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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

Ce que le 49.3 dit de nous


Hier soir, l’Assemblée nationale a rejeté les deux motions de censure présentées par les oppositions à la suite du recours à l’article 49.3 de la Constitution par le gouvernement sur le projet de réforme des retraites. A vrai dire, il n’y avait pas grand suspense. La majorité parlementaire est large et solide. Comme le prévoit la Constitution, le projet de loi a été adopté sans vote. La prochaine étape sera la première lecture au Sénat, prévue dans quelques semaines. Je suis favorable à l’instauration d’un système universel de retraite à points par répartition, mais le scénario des derniers jours, comme également celui des derniers mois, me laisse cependant un sentiment de gâchis. Ce qui aurait pu et dû être présenté comme un réel progrès, une vraie garantie pour nombre de Français ne l’a pas été. C’est un tort pour un projet d’une telle ampleur. C’est aussi un enseignement dont il faut vouloir prendre toute la mesure pour l’avenir.

Fallait-il recourir à l’article 49.3 ? Oui, dès lors qu’une trentaine de députés insoumis et communistes avaient décidé de déposer des dizaines de milliers d’amendements inutiles dans une perspective revendiquée d’obstruction parlementaire. L’obstruction est inacceptable et doit être combattue. Ce n’était pas détourner l’article 49.3 que d’y faire appel dans ces circonstances. Cela s’est déjà pratiqué par le passé. Le recours à l’article 49.3 permettait aussi de rester dans les clous du calendrier gouvernemental d’adoption de la réforme d’ici à l’été prochain. Mais rien à vrai dire ne justifiait un calendrier aussi serré pour un texte dont l’application n’interviendra que dans plusieurs années. Il n’est pas sain de débattre sans raison en procédure législative accélérée. Car le danger de légiférer dans la hâte et sous pression, c’est de travailler sur un projet imparfait, incertain juridiquement et à l’étude d’impact allusive. Et c’est de s’exposer au risque d’obstruction.

Que dit de nous ce 49.3 ? Que nous, Français, ne sommes guère capables de construire ensemble une réforme structurante pour les décennies à venir. La réussite d’une réforme requiert son appropriation par la majorité des Français. A l’évidence, nous n’y sommes pas. Trop de verticalité, trop de technocratie, trop de défiance de l’exécutif à l’égard de l’institution parlementaire et de la démocratie sociale, alors même qu’il faudrait travailler avec l’une et l’autre pour réussir la réforme. Trop de conservatisme aussi, avec pour de nombreuses organisations la défense du statu quo comme ultime horizon, par crainte ou par calcul. C’est là que la pédagogie et le dialogue au service du changement font cruellement défaut. L’affrontement, l’invective et la haine l’emportent, trouvant sur les réseaux sociaux un écho maximal. Il s’y dit même que le gouvernement et le Parlement seraient illégitimes à proposer une réforme dès lors qu’elle serait contestée.

J’espère que le système universel de retraite à points par répartition verra le jour. Je souhaite que le débat à venir au Sénat, où l’article 49.3 ne s’applique pas, puisse redonner du lustre à l’échange parlementaire malmené et permette, par un travail attentif, d’étudier les amendements constructifs d’où qu’ils viennent pour leur faire place autant que possible. Il en est de même de la négociation entre partenaires sociaux sur le financement du nouveau système. La responsabilité est collective. Le débat doit apporter toutes les informations nécessaires, poser les différences et permettre éventuellement de les réconcilier. Au printemps 2017, le candidat Emmanuel Macron avait fait campagne, puis gagné l’élection présidentielle avec quelques idées neuves, parmi lesquelles figuraient la bienveillance et la pédagogie dans l’action. Cette dimension-là s’est perdue et il faut en retrouver l’esprit pour l’avenir de la société française.

Toute réforme, celle-ci ou une autre, a besoin d’une démocratie parlementaire forte. Or, on ne peut faire abstraction du sentiment croissant qu’ont les Français de ne pas être suffisamment représentés. Juste ou injuste, ce sentiment est réel et il faut y apporter réponse. Le Parlement doit être réhabilité et même réinventé. La priorité n’est pas de réduire le nombre d’élus, députés et sénateurs, mais de leur donner les moyens d’agir, tant dans la fabrique de la loi que le contrôle de son application. Il faut pouvoir revenir sur l’organisation des élections législatives après l’élection présidentielle, qui a renforcé l’assujettissement du Parlement à l’exécutif. Il faut aussi une évolution du mode de scrutin qui permette une meilleure représentation des forces politiques en proportion des votes obtenus avec un bonus en sièges à celle de ces forces arrivée en tête. La reconquête de la souveraineté parlementaire est l’une des réponses à la crise de notre démocratie.

Il y a une dizaine d’années, un étrange débat avait traversé la vie des idées sur la pertinence de la démocratie participative. On l’opposait volontiers à la démocratie parlementaire. L’une comme l’autre sont nécessaires et n’entrent pas en collision. Mieux, elles se complètent. La démocratie participative est une condition du vivre ensemble. Se sentir représenté, c’est pouvoir utilement se faire entendre. La Convention citoyenne sur le climat qui prendra fin bientôt en offre un bel exemple. Il faudra le multiplier, nationalement et localement, par une évolution de l’organisation du débat public en France. Libérer la parole et favoriser l’échange est dans l’intérêt de la fonction parlementaire et de l’action gouvernementale. C’est aussi ce qu’il faut pour refaire société et retrouver la force de l’aventure collective. C’est tout cela finalement que le 49.3 dit de nous, par-delà les colères : les passions peuvent rassembler et écrire l’avenir.

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Mes années Plogoff

Merci à mon ami Benoît Gervais, breton d’Autriche, luthier à Vienne, de m’avoir offert il y a quelques années ce bel album sur le combat de Plogoff

Il y a quelques jours, j’ai fouillé fébrilement dans mes cartons de souvenirs dans l’espoir de retrouver une photo du début 1980, de l’atmosphère, des visages de l’époque. J’étais en classe de seconde au Lycée Brizeux à Quimper et je m’apprêtais à participer à mes premières manifestations. J’avais 15 ans et circulais sur une superbe motocyclette 51 Super Motobécane. A l’arrière de la Fiat 127 de ma maman, j’avais fièrement apposé un autocollant jaune et rouge disant en breton : « Nukleel ? Nann Trugarez » (en français, « le nucléaire, non merci »). Quelques mois plus tard, un second autocollant à la gloire de Solidarnosc et de la liberté en Pologne viendrait le rejoindre. Je souris en repensant à ces moments. C’était il y a 40 ans. Tant de temps a passé depuis. Il y avait l’insouciance de la jeunesse, une bonne part d’idéalisme aussi. Ce furent pour moi des années d’éveil, justes et belles, dont je mesure avec le recul qu’elles furent également fondatrices. Je n’ai pas (encore) retrouvé les photos, mais je me suis dit que je pouvais quand même raconter l’histoire car elle en vaut la peine.

Dans les années 1970, le gouvernement français avait lancé un vaste programme de construction de réacteurs nucléaires. La pointe de la Bretagne figurait parmi les régions concernées par l’installation d’une centrale. La région manquait (et manque toujours) de lieux de production électrique. EDF avait retenu 4 sites de construction d’une centrale nucléaire dans le Finistère (Guimaëc, Ploumoguer, Plogoff, Tréguennec) et un site dans le Morbihan (Erdeven). Rapidement, le choix se porta sur la pointe de Feunteun-Aod à Plogoff, à quelques encablures de la Pointe du Raz. EDF et l’Etat imaginaient que l’affaire se ferait sans difficulté. Ce fut leur erreur. Le nucléaire faisait déjà peur, notamment depuis l’accident de Three Mile Island aux Etats-Unis en 1979. Et l’idée de sacrifier à jamais un site aussi emblématique et magique que la Pointe du Raz apparaissait comme une folie aux Bretons et à tous ceux qui avaient la nature à cœur. C’est cette perspective de perdre la Pointe du Raz qui me révulsait alors, plus qu’un choix sur une énergie à laquelle je ne comprenais pas encore grand-chose.

A Plogoff se monta un comité de défense à l’initiative du maire Jean-Marie Kerloc’h. Agitation locale, pensait le gouvernement. Pas du tout. Rapidement, d’immenses manifestations sur le site de la future centrale et à Quimper furent organisées. La décision fut prise par le maire de Plogoff de ne pas permettre l’organisation de l’enquête d’utilité publique dans les locaux de la mairie, forçant l’Etat à l’organiser dans de petites fourgonnettes tenant lieu de mairie annexe, stationnées à l’entrée de Plogoff et protégées par des rangées serrées de gendarmes mobiles. C’était en février 1980. Chaque soir, durant 6 semaines, des affrontements avaient lieu au départ des fourgonnettes. Des pierres et des frondes d’un côté (et parfois aussi quelques boulons et cocktails Molotov), des grenades à effet de souffle de l’autre. Et bien sûr des arrestations, conduisant à des comparutions devant le tribunal de Quimper, tout près de mon lycée. C’est comme cela que je me retrouvai avec des tas d’amis à sécher les cours pour protester bruyamment face aux colonnes du tribunal.

Ce combat pour l’intégrité de la Pointe du Raz et contre le nucléaire n’épousait pas le spectre gauche-droite. L’écologie politique était balbutiante et si elle se prononçait farouchement contre la centrale, la mobilisation n’était pas encore totalement de son fait. Les pro-nucléaires étaient la droite et le centre – nous étions sous Giscard – au pouvoir à Paris, mais aussi le Parti communiste et, discrètement, une part du Parti socialiste. Les anti-nucléaires étaient les écologistes, les socialistes bretons et une extrême-gauche remuante, parfois portée sur des méthodes musclées. La violence me faisait horreur. Nous étions, nous les lycéens, très baba cool et volontiers « peace and love ». Me connaissant bien, mon père ne se faisait pas grand souci, mais me recommandait cependant d’essayer, pour reprendre ses mots, de ne pas me faire coffrer en criant trop fort face au tribunal. Je n’eus jamais à faire avec les forces de l’ordre. Mes souvenirs sont ceux de chants, de slogans potaches et aussi de bonnes courses, ventre à terre, lorsque pleuvaient les projectiles, d’un côté ou de l’autre.

Vint l’élection présidentielle de 1981. Sur les gouttières et les poteaux de signalisation de Quimper, je collais de petits autocollants « Avec François Mitterrand ». Pas encore l’âge de voter, mais l’espoir que le candidat, dont on espérait qu’il entendrait le message de Plogoff, promette de ne pas construire la centrale nucléaire. Ce fut fait au début du mois d’avril 1981, juste avant un meeting à Brest auquel je participai. « Plogoff ne figure ni ne figurera dans mon plan nucléaire », affirma-t-il. Le 10 mai 1981, François Mitterrand, que nous appelions « Fanch Mitt » au lycée, était élu Président de la République. Le 3 juin 1981, un communiqué du nouveau gouvernement confirmait l’abandon de la construction de la centrale nucléaire à Plogoff. Quelques semaines après, une fête de la victoire fut organisée sur le site, sorte de Woodstock breton, joyeux et généreux. Le rideau pouvait tomber et les souvenirs fleurir. La mobilisation avait payé, l’Etat avait reculé. A Plogoff, … mais pas ailleurs. Car les années 1980 virent le déploiement du parc nucléaire français dans sa configuration d’aujourd’hui.

Que reste-t-il des années Plogoff ? Il reste une Pointe du Raz sublime, le bâtiment désormais abandonné de la bergerie alternative construite au pic de la mobilisation sur le site de Feunteun-Aod, un lieu dont la beauté coupe le souffle. Il reste aussi un magnifique et émouvant documentaire des cinéastes Nicole et Félix Le Garrec, Plogoff : des pierres contre des fusils, récemment restauré. Et il reste une énergie, l’énergie nucléaire, que l’évolution du monde depuis lors oblige à regarder différemment. Il n’était pas question alors de réchauffement climatique et de transition énergétique. Nous ne savions pas que cette crise viendrait. Aujourd’hui, elle est là et elle est grave. Est-ce que j’aime l’énergie nucléaire, que j’ai appris à comprendre ? Non. Est-ce que je souhaite voir sa part reculer dans le bouquet énergétique français et mondial ? Oui. Mais je sais aujourd’hui que c’est d’abord aux énergies fossiles qu’il faut s’attaquer si l’on veut préserver notre planète du désastre climatique et la préserver pour les générations futures.

J’ai désormais 40 ans de plus que mes 15 ans de 1980. Mes cheveux longs sont rangés au rayon des souvenirs, la motocyclette 51 Super aussi. J’ai conservé l’idéal de mes jeunes années et la vie y a ajouté le réalisme. De mes années Plogoff, je garde la conviction qu’une belle, grande et généreuse mobilisation peut faire beaucoup, que rien n’est jamais perdu. Je garde aussi une passion pour la Bretagne, ma région natale et d’enfance, dont la beauté et les enthousiasmes me serrent les tripes à chaque fois que j’y pense et que j’y reviens. Aujourd’hui, ironie de l’histoire, je la sillonne, parlant d’énergies renouvelables, de projets citoyens et d’écologie, d’investissements et d’aménagement des territoires. Je rencontre des volontés, des gens extraordinaires. Cela fait chaud au cœur. Convaincre, écouter, entendre, unir, agir, voilà ce que j’essaie de défendre et de porter. Entre les réunions, sur les petites routes, je trouve toujours un moment pour filer à quelques kilomètres humer l’air de l’océan et du pays, face à la mer d’Iroise et aux îles. Et c’est parfois à Plogoff, là finalement où tant a commencé.

Il fallait bien montrer l’autocollant mythique pour conclure !
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Les leçons d’un fiasco

Comme nombre de Français, les débats et le vote la semaine passée à l’Assemblée nationale sur la proposition de loi relative à l’allongement des congés des parents endeuillés par la perte d’un enfant m’ont affligé. Ce n’est pas seulement une erreur qu’ont commis le gouvernement et la majorité en s’opposant à la proposition du député UDI Guy Bricout, c’est une lourde faute. Cette proposition aurait dû être saluée et votée à l’unanimité. Il n’existe rien de pire pour des parents que la perte d’un enfant, chacun le comprend. La maladie, les accidents, les drames laissent chaque année des milliers de familles dans une douleur infinie. Là où il aurait fallu se rassembler, la joute partisane est parvenue à se glisser, conduisant à des propos d’une insigne maladresse, à des arguments incompréhensibles et à un vote final atterrant. Qu’a-t-il manqué pour que l’on en arrive là ? Il a manqué le sens commun, le lien avec la vraie vie, la volonté d’élever le débat et d’écouter humblement, humainement notre société, ses failles et ses souffrances.

La politique crève d’être désincarnée, sèche, sans émotion. De ce point de vue, le nouveau monde ressemble tristement à l’ancien, tout simplement parce qu’il n’en existe qu’un seul. J’entends que le gouvernement souhaite au plus vite rouvrir le débat, conscient a posteriori de son échec et de l’image désastreuse laissée la semaine passée. Tant mieux. Il faut saluer l’expression généreuse hier à l’Assemblée nationale de Guy Bricout, désireux d’écarter la polémique et de parvenir à un juste résultat. Il n’est pas trop tard pour agir et pour enrichir la proposition de loi dans un sens qui permette à la solidarité nationale, au-delà des entreprises, de contribuer. C’est ce que la Ministre Muriel Pénicaut exprimait au banc du gouvernement jeudi dernier … pour demander le rejet du texte. Pourquoi n’avait-elle pas tenté, dès la présentation de la proposition de loi, d’agir en ce sens avec son premier signataire, puis avec tous les groupes parlementaires ? Et si un accord est possible demain, ce dont je ne doute pas, pourquoi était-il inenvisageable avant ?

Ce qui s’est passé la semaine passée est in fine le reflet de l’archaïsme du jeu parlementaire français. Que le monde soit nouveau ou ancien, la majorité a toujours raison et l’opposition toujours tort. J’ai connu cela. Il faut bloquer par principe les propositions de loi portées par l’opposition, quand bien même elles feraient sens et pourraient prendre, par un travail commun, une grande valeur. Ce sectarisme récurrent ruine la qualité du travail législatif et sa perception par la société, au point de nourrir chez les parlementaires de l’opposition, mais aussi chez ceux de la majorité le rude sentiment de ne servir à rien. J’ai connu cela aussi. Les niches parlementaires, ces trop rares plages qui permettent aux groupes parlementaires de présenter des propositions de loi, devraient être des moments passionnants de construction législative. C’est malheureusement l’inverse. Des travaux en commission jusqu’aux débats dans l’Hémicycle, ce n’est que trop rarement que l’on marche les uns vers les autres, les uns avec les autres.

La discipline de groupe a du sens dans la vie parlementaire, mais elle ne saurait priver les députés de leur libre-arbitre et du courage de l’exercer. Il faut savoir oser lorsque l’on n’est pas d’accord. Sans doute n’est-ce pas la meilleure manière de se rendre populaire au sein de son groupe, mais c’est aussi le moyen de rester soi-même. Je me souviens d’avoir été tricard au sein du groupe socialiste pendant près de deux ans pour avoir lutté contre la suppression des classes bi-langues et des sections européennes dans le cadre de la réforme du collège. J’avais publié dans la presse un appel signé par 60 députés, depuis Les Républicains jusqu’aux communistes, franchissant une ligne avec cette coalition inattendue et contre-nature. Un collègue m’avait lancé en public : « quand vas-tu arrêter de travailler avec la droite ? ». Dans un débat budgétaire, j’avais voté avec 3 députés de mon groupe contre l’assujettissement au RSI des personnes louant leur maison via AirB&B, entraînant son rejet pour 2 voix. Le lendemain, mes collègues expliquaient avoir voulu voter pour…

Ce ne sont là que quelques anecdotes. Ces moments d’humeur et de sincérité existent. Ce qui est important, c’est de vouloir changer d’état d’esprit et d’y parvenir. La majorité et l’opposition doivent travailler ensemble, dans le respect de leurs différences et plus encore dans celui des attentes des Français. Le jeu de rôle partisan est un poison pour la vie démocratique. La fabrique de la loi peut, par-delà la légitime confrontation des idées, être marquée de bienveillance et de volonté commune d’agir. C’est à une évolution de la culture politique de notre pays qu’il s’agit d’appeler et de travailler. Cette évolution porte loin et appelle aussi le respect des rythmes législatifs et du bicamérisme là où trop souvent, voire même systématiquement désormais, l’on agit en procédure accélérée avec des études d’impact de médiocre niveau et des projets de loi de qualité juridique inégale. En 2017, l’espoir d’agir différemment s’était fait jour. Il n’est pas trop tard pour en retrouver l’esprit et la volonté, à condition d’apprendre des erreurs commises.

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Bye Bye Britain

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Ce soir, le Royaume-Uni quittera l’Union européenne. C’est un triste jour pour ce grand pays, c’est un triste jour pour l’Europe aussi. Pour la première fois, l’Union européenne perd un Etat membre. Le projet européen voulait que l’on additionne des Etats, pas qu’on en soustraie. C’est pourtant ce qui se passera ce vendredi 31 janvier 2020 sur le coup de minuit. Il faut vouloir parler d’échec, d’échec de l’Union, d’échec de ceux qui l’on fait, de ce qui y ont cru et y croient encore. Lorsque l’Europe se construit loin du citoyen, qu’elle n’entend pas assez, qu’elle ne protège pas assez, la démagogie et les mensonges peuvent alors prospérer librement sans risquer une contradiction efficace. Ce fut le cas en juin 2016 au Royaume-Uni. En donnant à Boris Johnson une large majorité absolue à la Chambre des Communes en décembre 2019, le peuple britannique a confirmé son choix de 2016, qu’il s’agit désormais, au-delà de la peine et des regrets, de respecter.

Demain sera un autre jour. Il reste à définir ce que sera la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Le défi est immense. Les règles du marché unique resteront en vigueur au Royaume-Uni jusqu’au 31 décembre de cette année, pas au-delà. Ce qui implique que britanniques et européens négocient à marche forcée un cadre pour l’avenir, faute de quoi s’appliqueront les règles de l’Organisation mondiale du commerce avec droits de douane et quotas à compter du 1er janvier 2021. L’impact sur l’activité économique d’un tel scénario serait désastreux, en particulier pour le Royaume-Uni dont près de 50% des exportations de biens ont l’Union européenne pour destination. Il serait question d’une perte de 5,5% de PIB sur le long terme. Pourtant, certains milieux proches de Boris Johnson poussent pour la rupture complète et la transformation du Royaume-Uni en un Singapour européen à coups de dumping fiscal, social et environnemental.

L’Union européenne ne peut se permettre d’avoir un adversaire à ses portes. Et s’il est une leçon à retenir du Brexit, c’est l’urgence de protéger les Européens et de leur en apporter la preuve. Des millions d’emplois seraient en jeu chez nous si les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne venaient à échouer. Il s’agit de tenir bon sur l’intégrité du marché unique, qui reste l’atout politique et commercial de l’Union à l’échelle du monde. Cet objectif doit être la priorité du mandat de négociation que les 27 Etats membres donneront à Michel Barnier prochainement. Le temps n’est plus d’être naïf ou timide, surtout quand personne ne l’est en face, d’autant que le gouvernement britannique entend négocier en parallèle des accords commerciaux avec les Etats-Unis, le Japon, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce qui exclut de fait toute solution de type norvégienne (accès au marché unique et contribution au budget de l’Union) ou turque (union douanière).

La vérité est cependant qu’à ce stade, le Royaume-Uni a plus à perdre que l’Union européenne, quoi qu’en dise Boris Johnson. Jamais un accord commercial avec d’autres régions du monde, fut-il majeur, ne compenserait avant longtemps les conséquences à court terme d’une rupture totale avec l’Union. Les régions industrielles de la vieille Angleterre, qui avaient plébiscité le Brexit en juin 2016 et apporté leurs voix aux conservateurs en décembre dernier, seraient les premières à subir par un chômage de masse l’introduction de quotas et de droits de douane. Cela, Boris Johnson le sait mieux que quiconque. Pour cette raison, il est probable qu’il tende in fine au compromis, quitte à payer pour conserver l’accès au marché unique (et à fâcher ainsi certains de ses amis politiques), peut-être dans une forme de scénario identique à la relation entre l’Union européenne et la Suisse reposant sur la libre circulation des marchandises, mais pas des services.

Un échec peut aussi être source de sursaut et d’opportunités. L’Union européenne est une machine bureaucratique complexe et lente. Un partenaire flexible et rapide peut la mettre en difficulté, prendre un temps d’avance sur elle, plus encore parce qu’il en connaîtrait mieux que quiconque les contraintes et les failles. C’est ce que le Royaume-Uni peut être tenté de faire dans les négociations et une fois la relation future posée, notamment dans le cadre de la convergence nécessaire liée à son accès au marché unique. Non seulement l’Union ne pourrait prendre ce risque, mais elle serait inspirée de l’anticiper en se réformant. C’est là que le Brexit peut être pour elle une opportunité car la nécessité d’agir pour se protéger se ferait grande. Il est temps, et ce doit être l’objectif des 27 Etats membres, de reposer la question des objectifs, des moyens et des règles de l’Union européenne pour poursuivre au service des européens et avec eux la belle et grande aventure de l’intégration.

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