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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

Loi d’accélération des énergies renouvelables: une occasion manquée?

Image par Zsuzsa Boka de Pixabay

J’ai suivi avec attention les débats à l’Assemblée nationale en décembre 2022 sur le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables. Je l’ai fait comme ancien député, rapporteur pour avis du budget de l’énergie et rapporteur en 2016 de la ratification de l’Accord de Paris sur le climat. Je l’ai fait également comme ancien cadre-dirigeant du secteur solaire, passionné par cette énergie et son déploiement que je vois comme une perspective enthousiasmante pour notre pays, pour l’Europe et pour le monde. Faut-il accélérer le déploiement des énergies renouvelables en France ? A l’évidence oui, et plus encore lorsque l’on se traine en queue de peloton, seul Etat membre de l’Union européenne incapable de tenir ses engagements de porter la part des énergies renouvelables à 23% du mix énergétique. Cette situation est invraisemblable et inacceptable. Les énergies renouvelables sont vertes, elles sont propres et elles sont déjà les moins chères. Elles permettront demain de produire le surcroît d’électricité nécessaire pour faire face aux défis d’un monde décarboné.

Je m’étais réjoui de voir le gouvernement et le Parlement s’emparer de l’accélération des énergies renouvelables. Les débats législatifs ont été animés, parfois agités. Je les ai écoutés avec intérêt, puis avec une inquiétude grandissante, au point de douter que le texte adopté par l’Assemblée nationale puisse contribuer à quelque accélération que ce soit, si ce n’est à celle du contentieux administratif. Ce n’est pas en ajoutant toute une série de verrous, interdictions et autres conditions nouvelles au cadre actuel que l’on libérera en effet le déploiement des énergies renouvelables. Le marché a besoin de liberté et nos territoires aussi. Or, le texte issu de l’Assemblée et préservé pour l’essentiel en commission mixte paritaire le 24 janvier peut conduire à un moratoire de fait tant les incertitudes sont multiples. Ainsi, à vouloir prévoir des zones d’accélération, on en arrive à parcelliser les territoires et in fine au risque que l’administration finisse, dans l’attente de leurs périmètres, par délivrer au compte-goutte les permis de construire tant attendus par les porteurs de projets.

Ma lecture des débats est celle d’un effacement des services de l’Etat au profit d’élus locaux placés dans une situation dont tous ne se réjouiront pas. Les maires et présidents de communautés de communes désireux d’agir se retrouveront davantage encore en première ligne, chargés de définir des zones d’accélération là où ils espéraient d’abord de l’Etat un relais, un soutien pour porter les projets de parcs solaires ou éoliens. Je suis attaché au développement de l’agrivoltaïsme, d’une production d’électricité verte et d’activités agricoles sur une même emprise foncière, dans une logique d’aménagement du territoire. C’est la chance de la France de disposer d’un vaste territoire ensoleillé et d’une profession agricole tentée par cette perspective. Mais qu’en restera-t-il avec l’introduction d’un nouveau régime de permis de construire dont le texte dit si peu ou avec l’avis conforme des CDPENAF, dont certaines, selon les départements, ne possèdent aucune expérience ni représentation du monde de l’énergie ? J’ai le sentiment que nous transformons l’or en plomb.

Accélérer les énergies renouvelables, c’est partir du cadre actuel et donner avant toute chose aux services instructeurs les ressources et moyens qui leur manquent concrètement. Le défi est là. C’est créer à l’échelle de chaque Préfecture une fonction de référent pour les énergies renouvelables, placée sous l’autorité directe du Préfet, afin de mener les contacts nécessaires avec les énergéticiens et l’ensemble des partenaires locaux, pour définir la position des autorités de l’Etat sur chacun des projets envisagés et l’exprimer en mode unique au nom de tous les services concernés. Cette expression centralisée et fédérative des diverses autorités est essentielle pour maximiser les opportunités de développement, pour sécuriser les parties prenantes dans leur choix d’investissement et pour hâter la prise de décision au bénéfice des projets. Elle l’est également pour localiser demain dans notre pays des capacités de production, dans une perspective de reconquête industrielle, et ce n’est pas là le moindre des enjeux en termes de stratégie et de souveraineté. Cette dimension-là manque dans le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables à l’approche du vote final.

Il importe de prendre le tournant annoncé des énergies renouvelables avec ambition, avec volonté et aussi avec lucidité. Trop longtemps, la France s’est dotée d’objectifs de déploiement dans les PPE successives qu’elle n’a jamais atteint, faute d’avoir osé faire les choix nécessaires. Il n’est plus temps d’hésiter. La crise climatique nous le rappelle, le respect du droit européen aussi. Il faut développer les énergies renouvelables matures le plus rapidement possible, rechercher les volumes et les échelles qui feront la différence plutôt que la somme de multiples segments. Le 24 janvier, le jour où se réunissait la commission mixte paritaire, une étude publiée par l’observatoire Observ’ER montrait que la France n’atteindrait pas ses objectifs éoliens et solaires sur la période 2019-2013, se plaçant déjà en décalage par rapport à une PPE définie il n’y a pourtant pas si longtemps. J’ai crainte que l’économie du texte issu de la commission mixte paritaire ne permette pas de redresser la barre. On ne peut sacrifier la cohérence et l’ambition de la loi à la recherche d’une majorité, au risque d’une immense et regrettable occasion manquée. S’il est encore possible d’agir, c’est le moment.

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Chemins d’Europe

La pause de fin d’année prendra fin dans quelques heures. Famille espagnole oblige, nous l’avons prolongée jusqu’à l’arrivée des Rois mages. Gaspard, Melchior et Balthazar sont passés avant-hier et il est temps désormais de retrouver le mois de janvier, le nord, la pluie (sûrement) et le froid (peut-être). J’ai aimé ces deux semaines loin de la vie quotidienne. J’en avais besoin, cette année plus encore que les précédentes. Un second Covid m’avait mis à plat au début décembre et je voyais dans ces fêtes de Noël comme un objectif, un Graal étrange et merveilleux pour retrouver la forme et l’énergie qui m’avaient abandonné, malgré la frénésie de la Coupe du Monde de football. Je me réjouissais aussi de lire dans les yeux de mes enfants, par-delà le temps qui passe, la magie renouvelée de Noël et des fêtes. Il y a la part de rêve qui demeure, les cadeaux et, plus que tout, les retrouvailles familiales, cette joyeuse troménie qui, d’année en année, nous conduit par la route et par les airs chez moi dans le Finistère, puis à Grenade et en Andalousie rurale, là où vit notre famille espagnole. Nous reviendrons demain à Bruxelles les valises chargées de présents, souvenirs et autres denrées culinaires, locales et utiles qui rendront les mois d’hiver à venir moins longs, moins durs et aussi plus heureux.

Je n’ai pas l’esprit religieux, mais je célèbre Noël avec tendresse et conviction. Je sais d’où je viens. Je me souviens de ma grand-mère qui me racontait avec pudeur et émotion combien l’orange reçue à Noël, seul cadeau que ses parents pouvaient lui offrir, avait pour elle une valeur immense. Son Noël n’en avait que plus de force et de sens. Ce souvenir m’est cher et, à dire vrai, il m’émeut toujours autant. Ce sont des images, des témoignages venus de loin et quelques objets, souvent modestes, qui font le caractère unique de Noël. Ce sont aussi des promenades et des marches au gré de rues illuminées et dans le silence de la campagne ou de la mer. A l’Ile-Tudy, nous avons arpenté la plage de l’été dans la lueur particulière d’un soir de décembre. Il fallait avancer vite pour retrouver notre chemin à l’approche de la nuit et de la pluie. En Andalousie, nous avons marché sous la lune au milieu des amandiers. Il faisait froid et les arbres tendaient vers le ciel leurs fines branches, comme s’ils attendaient de la pleine lune le signe fragile de la floraison à venir. La mer en Bretagne, la terre du côté de Grenade et d’Almeria, les histoires contées et partagées ont fait de ces vacances des moments doux et heureux. Nous avons parlé de nos Noëls d’avant et un peu aussi de ceux d’après.

Les paysages en hiver me touchent. Je suis un Breton rompu au vent, à la pluie et aux tempêtes. J’y suis sensible, j’en ai même presque besoin. Je crois bien qu’il me manquerait quelque chose dans un Noël sans bourrasque. A condition bien sûr que, fuyant les éléments déchaînés, je trouve par chance, miracle ou soudaine inspiration une crêperie et, derrière sa lourde porte, une joyeuse assemblée et les effluves revigorantes du froment. J’ai appris aussi à connaître et aimer les paysages andalous, les collines parsemées d’oliviers, ces espaces de terre et de vie où l’histoire est une conquête et la recherche de l’eau l’est tout autant. Dans l’oliveraie de notre famille espagnole, décembre est le temps de la récolte. Sur les petits arbres, trop jeunes encore pour être soumis aux machines, nous faisons la cueillette à la main. Mes enfants courent avec leurs petits paniers chargés d’olives. Ils grimpent parfois sur le tracteur et participent ainsi à la récolte d’un peu plus haut. Petits, ils avaient découvert aussi la récolte des amandes. Des générations ont planté et entretenu ces arbres, vivant les bonnes et les moins bonnes années, sans jamais renoncer. Tant de paysages d’Europe, dans leur diversité, sont le fruit de siècles d’abnégation à la tâche pour défricher, protéger, planter.

Les paysages européens racontent notre histoire. J’aime les coins perdus, improbables, authentiques. J’aime les moments d’échange, simples et chaleureux, que les fêtes rendent plus faciles ou spontanés. Nous avons eu la chance durant notre séjour andalou de rouler vers l’est, vers les parties les plus arides de la province d’Almeria, où je n’étais jamais allé. Le champ d’amandiers de notre famille était à plus de 1000 mètres d’altitude. Il faisait froid sous la lune. J’essaie de l’imaginer en fleurs dans quelques semaines. J’en ai vu les photos. Et plus tard aussi, sous la chaleur écrasante de l’été. Il y a tant à apprendre de la terre, à voir et à comprendre du cycle des saisons. Il y a tant aussi à faire pour défendre et promouvoir ces territoires lointains des plus grandes villes, entreprendre et faire croître une économie, défier la désertification et donner sens aux solidarités. C’est cela aussi, l’Europe : la liberté, la dignité, l’égalité, entre autres valeurs qui fondent notre identité commune. Les temps incertains et difficiles que nous traversons n’en soulignent que davantage l’actualité, l’urgence et le sens, comme un devoir pour 2023, comme une promesse aussi. Demain, en route vers Bruxelles, ces sentiments, ces images et ces espoirs m’accompagneront.

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Les Bleus reviendront et nous aussi

C’est l’histoire d’une finale que nous voulions tellement gagner, un match qui nous aura totalement échappé durant 80 minutes avant de devenir fou, hallucinant, enthousiasmant, irréel, de nous conduire tout près du Graal et finalement de laisser tout au bout du bout la plus haute marche à nos adversaires argentins. Il y a des finales de Coupe du Monde pour l’histoire et celle-là en sera une, peut-être même la première. Nous nous en souviendrons longtemps. Ce que nous avons vécu, rivés par milliards devant nos postes de télévision dans tous les coins du monde, est une tragédie comme seul le sport et singulièrement le football peuvent en produire. Plus que tout, ce trophée, Leonel Messi le voulait. Et il l’aura mérité, comme ses coéquipiers. L’Argentine est une belle équipe, un grand champion du Monde. Mais nos Bleus aussi, cette troisième étoile, ils en rêvaient. Et ils la méritaient tout autant. Durant ce mois qatari, ils nous ont passionnés, transportés. Qui croyait réellement en leurs chances il y a encore quelques semaines, après une saison internationale médiocre, des cascades de blessures et les forfaits de tant d’entre eux ? L’équipe de France a montré dans ce tournoi une résilience formidable, une abnégation inégalée et un réalisme qui forcent l’admiration.

Ce lundi est le matin du jour d’après. La Coupe du Monde est finie. Nous sommes un peu groggys, partagés entre tristesse et reconnaissance. Ce soir, les Bleus salueront leurs supporters sur la Place de la Concorde dans le froid de l’hiver qui vient, puis ils se sépareront, chacun retrouvant son club et sa vie. La douceur de l’automne qatari entrera dans leurs souvenirs et dans les nôtres, comme le dénouement cruel de cette finale énorme. La France avait besoin de ces moments d’enthousiasme, de joie, de force collective. Nous sommes un pays qui doute, entre craintes et crises. Les occasions de faire nation, de nous regrouper, de dépasser pour quelques heures ou quelques jours ce qui nous divise, sont rares. Le football est magique parce qu’il le permet. Il faut une force d’âme sans limite pour aller défier le destin et l’adversité, renverser le cours d’une histoire qui paraissait écrite. Cette force d’âme, les Bleus l’avaient au Qatar. Jusqu’à hier soir, lorsqu’en deux minutes et deux buts, ils ont repris contrôle de ce match qui leur échappait. Kylian Mbappé aimantait le ballon, conduisait la révolte, du haut de sa jeunesse et de son talent inégalé. Il met 3 buts en finale. Ce n’était arrivé qu’une fois dans toute l’histoire de la Coupe du Monde. L’homme du match, c’était lui.

J’ai replié mon petit drapeau tricolore ce matin. Il m’accompagne depuis près de 10 ans, comme un fétiche. Ce drapeau a une histoire. On me l’avait donné au Stade de France, un soir glacial de novembre 2013, lors du match retour de barrage entre la France et l’Ukraine pour la Coupe du Monde au Brésil. Pas grand monde croyait en la qualification des Bleus, battus 2-0 à l’aller à Kiev. Et pourtant, ce soir-là, une équipe était née, allant chercher un 3-0 rageur ouvrant la voie vers les conquêtes d’après. Je serrais mon drapeau contre moi dans le stade, puis dans le métro au retour vers l’Assemblée nationale et dans la buvette des députés, pour un moment de célébration joyeux. Je suis un vieux footeux, qui se souvient des périodes de disette, lorsque se qualifier pour la Coupe du Monde relevait de l’impossible et que l’idée même de la gagner était à des années lumières. Je me souviens des creux après la retraite de Platini et celle de Zidane. Chaque équipe connaît ses cycles, ses moments de moins bien. La différence, c’est que les Bleus d’aujourd’hui ont un esprit de compétiteurs, nourri par leur expérience internationale en club et la culture de la gagne insufflée par Didier Deschamps depuis 10 ans. Tout cela est là pour durer, assis sur une formation solide dans nos clubs et nos régions.

Je range aussi les journaux, les magazines, l’album Panini que nous compléterons avec mes enfants dans quelques jours. Il rejoindra celui de la Coupe du Monde en Russie parmi leurs souvenirs. Hier soir, ils avaient le cœur gros. Ce n’est pas simple de perdre (ou plutôt de ne pas gagner). Consoler, expliquer, je m’y suis livré tant bien que mal. Mbappé a l’avenir devant lui, Messi est l’un des plus grands joueurs de l’histoire. Et surtout, le football reste avant tout un jeu, même s’il est devenu aussi une économie et une puissance pas toujours très inspirée. En janvier, comme leurs héros français, espagnols et belges dans leurs clubs, mes enfants retrouveront l’école de foot de l’Union Saint-Gilloise, garçons et filles ensemble. Il y aura des buts à marquer, des reprises de volée à travailler et des dribbles à mener. Je crois bien que je rechausserai les crampons aussi. Les Bleus reviendront et nous avec eux. L’histoire est encore à écrire et le meilleur à venir. J’avais glissé avant la finale deux bouteilles dans notre frigo. Nous les avons ouvertes, même si la victoire ne nous avait pas souri. Les larmes séchées, nous avons parlé de ballon, de la Coupe du Monde de football féminine au printemps, de celle de rugby à l’automne et des bonheurs d’après. Le sport est une école de vie. Merci, les Bleus !

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Sur un coup de pompe et quelques idées

Mon petit bureau, sous le toit de ma maison

Ce dernier jour de novembre est tout gris depuis les hauteurs de ma maison, sous le toit, là où j’ai niché mon petit bureau. L’automne a filé vite et l’hiver pointe déjà son nez. Au milieu de mes livres, dans mon cocon, je suis heureux. Je suis au repos aussi, instruction du médecin. J’ai trop tiré sur la corde. Entre 12 et 13 heures de travail par jour depuis le début septembre. La fatigue m’a rattrapé. Les nuits trop courtes, les journées trop longues, les notes écrites au kilomètre, les réunions empilées les unes après les autres sans plus trop savoir pourquoi, la volonté de (trop) bien faire, la crainte d’oublier quelque chose, tout cela était devenu mon quotidien. J’étais comme dans un tunnel, travaillant à l’arrache, sans plus rien sentir si ce n’est l’obligation récurrente de « délivrer ». Jusqu’à un sérieux coup de pompe le week-end dernier. Ces quelques jours de repos obligé pour remonter ma tension devenue toute faible s’imposaient. Mes proches le voyaient, moi un peu moins. On n’est jamais le meilleur juge de sa fatigue. Il faut savoir se ménager. Je l’ai parfois dit à d’autres, mais je ne m’étais jamais appliqué ce sain conseil à moi-même. Il n’est jamais trop tard pour le faire. C’est une résolution que je fais mienne désormais, avec quelques semaines d’avance sur la nouvelle année.

Travailler, c’est ce que j’ai toujours aimé et voulu faire, comme salarié, puis comme entrepreneur. J’ai beaucoup souffert de l’inactivité forcée après mon retrait de la vie publique en 2017. Je voyais chacun partir au travail le matin. Je restais seul, avec le souvenir de ma vie professionnelle passée. Les chasseurs de tête que je rencontrais et connaissais parfois depuis longtemps me disaient, certes gentiment, que la probabilité pour un cinquantenaire de renouer avec une carrière d’entreprise n’était pas bien grande. Rien n’était plus terrible pour moi. Je ne me sentais pas vieux – je ne le sens d’ailleurs toujours pas – mais j’étais malgré tout renvoyé à mon âge. Je rentrais chez moi, accablé, à l’issue de ces entretiens. Les candidatures que j’envoyais à des annonces d’emploi ne recevaient que rarement des réponses. J’avais même pensé postuler, un soir de tristesse, comme serveur au café situé tout près de chez nous. Travailler, c’est bien sûr gagner des sous, cotiser pour la retraite et avoir une assurance sociale, mais c’est aussi et d’abord être utile aux siens, agir, entreprendre. C’est ainsi qu’à la fin 2018, las de ne rien trouver, je me suis lancé comme entrepreneur, conseil, enseignant et conférencier. Je suis parti à l’aventure, devenant mon propre patron. J’ai aimé cela et j’ai réussi.

Un jour, alors que je n’y pensais même plus, la vie salariée s’est rappelée à moi. Pour dire les choses en raccourci, on cherchait un vieux, quelqu’un qui aurait vécu, qui pourrait apporter son expérience et son recul pour débrouiller une gouvernance compliquée et mettre les choses d’équerre. Je me suis dit que je pouvais être cette personne-là, ajoutant la sérénité à l’expérience requise. Les choses se sont faites et j’ai repris une activité salariée depuis un an. Je suis convaincu qu’il faut travailler plus longtemps. Je vis en Belgique où le taux d’emploi des 60-64 ans est au même niveau qu’en France (autour de 33%), très en deçà de la Suède (70%), de l’Allemagne (62%) et de la moyenne européenne (42%). Il est urgent de changer cela et de remonter le plus haut possible le taux d’emploi des séniors, qui fléchit dès le milieu de la cinquantaine, alors même qu’il reste une dizaine d’années de vie active à accomplir. C’est un regard différent sur l’expérience professionnelle et l’âge qu’il faut porter. On n’est pas cuit à la cinquantaine, bien au contraire. L’argument de la business continuity pour ne pas engager au-delà de 50 ans est injuste et infondé. Je pense que c’est le mix générationnel qui génère le meilleur partage de l’expérience, la transmission du témoin et la meilleure productivité.

Nos sociétés ne peuvent faire le choix du chômage. Passer par le chômage avant d’aller à la retraite est un traumatisme personnel et une perte économique pour les intéressés eux-mêmes, mais pour la collectivité aussi. Des années de chômage se traduisent par de moindres retraites et un coût d’indemnisation élevé. Il faut absolument inverser cela. En Belgique, l’âge de départ à la retraite a été porté à 67 ans récemment. En France, il le sera vraisemblablement à 65 ans. Comment imaginer et, plus encore, accepter que l’on puisse traverser une décennie de galère pour atteindre cet âge faute de pouvoir travailler ? Je ne crois pas au laisser-faire, à la main invisible du marché du travail, à la seule volonté des entreprises lorsque les préjugés à l’encontre des séniors demeurent si forts. Je pense que la place des séniors dans l’entreprise doit faire l’objet de négociations pour un pacte intergénérationnel. Chez Orange, un accord permet aux séniors de travailler à mi-temps avec une rémunération à 80% et une cotisation retraite à taux plein. De tels accords devraient pouvoir être soutenus par une fiscalité avantageuse. Le maintien dans l’emploi est un enjeu considérable alors que la vie s’allonge et que l’on entre dans la carrière professionnelle plus tard qu’auparavant.

Je serai bientôt l’un de ces séniors de plus de 60 ans. Il ne reste qu’une poignée d’années. J’approche pourtant la vie professionnelle avec la même envie qu’il y a 30 ans, lorsqu’elle a débuté pour moi. J’y vois les mêmes opportunités et les mêmes risques aussi, y compris celui du coup de pompe qui me conduit à cette semaine de repos sous mon toit de Bruxelles et le ciel tout gris de l’hiver qui vient. Dans le calme de mon petit bureau, laissant un livre de côté, j’ai eu envie de confier ces quelques réflexions. Je sais ce que c’est d’avoir plus de 50 ans et de vouloir travailler, j’en ai vécu les interrogations, les épreuves et les peines. J’ai eu de la chance. Tant ne l’ont pas eue, cette même chance. Je mesure également ce que c’est d’être arrivé à ce point de ma vie en bon état, laissant de côté ma fatigue du moment. Cela aussi, ce n’est pas partagé. C’est pour cela que je crois à la nécessité de prendre en compte la pénibilité des tâches dans l’accès à la retraite. Ce n’est pas un regard désabusé, d’abandon ou de rejet qu’il faut porter sur le travail, c’est un regard lucide et ambitieux, rompant avec toutes les idées reçues. Il faut travailler plus et plus longtemps. Il faut travailler mieux aussi (ma résolution) et savoir dire stop lorsque c’est trop. On travaille pour vivre, on ne vit pas pour travailler.

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