
Ils sont entrés, les uns après les autres, bérets ou casquettes sur la tête, poussés dans leurs fauteuils roulants. Ils étaient souriants, parfois émus, esquissaient pour quelques-uns un petit geste timide vers la foule qui les ovationnaient de plus en plus fort. Certains avaient voulu marcher, lentement, doucement vers les fauteuils qui les attendaient, aux côtés des Présidents, des rois et des reines, des Premiers ministres, à la place qu’ils méritaient. Face à la Manche, face à cette mer par laquelle ils étaient arrivés sous un déluge de feu 80 ans plus tôt, il flottait un sentiment immense d’éternité. Merci, merci, que dire de plus fort à ces hommes aujourd’hui centenaires, venus des Etats-Unis, du Canada et du Royaume-Uni, humbles et courageux acteurs de l’un des plus grands moments de l’histoire du monde. Nos applaudissements valaient tous les mots. Ils avaient à peine 20 ans. Cette terre de Normandie qu’ils allaient libérer, puis la France et l’Europe, ils ne la connaissaient pas. Se connaissaient-ils d’ailleurs, massés, épaule contre épaule, sur ces bateaux qui les menaient au combat, vers leur destin, dans la tempête, le vent et la pluie du 6 juin 1944 ? Ils étaient frères d’armes, par dizaines de milliers, soldats de la liberté, portés par le devoir et par l’idéal aussi. Ils allaient écrire l’histoire.
Dans la tribune, l’émotion m’étreignait, comme bien d’autres. Ce n’était pas une commémoration du 6 juin comme les précédentes, c’était la dernière qui verrait, sans grand doute, les survivants du Débarquement fouler la terre de Normandie qu’ils avaient libérée. Ils le savaient, nous le savions. C’était un adieu, le leur, le nôtre. Ce n’était pas triste, mais beau, d’une beauté emplie de solennité et d’espérance. Les chants, la chorégraphie, les discours disaient la gratitude de la France et du monde. Il y avait la jeunesse des enfants, tout de blanc vêtus, dansant, chantant à deux pas d’eux. Il y avait les regards, ceux qui disent tant, sans besoin de mots. Il y avait aussi et surtout ces dernières forces, mobilisées pour se lever, se tenir debout, recevoir pour trois d’entre eux, combattants d’Omaha Beach, la médaille de la Légion d’honneur des mains du Président Emmanuel Macron, et pour Ed Berthold lire la lettre qu’il avait écrite à sa mère le lendemain du 6 juin 1944. « We have done extraordinary things » disait-il. Rien n’était plus juste que ces mots, plus vrai aussi. C’était il y a longtemps et c’était pourtant comme hier, parce que la liberté est précieuse, que la paix doit être juste et partagée si l’on veut qu’elle dure, et parce que les idéologies totalitaires, même vaincues, demeurent toujours.
Vivre libre, il n’existe pas de plus noble, de plus universelle cause. Est-ce cependant partagé ? La guerre est revenue en Europe, 80 ans après le 6 juin 1944. Hier, dans la longue, émouvante et impromptue accolade entre Melvin Hurwitz, vétéran de la 8ème Airborne, et le Président Volodymyr Zelensky, il y avait comme le passage d’un témoin. Le centenaire encourageait le quarantenaire, lui disait ses encouragements, son admiration, son espoir, ses prières que l’Ukraine l’emporte et retrouve sa souveraineté. Il le faut. Car l’asservissement d’un peuple n’est pas la liberté, l’absence du droit n’est pas la liberté, la dictature n’est pas la liberté. Le combat pour la liberté n’est en vérité jamais achevé. Il est, puisqu’il le faut, celui des armes, avec l’appui de nos nations européennes. Mais il doit aussi être celui des idées, de l’éducation, des convictions et du civisme. On ne peut relativiser l’histoire, l’oublier ou ne pas l’apprendre. Commémorer le 6 juin 1944, c’est savoir d’où l’on vient, des générations après. C’est apprendre que la mémoire est un devoir citoyen et qu’il faut l’honorer. C’est savoir ce qu’est le nazisme, c’est se souvenir de la Shoah et honnir à jamais l’antisémitisme, qu’il soit affirmé ou latent. « Nous sommes tous des enfants du Débarquement », disait hier Emmanuel Macron. Oui, nous le sommes.
Nous sommes aussi des enfants de l’Europe. L’Hymne à la joie a été joué à Omaha Beach, chanté en plusieurs langues. Le drapeau européen flottait face à la mer. Le Chancelier allemand Olaf Scholz était présent. C’est la paix et la réconciliation aussi que nous célébrions. Un poème écrit par Friedrich von Schiller, une symphonie composée par Ludwig van Beethoven, une ode venue d’Allemagne et devenue l’hymne européen, il n’est pas de meilleur symbole. C’est par le droit que l’Europe a fait la paix. Et c’est l’Europe qu’il faut défendre, à quelques jours d’un scrutin périlleux pour nos pays et le continent. Non loin de moi dans la tribune, il y avait les représentants bien connus de partis qui combattent l’Europe. Je voudrais imaginer qu’ils applaudissaient avec conviction. Je n’en suis pas si sûr. On ne sert pas impunément la main à Poutine. On ne décrit pas l’antisémitisme comme « résiduel » sans arrière-pensée. C’est aussi par les commémorations que l’Europe s’apprend, se palpe, se vit, et notamment à l’âge de la jeunesse. L’Europe est notre destin commun, cet idéal que la paix arrachée au prix de millions de morts a permis, ce leg reçu des combattants du 6 juin 1944 et que nous devons transmettre. C’est cette promesse, hier, que nous leur avons faite.
Les ovations ont retenti, la Marseillaise achevée, et elles ne voulaient plus cesser. La cérémonie s’est achevée, le ciel bleu avait déchiré les nuages et le soleil venait. Les vétérans du 6 juin 1944 s’en allaient doucement, saluant la foule. Je suis passé auprès de quelques-uns d’entre eux. « Thank you, Sir », disais-je. Je n’avais pas davantage de mots, la gorge nouée par l’émotion. Je ne voulais pas faire de photo. Je voulais simplement, modestement, intensément, m’imprégner de leurs visages, de leur regard et les garder à jamais en mémoire. Je mesurais le privilège immense d’être là. Je sais ce que le combat pour la liberté veut dire. Ma famille, comme bien d’autres, en a payé le prix. Ma reconnaissance au monde combattant est éternelle. Je n’oublierai ni le 6 juin 1944, ni le 6 juin 2024. Marchant vers mon bus, j’observais la Manche. Sur la plage, il y avait deux barges échouées. Et au loin, des navires de guerre. Comme il y a 80 ans. Dans le ciel restaient les traces tricolores du passage de la Patrouille de France. Un vétéran scrutait l’horizon, sans bouger, pour se souvenir, pour le temps qui reste. L’image était émouvante. Je suis resté un instant auprès de lui. Un instant, une éternité, une histoire, la leur et la nôtre. Dans le lointain, les cloches des églises sonnaient. C’était hier. Ce sera demain. Nous le leur devons.
Merci au Président de la République de m’avoir permis, par son invitation, de vivre ce moment que je conserverai à jamais en mémoire.

Contre l’extrême-droite, levons-nous !
Au soir des élections européennes, le Président de la République a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections législatives les 30 juin et 7 juillet prochains. Cette dissolution était inévitable. Elle était sans doute même devenue souhaitable au regard de l’impasse politique profonde dans laquelle glissait inexorablement la France depuis plusieurs mois. Je l’imaginais cependant pour l’automne, de l’autre côté de l’été, après les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Nous vivons une période difficile, morose, rageuse, et un peu de joie, de soleil, de repos, de passion aurait, je crois, fait du bien avant d’aller en conscience et lucidement aux urnes. Il en a été décidé autrement. Une campagne très courte s’amorce désormais. Dans deux semaines, nous y serons déjà. Il n’y aura pas ou peu de débats. Les réseaux sociaux, à l’inverse, fonctionneront à plein. La question in fine sera de savoir si les Français éliront une majorité de députés d’extrême-droite à l’Assemblée nationale, confiant les clés du gouvernement de la France à Jordan Bardella et à Marine Le Pen. Il n’y en aura pas d’autre. Ce sera un référendum sur le Rassemblement national, comme les élections européennes auront été un référendum sur Emmanuel Macron.
Le temps n’est plus à la réflexion, à l’analyse des responsabilités, à la politique politicienne, à la procrastination. Il est à l’action et il est au choix. Faut-il se résigner à ce que l’inégalité de traitement entre les citoyens, fondée sur leurs origines, leur couleur de peau ou leur religion, devienne le fil conducteur de l’action de la France pour au moins 3 ans ? Faut-il accepter que notre pays se jette dans les bras de Poutine, de Trump, d’Orban et de tous les satrapes planétaires et climatosceptiques dont le trait commun est la haine de la démocratie, de la liberté et du droit ? Faut-il renoncer à l’Europe, s’isoler de nos voisins, barricader notre économie et courir à la ruine ? Je ne peux me résoudre à ce que ce scénario devienne réalité le mois prochain. La situation dans laquelle se trouve la France en ce vendredi 14 juin est sidérante. Il y a à peine une semaine, nous célébrions le courage et la liberté à Omaha Beach, la victoire de l’idéal contre le pire… L’extrême-droite est un poison. L’histoire nous a appris que lorsqu’elle gagne le pouvoir par les urnes, elle ne le rend jamais de la même manière. Elle hait la démocratie, l’Etat de droit et s’applique méthodiquement à les déconstruire. Elle a toujours fait du mal à la France. Elle n’est pas la France.
L’heure est grave. Avec plus de 30% d’intentions de vote au premier tour, le Rassemblement national sera présent partout au second tour le 7 juillet. Contre qui ? Contre un adversaire que j’espère républicain. Cet adversaire-là, s’il/elle est irréprochable sur l’antisémitisme, sur l’Ukraine et par le comportement, aura ma voix. Je suis un homme de gauche. J’ai été député. L’égalité et l’universalisme sont au cœur de mes convictions. Ma gauche est une gauche réaliste, laïque, européenne, à la recherche du compromis social. J’ai voté pour Emmanuel Macron. J’ai apprécié son action durant la pandémie. C’était un temps social-démocrate. J’ai été peiné par la réforme des retraites et la loi immigration. J’aurais aimé qu’il n’oublie pas cette gauche qui l’avait soutenu et dont, je crois, il venait. J’ai attendu des propositions sur le pouvoir d’achat, en réponse aux souffrances sociales et au sentiment ravageur de relégation. J’espérais un front républicain, par-delà les différences politiques, préfigurant peut-être une coalition pour gouverner et un rassemblement inédit pour notre pays parce que la période l’exige. Les propositions ne sont pas venues et le rassemblement ne s’est pas fait. Nous tous qui ne voulons pas de l’extrême-droite allons malheureusement divisés aux élections.
Rien n’est pourtant encore écrit. Levons-nous ! Votons, faisons voter. C’est maintenant que tout se joue. Je sais d’où je viens. Je me souviens des miens, de leurs récits des combats glorieux, depuis la Résistance au militantisme politique et syndical dans le Finistère. Je me souviens de leur humilité aussi. Ils avaient, comme tant d’autres Français, la passion simple et belle de notre pays. Ils savaient se rassembler, se dépasser aussi. Ce souvenir m’oblige autant qu’il m’émeut. Nous sommes certainement des millions, une majorité à partager la même histoire, cette même volonté de préserver la France de l’extrême-droite, du racisme et du rejet de l’autre. Il faudra nous retrouver, si ce n’est au premier tour, certainement au second tour, que l’on soit de gauche, du centre, de droite ou d’ailleurs, et donc d’abord et passionnément de la République. J’ai été inspiré par la campagne européenne de Raphaël Glucksmann. J’ai aussi des amis à Renaissance, au MoDem, à LR, au PS, chez les écologistes. Ces différences, parfois grandes, parce qu’elles sont respectueuses et dignes, sont nos richesses. Nous savons que ce ne sont pas des murs qui construiront l’avenir de la France et du monde, mais le combat pour le développement de tous, contre la misère, l’abandon et le désespoir.
Depuis dimanche, j’ai reçu des messages d’amis, de parents, d’électeurs et d’électrices m’encourageant à me présenter aux élections législatives. J’en ai été touché, surpris, et pour tout dire ébranlé aussi. Je ne les attendais pas. Et, oui, pendant ces quelques jours, j’ai envisagé une candidature. Je suis à l’écart de la vie publique depuis 7 ans, mais l’amour de la France et la disponibilité pour la servir demeurent ancrés en moi. Je ne peux me résoudre à voir notre pays se perdre et cheminer vers l’abîme. Il fallait cependant que ma candidature, si je la présentais, puisse rassembler largement, qu’elle ne divise pas davantage cet espace politique opposé à l’extrême-droite, qu’elle soit utile et mieux, qu’elle soit décisive. C’est parce que le risque de division existait que j’ai choisi de ne pas la présenter. Le plus important n’était pas mon retour à la vie publique, le plus important est notre avenir à tous. Il nous reste si peu de temps d’ici au 30 juin et au 7 juillet pour mobiliser. Chaque voix comptera. Aucune peine ne doit être épargnée pour parler, convaincre, rassembler. C’est une mission qui nous engage et que nous avons en partage. Elle sera difficile, acharnée, mais j’ai confiance que nous saurons, pour notre pays et parce que l’essentiel est en jeu, la mener à bien.
2 commentaires