étais citoyen américain, je serais un électeur démocrate. Mais je n’ignore rien de l’apport déterminant des républicains à l’histoire de leur pays. Il fut une période où j’avalais les biographies et livres d’histoire achetés à Barnes & Noble. Il m’en reste une belle collection. C’était la période BC (pas « before Christ », mais « before children »), lorsque, voyageant vers les deux côtes pour le travail, je trouvais le temps de visiter un musée (National Museum of American History à Washington) ou une librairie présidentielle (Reagan à Simi Valley, Kennedy à Boston). J’apprenais aussi au contact de mes amis américains, démocrates et républicains. Aujourd’hui, je me demande avec effarement ce qu’il reste du parti d’Abraham Lincoln, mais aussi de Ronald Reagan ou de George H. W. Bush au regard de ce qu’est devenue la présidence de Donald Trump.
Le chaos, la fureur, les insultes et l’usage compulsif de Twitter comme mode de gouvernance sont la marque de cette présidence. Sans doute avais-je fini, comme bien d’autres, par m’y habituer. Je n’attendais cependant pas le degré absolu de cynisme révélé par l’abandon soudain des Kurdes après leur combat courageux, héroïque et décisif pour nous (et donc aussi pour les Etats-Unis) contre l’organisation Etat islamique. Je ne pensais pas que l’ingratitude et l’égoïsme puissent atteindre pareil niveau et que Donald Trump, tout à ses obsessions et à son idée de « America first », sacrifie non seulement les populations kurdes, désormais livrées à l’offensive turque, mais aussi les idéaux et la morale de l’Amérique. Car l’annonce du retrait unilatéral des forces américaines du nord-est de la Syrie n’est simplement pas digne de l’histoire américaine et des valeurs qui l’ont faite telles la confiance, le sens de la parole et l’honneur. Le retrait américain ouvre la voie à la Russie et à l’Iran, remet en selle Bashar al-Assad et redonne une chance, malgré ses défaites, à l’organisation Etat islamique. C’est un désastre et c’est une faute.
Hier soir, regardant CNN, j’ai suivi la conférence de presse improvisée par les leaders démocrates du Congrès au sortir – prématuré – d’une réunion à l’évidence vitaminée avec Donald Trump à la Maison Blanche sur la situation dans le nord-est de la Syrie. Quelques propos bien sentis avaient, semble-t-il, été échangés à l’occasion de cette rencontre et il était même question en conclusion de prier pour la santé mentale du Président… Où va-t-on? Au même moment, la Chambre des représentants, par un vote remarquablement bipartisan, condamnait à une très large majorité la décision présidentielle de retrait des troupes de Syrie. Rien n’y fait cependant. Donald Trump, dans une folle fuite en avant, trace son chemin, s’affranchissant de tous les conseils, de toutes les oppositions, de toutes les règles constitutionnelles de son pays pour livrer, halluciné et obsessif, sa bataille présidentielle, dans la haine et l’hystérie, tentant même de corrompre un chef d’Etat étranger pour qu’il enquête sur l’un de ses adversaires politiques.
L’Amérique, ce n’est pas cela. C’est même tout l’inverse. C’est une grande nation démocratique. C’est un pays de droit. Et c’est un pays où la morale a un sens. Certes, l’impeachment ne passera pas l’obstacle du Sénat. Trop près des élections et des réflexes partisans, même si la démocratie américaine est sacrément et sans doute aussi durablement secouée. Qu’espérer, que souhaiter ? Que l’Amérique redevienne l’Amérique et que le peuple américain tourne la page en novembre 2020. Pour lui, et aussi pour nous, du côté européen de l’Atlantique. Que Donald Trump, malheureusement sans challenger dans les rangs républicains, trouve sur sa route un candidat ou une candidate démocrate qui puisse rassembler une large majorité d’électeurs et de grands électeurs au-delà des logiques partisanes. C’est nécessaire. Je veux y croire. Il y a tant de défis dans le monde, à commencer par ceux de la paix et du climat, qui requièrent le retour de l’Amérique. Comme pour donner un tout autre sens à ce slogan : « Make America great again ».
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C’était Poupou
Je suis un enfant des années 1960, qui s’est éveillé aux joies et bonheurs du vélo vers 7-8 ans. Les héros de mes jeunes années s’appelaient Merckx, Ocana ou Thévenet. Et bien sûr Raymond Poulidor, que j’appelais « Poupou » comme à peu près tout le monde à l’époque. L’annonce de sa mort ce 13 novembre m’a profondément peiné. Plus qu’un coureur, plus qu’un champion, c’était un homme, une vie, un exemple que j’avais appris à aimer. Il y avait chez Raymond Poulidor une simplicité, une bonhommie, une immense gentillesse. C’est l’histoire d’un homme qui s’était élevé par le vélo et qui, au-delà l’une longue carrière, était resté un personnage populaire, présent sur le Tour de France, reconnu par des générations, y compris par celles qui ne l’avaient jamais vu sur la selle.
Pourquoi aimait-on Poupou? Parce qu’il était sympa, parce qu’il incarnait d’une certaine façon cette France rurale et généreuse, cette France des campagnes et de l’été dans laquelle nous nous reconnaissions tant. Sans doute un peu aussi parce qu’il était un glorieux second, jamais vainqueur du Tour, 8 fois deuxième, sans même avoir eu la chance de pouvoir porter un jour le mythique maillot jaune. Il avait été l’adversaire d’Anquetil, puis celui de Merckx. Entre le retrait de l’un et l’avènement de l’autre, Poupou n’avait juste pas eu de pot, battu par moins bon que lui, victime des circonstances et d’une solide poisse. Comme lors de cette chute en 1968 qui le laissa le visage en sang et le nez cassé sur une route du Sud-Ouest alors que filaient le peloton et le Tour qui lui tendait les bras.
Il serait injuste pourtant de ramener Raymond Poulidor à un champion qui ne gagnait jamais. Car des courses, il en a gagné, et de belles. Poupou était un puncheur, au démarrage sec en montagne. Il grimpait très bien et tenait son rang contre la montre. J’ai vu Poupou gagner, mais oui, et je m’en souviens comme si c’était hier! C’était au printemps 1974, en nocturne, sur les routes d’Ergué-Gabéric au critérium de la Vallée Blanche. Poupou avait fait le dernier tour à fond, lâchant ses concurrents dans le dernier virage de la côte de Stang-Ven, là où je me trouvais avec mon père. Deux ou trois heures plus tôt, s’échauffant, il avait ralenti à notre hauteur et mon père lui avait lancé : « Alors, Raymond, çà va ? ». Souriant, il nous avait répondu : « Mais oui, mais oui ». J’avais 9 ans et j’étais aux anges.
C’était Poupou. Et c’était nous aussi. Pleurer Poupou, c’est pleurer une époque, un temps lointain, de beaux souvenirs. C’est garder au cœur les valeurs qui ont fait le cyclisme et construit sa légende, au premier rang desquelles la dignité et la sportivité. Raymond Poulidor était un personnage incroyablement humain. Son amitié d’après le vélo avec Jacques Anquetil avait montré que la rivalité d’un temps pouvait faire place à une toute autre histoire après. Au Panthéon de mes souvenirs, il restera à jamais un maillot Gan-Mercier et un vélo mauve, les souvenirs de belles courses et de bras tendus, d’applaudissements et de regards émerveillés. Un homme s’en est allé, mais sa trace demeurera. Quelque part, sur mon vélo, au coin des routes et des chemins, il y aura toujours Poupou.
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