
Il y a deux jours, nous avons retrouvé Bruxelles au terme d’un long périple qui aura conduit la famille en Galice, puis en Bretagne. Mes enfants et mon épouse avaient effectué le voyage vers la Galice en avion. Parti quelques semaines après eux, j’ai tout fait en auto. En raison de la crise sanitaire, les vols qui nous permettaient les étés précédents de passer de Galice en Bretagne n’existent plus. J’ai traversé la France, puis l’Espagne verte avant de faire la route inverse vers le Finistère, puis la Belgique. Cela représente du chemin, mais je ne l’ai pas senti vraiment passer. Le besoin de vacances, de partir, de se vider l’esprit après une année aussi difficile était irrésistible. J’ai vu les Pyrénées, longé les côtes de Cantabrie et des Asturies avant d’arriver en Galice. La Galice me touche beaucoup. Le Breton que je suis y retrouve l’océan, mais aussi le monde celtique. C’est une Espagne moins connue, moins classique, surtout en temps estivaux. Il y a dans l’air, sur les côtes, dans les ports et dans les paysages beaucoup de choses qui me rappellent chez moi. Nous sommes allés en famille à Saint-Jacques de Compostelle, là où arrivent les marcheurs après un long, parfois très long périple. Cette aventure vers Saint-Jacques me fascine. J’aimerais un jour y arriver à mon tour, fourbu et heureux, en paix.
Je ne sais pourquoi j’associe depuis toujours les vacances d’été à une symphonie de couleurs et de senteurs. L’hiver belge est certes un peu gris, mais la Belgique ne manque pas de couleurs pourtant. Les vacances sont comme une libération : s’en aller, se ressourcer, lire, se reposer, oublier le quotidien, se retrouver, nous retrouver. Mes souvenirs d’été sont ceux d’une voiture qui file vers le sud, chargée et heureuse, en partance vers un petit coin tranquille et libre. Ils sont aussi ceux des plages et des bords de mer, sous un ciel généreux, entre rires d’enfants, jeux et baignades. L’été doit être simple. Mes enfants sont jeunes. Ils profitent avec bonheur de leurs grands-parents (et les grands-parents profitent beaucoup d’eux aussi). Ils jouent, ils apprennent. Il y a le golf en Galice, la voile en Bretagne. Je suis moins calé en golf qu’en voile. Sur le green, j’essaie de suivre, je suis leur élève. Sur le bord de l’eau, le matin avant de prendre la mer, en début d’après-midi à la descente du bateau, je conseille. Et perché sur un rocher, je filme et photographie les premiers bords, les premiers empannages, les premières galères – cela arrive – et la quasi-entrée de Pablo en Optimist dans le port de Loctudy au milieu des chalutiers la semaine passée. Des tas de clichés à regarder avec nostalgie quand vient l’hiver.
Deux étés ont passé par temps de crise sanitaire. L’esprit libre des étés d’avant m’a manqué, leur légèreté aussi. Entre l’été 2020 et celui-ci, il y a eu le vaccin, mais les distances, la prudence, les gestes barrières et les masques demeurent. Nous avons appris à vivre avec, même en vacances, au point peut-être de ne plus y penser. C’est le plus triste. Quand viendra la fin de la pandémie ? L’état du monde, les crises et les incertitudes sont redoutables. Avec mes enfants, j’ai regardé les Jeux Olympiques, leurs premiers réels JO. Ils ne voyaient que les exploits des athlètes – et c’est tant mieux – quand je voyais d’abord les stades et les tribunes vides de Tokyo. Où était la fête planétaire de l’olympisme, celle que l’on attend si longtemps, celle dont on rêve tous les 4 ans ? Le retour des talibans, le complotisme des antivax, les méga-feux, les tempêtes et les drames du climat ont marqué aussi l’été. Il n’y avait pas dans l’air de l’été 2021 que de l’espérance. Il y avait également de l’inquiétude pour demain. J’y vois un appel au civisme, à la responsabilité, au sens du réel. Dans un an viendra l’été 2022. Cet été d’après dépendra beaucoup de nous, de ce que nous ferons d’ici là. De rendez-vous avec nous-mêmes, de rendez-vous collectifs, de volonté et de sursaut. Et aussi d’élections.
Le matin, à l’Ile-Tudy, j’entendais le bruit des vagues tout près de notre maison. A 7 heures 35, le soleil se levait sur la plage. Je l’ai rarement manqué. Parfois, j’avais en tête encore les pages de livres lues la veille. Assis sur le petit banc face à l’océan ou simplement sur le sable, j’attendais les premières lueurs, avec les oiseaux de mer. Ces instants sont merveilleux. Ces quelques minutes qui voient l’astre s’annoncer à l’horizon valent tant pour la beauté des choses qu’elles révèlent. Je les ai même filmées, avec le mouvement de la mer en écho et les cris de quelques mouettes certainement aussi. La nature, le calme, les livres ont été au cœur de mon été. J’ai eu le bonheur de rencontrer Marie Sizun, dont j’avais lu nombre de romans. Nous avons l’Ile-Tudy en commun. Marie est venue dîner chez nous un soir. Il y a La Maison de Bretagne, primé cette année, mais aussi La gouvernante suédoise, Les sœurs aux yeux bleus et Le père de la petite dont la lecture m’avait bouleversé. Une histoire de famille impressionnante que Marie nous a raconté avec douceur et pudeur, à l’image de son écriture; belle et forte. Rien n’est plus passionnant que d’entendre une femme de lettres parler de son œuvre, de ses écrits, de son histoire, de ce qui conduit un jour à oser écrire pour ne plus s’arrêter.
C’était l’été 2021. Depuis mon petit bureau, sous les toits de Bruxelles, je rassemble maintenant les souvenirs. Il y a les photos, mais pas qu’elles. Je repense à cette soirée passée à l’Ile-Tudy avec les jeunes d’une colonie, à qui mon amie Stéphanie Chevara m’avait demandé de venir parler du climat et de l’environnement. Leur colonie associait le théâtre et la nature. Ils préparaient une pièce de Dario Fo. Nous avons échangé sur la fragilité de ce petit coin où nous nous trouvions, qu’ils apprenaient à découvrir et que Stéphanie et moi connaissons depuis toujours. La nuit tombait doucement sur la ria que nous apercevions par la fenêtre. J’avais une petite voisine à table, âgée de 11 ou 12 ans, qui découvrait la mer pour la première fois. Ce qu’elle m’en disait était tellement émouvant. Au bout de nos échanges, elle s’était endormie, de fatigue et d’émotion sans doute aussi. C’est cette image que je garderai de l’été qui s’achève, quand vient le temps de se dire « à l’année prochaine », cette formule de l’enfance que j’ai conservée. L’année prochaine, c’est dans longtemps, pensais-je alors. L’année prochaine me paraissait si lointaine. Le temps qui passe m’a appris que ce n’est pas si vrai, que l’année prochaine se prépare dès maintenant pour que le futur soit meilleur. Et que l’esprit des vacances dure longtemps.

Alliés ou adversaires ?
Rompre un contrat, c’est toujours moche. Y ajouter le mensonge et la duplicité, c’est encore pire, et a fortiori entre alliés. L’annonce il y a quelques jours par l’Australie de l’abandon du contrat signé en 2019 avec la France sur la vente de 12 sous-marins conventionnels pour une alliance avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni n’est pas seulement une décision commercialement choquante, c’est un camouflet diplomatique d’une grande violence et d’une rare indignité. Cela veut dire que la parole de l’Australie ne vaut rien et que son Premier ministre est un vulgaire menteur. Notre pays a été trompé et abusé. Monsieur Morrison avait été reçu par le Président Emmanuel Macron à Paris en juin dernier. Il n’avait pipé mot. Il y a quelques semaines encore, à la fin août, ses Ministres de la Défense et des Affaires étrangères s’étaient réunis avec leurs homologues français et le programme sous-marin consécutif au contrat de 2019 était à l’agenda des échanges. Eux aussi n’avaient rien dit. Or, l’on sait maintenant que c’est en réalité depuis des mois que le gouvernement australien préparait un partenariat avec les Etats-Unis et les Britanniques, aux termes de laquelle Lockheed Martin fournira des sous-marins désormais nucléaires à la marine australienne. Exit Naval Group, exit la France, exit le « contrat du siècle ».
J’étais encore à l’Assemblée nationale lorsque l’annonce de ce contrat était intervenue. C’était pour notre pays et notre industrie de l’armement une excellente nouvelle. Je m’en étais réjoui. Je savais combien le gouvernement français s’était engagé pour la conquête de cet énorme marché, les investissements et les emplois qu’il y avait derrière cela. Je n’ignore certes rien de la Realpolitik qui existe dans les relations internationales, mais – sans doute vieux jeu – je crois aussi en le respect de la parole donnée et des obligations contractuelles, tout comme au respect que les membres d’une alliance se doivent en toutes circonstances entre eux. Il y a des choses qui ne se font pas. Ce n’est pas simplement l’Australie qui a dupé la France, ce sont aussi et surtout les Etats-Unis. J’avais voulu croire sincèrement que Joe Biden n’offrirait pas seulement un autre visage de son pays, mais aussi une autre politique, attentive à ses alliés et ouverte au multilatéralisme. Il n’en est tristement rien. C’est « America First », à peine ripoliné. Joe Biden a fait le choix d’humilier la France au nom des intérêts américains, assisté d’un Boris Johnson empressé, dont le fumeux slogan de « Global Britain » n’est finalement guère autre chose que d’être à la remorque de Washington par rejet de l’Europe.
Tout cela est bien triste. Peut-on encore parler d’alliance lorsque l’on se comporte de la sorte ? La crise qui secoue la relation franco-américaine depuis ces derniers jours est profonde et inédite. Le Président Emmanuel Macron a eu raison de rappeler nos deux Ambassadeurs aux Etats-Unis et en Australie. La France n’est pas n’importe quel pays. Elle doit être respectée. Ce ne sont pas quelques paroles contrites et dégoulinantes d’hypocrisie qui répareront ce qui a été brisé, à commencer par la confiance. Il y a des dédommagements à obtenir au profit de Naval Group. C’est un contentieux énorme qui s’ouvre dont l’Australie devra payer tout le prix. Et puis il y a l’avenir de la relation transatlantique – en a-t-elle d’ailleurs encore un ? – et in fine la place que l’Europe entend se donner face à l’évolution du monde. Plus que jamais, ce triste épisode souligne pour elle l’urgence de prendre son destin en main. C’est de souveraineté européenne dont il doit être question à Paris, à Berlin, à Bruxelles et ailleurs. Nous n’avons pas à être exclus du jeu par l’affrontement sino-américain dans la zone indo-pacifique. Nous devons nous imposer. L’évolution du monde et ses multiples défis requièrent une Europe puissance, y compris et surtout dans cette zone où tant se joue, pour y défendre nos intérêts et nos idéaux.
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