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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

Permettre le vote anticipé à toutes les élections


Matériel de vote anticipé pour les élections de juillet 2020 au Parlement de Galice

Les élections régionales et départementales devaient avoir lieu en France en mars 2021. En raison de la pandémie, elles seront finalement repoussées au mois de juin 2021, le gouvernement ayant choisi de suivre la recommandation faite en ce sens par l’ancien Président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré et de présenter au vote du Parlement un projet de loi qui la mette en œuvre. C’est la décision la plus juste, le précédent des élections municipales de mars dernier ayant montré combien le contexte de crise sanitaire pouvait alimenter dramatiquement l’abstention. Or, la participation électorale est une donnée importante, critique même. Les enjeux des élections régionales et départementales sont conséquents pour l’avenir de nos territoires. La légitimité des assemblées et des exécutifs qui seront mis en place l’est également. Plus la participation sera forte, mieux ce sera et s’il faut pour cela patienter 3 mois de plus, faisons-le. Une campagne doit pouvoir avoir lieu qui permette à chacun des projets de se confronter. Le scrutin doit pouvoir être organisé sereinement selon un compte à rebours qui donne confiance aux électeurs et aux candidats.

Il n’en reste pas moins que le report de ces élections interroge plus largement pour l’avenir sur l’exercice de la démocratie en situation de crise. On ne peut confiner l’expression du suffrage et la réponse ne peut être systématiquement le renvoi des élections à une date ultérieure lorsque survient une difficulté importante. La prolongation par la loi d’un mandat en cours d’exécution relève toujours de l’anomalie démocratique et cela doit le rester. Le mérite de ce débat sur le renvoi des élections régionales et départementales à juin 2021 aura été d’ouvrir une autre réflexion, celle-ci consacrée au vote par correspondance ou, terme plus ajusté, au vote anticipé. Il faut s’en réjouir. Si je comprends que la mise en place d’un vote anticipé pour les élections de mars prochain aurait été matériellement redoutable à organiser à une poignée de mois de distance seulement, je comprends beaucoup moins en revanche les propos péremptoires ou définitifs à l’égard du principe même du vote anticipé. Ils ne me convainquent pas. Des Etats de grande tradition démocratique ont su instaurer avec succès le vote anticipé, pourquoi donc la France ne le pourrait-elle pas ?

Tout repose sur la sécurisation du vote anticipé et sur la simplicité de ce mode d’expression du suffrage dans le regard de l’électeur. Il n’y a pas de fatalité à ce que la solution relève de l’usine à gaz ou de la fraude à grande échelle. Convoquer depuis 50 ans les mêmes histoires recuites de votes étranges survenus en Corse ou ailleurs pour condamner par principe le vote anticipé n’est plus acceptable. Le droit électoral français est corseté par toute une série de totems, pour certains antédiluviens, devenus in fine préjudiciables pour la participation électorale. Le monde a changé et les méthodes de campagne électorale avec lui. Songeons par exemple à ce que l’apparition des réseaux sociaux a pu apporter à la mobilisation politique ces dix dernières années. Dans ce contexte et pour de multiples raisons, les électeurs français d’aujourd’hui sont certainement plus prêts à considérer un vote anticipé que ne l’étaient les électeurs d’il y a une ou deux générations. Et si le rendez-vous électoral d’un dimanche doit rester la base, l’expression du suffrage avant ce même dimanche doit pouvoir aussi être une possibilité pour les électeurs qui le souhaitent, sans avoir à en justifier les raisons.

La récente élection présidentielle américaine a mis en lumière la valeur du vote anticipé. La plus grande participation électorale de l’histoire des Etats-Unis a reposé, entre autres, sur l’utilisation massive du vote anticipé par des électeurs que le contexte de crise sanitaire dissuadait d’aller jusqu’au bureau de vote le mardi 3 novembre et qui ne l’auraient sans doute pas fait malgré tout leur intérêt pour le scrutin. N’en déplaise à Donald Trump, aucun de ces suffrages n’a été annulé à ce jour, les experts électoraux saluant même à l’inverse les élections les plus sûres de l’histoire américaine. Prenons exemple également du vote anticipé pratiqué en Allemagne depuis plus de 60 ans. Lorsque le Chancelier Gerhard Schröder l’avait emporté au finish de 6 000 voix sur tout le pays contre son concurrent Edmund Stoiber en 2002, personne n’était venu affirmer que cette très faible avance était illégitime parce que le vote anticipé y avait contribué. Aux dernières élections au Bundestag en 2017, ce sont près de 30% des électeurs allemands qui avaient voté par anticipation, un chiffre chaque fois plus élevé, preuve de la confiance qu’ils accordent à ce mode d’expression du suffrage.

Mon épouse espagnole vote depuis l’étranger aux élections dans son pays. Elle reçoit à la maison le matériel électoral, les enveloppes à code barre et les bulletins de vote. Elle fait son choix, glisse les enveloppes les unes dans les autres et renvoie le tout à l’Ambassade d’Espagne, qui fera parvenir les enveloppes vers le bureau de vote concerné en Espagne. Le système est sûr et compréhensible. Il concerne les Espagnols de l’étranger, mais aussi et surtout les Espagnols en Espagne. Comment y avoir recours ? En introduisant simplement une demande de vote anticipé auprès des autorités compétentes. Ce moyen de vote permet d’écarter les barrières de toute sorte, qu’elles soient géographiques, générationnelles, technologiques ou sanitaires. Tout citoyen qui veut voter le peut concrètement. Il existe ainsi une richesse d’exemples chez nombre de pays partenaires dont la France aurait mérite à s’inspirer pour un exercice sain de «benchmark » électoral. Cet exercice est nécessaire et il serait heureux que la représentation nationale ose s’en charger, fusse au grand déplaisir du Ministère de l’Intérieur. Sur un tel sujet, c’est au Parlement de prendre ses responsabilités.

Ne rien rejeter, ne rien copier non plus, imaginer en tout état de cause le possible, tel doit être l’objectif. Des difficultés objectives peuvent exister, moins tant par le risque de fraude – l’électeur français ne peut être présumé tricheur – que parce que nos modes de scrutin majoritaire, uninominaux et plurinominaux, reposent sur deux tours séparés par une semaine seulement, à l’exception de l’élection présidentielle. Sans remettre en cause ces modes de scrutin, il pourrait être possible d’allonger à deux semaines de distance l’écart entre les deux tours, à l’instar de l’élection présidentielle, ce qui autoriserait plus facilement l’organisation d’un vote anticipé qu’un délai d’une semaine rendant en effet aléatoire l’acheminement en temps utile du matériel de vote auprès des électeurs qui en auraient fait la demande. Je regrette que le rapport Debré tire un enseignement général de la difficulté du vote par correspondance postale autorisé exceptionnellement pour les élections législatives des Français de l’étranger. Ces difficultés s’expliquent dans un contexte particulier, auquel des garde-fous auraient permis au demeurant de répondre.

Notre vie démocratique doit s’adapter aux risques et opportunités de notre temps et rechercher toujours la participation électorale la plus élevée. Voter est un devoir civique. C’est un exercice dont il faut rappeler l’importance et la solennité aussi. Il n’est pas anodin. Tant de citoyens ont donné leur vie pour pouvoir conquérir le droit de vote. Et tant de citoyens d’aujourd’hui, de ce début de XXIème siècle, ne l’ont toujours pas, vivant sous le joug de régimes autoritaires, où leurs droits sont piétinés et leurs libertés ignorées. Les élections sont importantes. Redonner foi en l’exercice du suffrage commence par faciliter la participation. Chaque voix compte, chaque voix doit être sécurisée. Le vote anticipé est une manière simple de prendre part au rendez-vous d’un pays, d’une région ou d’une commune, au rendez-vous d’un destin. J’espère que le débat qui s’est ouvert à la faveur du renvoi des élections régionales et départementales à juin 2021 ne s’éteindra pas et que la proposition d’introduction du vote anticipé en France figurera au programme des candidats aux rendez-vous électoraux du printemps 2022. Il le faut.

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Le temps qui reste

Il y a quelques jours, face à la mer sur la côte bigoudène, j’ai soufflé les bougies sur le gâteau d’anniversaire préparé par mes enfants. L’instant était heureux et leur attention aussi. La période que nous traversons depuis des mois est suffisamment inquiétante pour que ces petits moments de bonheur soient vécus pleinement. J’ai adoré. Le ciel menaçant s’était déchiré, laissant entrevoir un beau soleil d’automne. Nous étions confinés, seuls avec l’océan et les mouettes. A quelques mètres de nous, la plage attendait nos pelles et nos seaux pour le château de sable. Mon gâteau avait beaucoup de bougies. La vérité est que les années filent. Se retourner donne parfois le vertige. Il m’arrive de me dire que tout a passé si vite. J’ai l’impression que tant de choses et de souvenirs ne sont pas si lointains. Le temps, pourtant, est là pour me démentir. C’est le fil de la vie. Au panthéon de ma mémoire, les jours heureux s’imposent et avec eux le sourire et les rires. La tristesse et les regrets vont à ceux des miens qui ne sont plus. Parfois, je les revois au détour d’un rêve. Ils ne sont pas loin. Si la machine à remonter le temps existait, j’aimerais faire un saut de temps à autre pour les retrouver, emmenant avec moi mes enfants pour qu’ils fassent connaissance. Mais comme elle n’existe pas, je leur raconte mon histoire, mes histoires. Et un jour peut-être le feront-ils à leur tour.

En 1969, John Denver chantait “Today is the first day of the rest of my life”. Et il ajoutait juste après: “I wake as a child to see the world begin”. La chanson a largement vécu, mais ses paroles demeurent justes et universelles. Chaque jour est un nouveau départ. Et le temps qui reste est à vivre pleinement pour soi, pour les siens, pour les projets que l’on nourrit, pour les passions et les causes, les idées et les rêves. Je conserve en moi la vocation de l’intérêt général. Eloigné de l’action publique, je la vis aujourd’hui différemment d’avant. Les cours de droit que j’anime sont un dialogue avec la nouvelle génération autour des périls de notre temps, entre crise climatique et pandémie. Le tableau est sombre et je mesure souvent, au détour d’une phrase, l’inquiétude, l’angoisse ou la peur taraudante de ces jeunes face à l’avenir. Que reste-t-il de l’idée de progrès ? Ces moments me touchent, me déstabilisent parfois, me motivent toujours. Je m’efforce de restituer la valeur du droit et de la liberté, le sens de la justice et plus que tout la force de l’engagement. Je crois en la société. Nous ne sommes pas qu’une collection d’individus, plus ou moins généreux, plus ou moins altruistes. Nous sommes d’abord faits d’émotions et de convictions, qui peuvent (et doivent) trouver par les mobilisations une expression, un chemin et une réalisation.

L’une des choses qui me frappent le plus ces dernières années est l’idée de plus en plus répandue de ne compter pour rien, de n’être qu’un pion parmi d’autres, de n’avoir aucun droit, d’être condamné à subir. Toute la crise de la démocratie est ici résumée. Cette idée nourrit le désenchantement, à moins qu’elle n’en procède aussi. C’est sur ce terreau que prospèrent les complotismes en tout genre et les populismes, à droite comme à gauche. On ne peut balayer cette souffrance d’un revers de main en prétendant qu’elle n’existerait pas. Elle est là, elle est un flot montant. La démocratie ne se résume pas à l’organisation d’élections, elle doit reposer sur un dialogue sincère et fécond entre les citoyens, sur le respect que l’on se doit à chacun. Et ce respect, c’est écouter l’autre, valoriser sa parole, construire le consensus et la volonté d’aller de l’avant ensemble. Demain, dans ce temps qu’il me reste, j’aimerais travailler à cela, sur la pertinence et l’efficacité du débat public. Je suis attaché au droit de savoir (« the right to know »), à la concertation active, à l’association utile et fédératrice de chacun à la décision publique. Je crois en la pertinence des enquêtes publiques et des projets citoyens, non pour contester une quelconque autorité, mais pour en éclairer les choix, les amender ou les compléter et en asseoir finalement la légitimité.

La défense des droits est un autre combat, qui s’inscrit aussi dans la défense de la démocratie malmenée. Défendre les droits, c’est lutter contre l’arbitraire, les atteintes à la séparation des pouvoirs, les injustices, toutes les injustices, petites et grandes. Rien ne sape davantage la confiance en la démocratie que le sentiment de ne pas être défendu, d’être laissé seul avec ses difficultés, sa souffrance ou sa rage. Toute personne doit pouvoir être soutenue, aidée, considérée. J’agissais ainsi lorsque j’étais député. Ce devoir m’habite toujours. Un travail immense doit être conduit pour un accès facilité à la justice et contre la lenteur décourageante de celle-ci. J’admire le travail des avocats. Sans eux, il n’y aurait pas d’Etat de droit. Sans les journalistes, les lanceurs d’alerte et les militants des droits non plus. Et c’est précisément pour cela que la tentation d’en limiter l’action, si ce n’est parfois de les réduire au silence existe, parce que les contre-pouvoirs dérangent. Combien d’avocats et de journalistes, jusque dans des pays proches de nous par la géographie, ont-ils connu la détention, les menaces, l’intimidation, la violence ? Beaucoup, malheureusement. Les défenseurs des droits sont précieux. Il faut les protéger et conforter leur action, parce qu’ils sont les vigies actives de notre démocratie dans un monde incertain. Cette cause-là est essentielle, également.

Cela en fait des défis pour le temps qui reste. Il faut souhaiter qu’il soit long. Et aussi qu’il fasse de la place aux petits bonheurs personnels, aux rêves d’enfant, aux projets simples ou un peu fous. Je n’ai plus trop envie de traverser la Manche en pédalo, une idée de mes jeunes années… Ce ne serait guère raisonnable comme père de famille ! Mais tant d’autres choses me tentent que j’aimerais réaliser. Je voudrais retrouver l’Amérique, 30 ans après ma vie californienne, et la faire découvrir à mes enfants. J’aimerais prendre à pied le chemin de Saint-Jacques de Compostelle depuis Vézelay et y aller d’une traite, comme une quête de soi et une découverte de l’Europe éternelle. Je voudrais aller voir le Grand Nord, étudier la grammaire française, reprendre mes cours de littérature allemande et portugaise, arpenter la Provence sur les traces de Marcel Pagnol, grimper à vélo les plus grands cols du Tour de France, passer du temps au bord de l’océan, voir de beaux matchs de football dans les mythiques stades européens, descendre le Danube et remonter la Loire, me passionner pour les ours dans le poumon vert de l’Europe que sont les Carpates, voir mes amis, lire beaucoup de livres, en écrire aussi. Vaste programme ! Des idées et des rêves, il y en aura toujours. Le temps qui reste ne sera pas triste. Il sera fort et juste. Il est à venir.

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L’école libératrice

L’école de Kervilien à Quimper

Au mois d’août, je me suis arrêté devant l’école de mon enfance. C’était à Quimper, dans le quartier de Kervilien, à deux pas de la route de Pont-l’Abbé. Cette école est chère à mon cœur. J’y ai tant de souvenirs, que le temps qui file espace peut-être, mais n’efface pas. C’est l’école de mes premières années. Dans la torpeur et le silence de l’été, de l’autre côté de la grille d’entrée, j’apercevais la cour et les bâtiments de classe, là où de la première classe maternelle au CM2 s’écrivit le début de ma vie d’écolier. C’était le temps des premiers copains, des parties de foot endiablées dans la cour, le temps des premiers savoirs aussi. J’ai été heureux à Kervilien. Je revois les visages de mes maîtres. Voilà 50 ans, j’entrais en cours préparatoire pour apprendre à lire et ma maîtresse était … ma mère. Puis il y eut Madame Goraguer, Monsieur Palud, Monsieur Signor et Monsieur Quéffelec. Un maître tous les ans sur le chemin de la vie. Tous m’ont marqué par leur gentillesse et leur dévouement. Des années plus tard, journaliste stagiaire, j’étais venu « couvrir » le départ en retraite de Monsieur Quéffelec. J’avais voulu lui en faire la surprise. Touché, il m’avait offert un vieil exemplaire de notre roman fétiche de CM2, « La roulotte du bonheur ». J’étais reparti, ému aux larmes. Et aujourd’hui encore, je chéris ce petit livre plus que tout.

Il n’y a rien de plus précieux que l’école. Et de plus précieux que ses maîtres aussi. L’école est un creuset, une promesse et une chance. Enfants, nous étions chahuteurs, doux, distraits, curieux, mais surtout égaux. L’école nous protégeait et nos maîtres donnaient à tous envie d’apprendre. La vie adulte était encore lointaine, mais la soif de découverte était là, encouragée, suscitée, confortée. C’était le temps d’Apollo et des premiers hommes sur la lune. Nous voulions tous y aller. Nous avions dessiné une fusée imaginaire et assigné à chacun sa place à bord. Si elle n’a jamais gagné la lune, dans nos têtes, nous y étions allés ensemble. Dans la cour, Monsieur Palud avait déplié un immense filet de pêche qu’il avait ramené de son Guilvinec natal. Et dans la classe, lorsque venait l’hiver, nous recouvrions d’un papier d’aluminium et de farine des montagnes de livres pour imaginer les Alpes et Pyrénées si lointains de nos côtes finistériennes. De ces années, je garde le souvenir d’une immense bienveillance et d’une douce liberté. Mon meilleur copain s’appelait Abdelhak. C’était un écolier marocain. Sa famille, récemment immigrée, vivait tout près. Ses parents plaçaient tous leurs espoirs dans l’école. Ils vénéraient nos maîtres. Au foot (pour lui) et en classe (pour moi), on s’entraidait. Rien ne nous séparait. C’était le miracle de l’école.

Hier soir, en regardant, la gorge nouée, la poignante cérémonie d’hommage à Samuel Paty dans la cour de la Sorbonne, tous ces souvenirs me sont revenus. On ne dit jamais assez merci à ceux qui nous ont formés. On le devrait pourtant. Mon père et ma mère étaient enseignants. Ils avaient la passion d’apprendre et de faire partager. C’était leur vocation, leur mission. Tendre la main, ouvrir un livre, émanciper par-delà les inégalités de destins, tel fut leur bonheur tout au long d’une vie en classe. L’école publique, laïque et obligatoire avait été leur chance comme elle aussi fut la mienne et celle de millions d’enfants. L’école apprenait le respect et construisait la confiance, en soi comme en la société. L’école ne jugeait pas, elle libérait, elle transmettait. Tout cela, elle le fait encore. Mais l’école est fragile et le drame de Conflans nous le révèle de la plus tragique manière. Il faut protéger l’école, protéger ses maîtres et professeurs, protéger les générations auxquelles elle donne les clés de l’avenir. Il doit être question de respect, d’autorité et aussi de moyens. L’école est un sanctuaire aux portes duquel les controverses et les haines de notre temps doivent s’arrêter. C’est notre chance, c’est notre avenir. C’est aussi notre devoir. Rien ne doit entraver la liberté et la laïcité. L’école est libératrice. Elle doit plus que jamais le rester.

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Le Covid et les droits de l’homme

L’automne a à peine commencé que la seconde vague du Covid nous a déjà rattrapés, conséquence sans doute d’un été vécu trop librement, trop généreusement après le confinement du printemps. La circulation du virus a repris et atteint désormais des proportions préoccupantes, au risque d’engorger bientôt les services d’urgence et de réanimation face à l’afflux de nouveaux malades. A terme, et peut-être pas dans très longtemps, le confinement, partiel ou total, pourrait de nouveau s’imposer. Cette situation est anxiogène pour notre société, travaillée par une peur sourde que renforcent le sentiment d’en savoir si peu sur ce virus et la perspective encore lointaine d’un vaccin. La crise sanitaire que nous traversons est sans précédent à l’échelle d’une vie humaine, d’un siècle et peut-être davantage. Elle fragilise par millions les plus vulnérables : personnes âgées, femmes, enfants, handicapés, minorités, migrants et réfugiés. Elle agit comme le révélateur des inégalités les plus criantes et insupportables de vie et de destins.

Sous l’angle des droits de l’homme, pareille situation est dramatique. Il est question de droit à la vie, de droit à la santé et à la protection sociale, de liberté de circulation aussi. Faute d’accès régulier à l’eau, plus de 2 milliards de femmes, d’hommes et d’enfants dans le monde ne peuvent se laver les mains et sont donc plus exposés au virus. Cette réalité-là, plus près de nous, est déjà celle des sans-logis, massés sous les ponts et dans les lieux les plus sordides de nos pays. La pauvreté est un énorme facteur de risque. Ce sont les plus vulnérables qui souffrent le plus des mesures mises en place pour lutter contre le virus, qu’il s’agisse de la fermeture des écoles ou du confinement des aînés. Que valent l’école à distance ou le télé-travail lorsque l’on n’a ni ordinateur, ni accès à Internet ? Le Covid jette une lumière crue sur l’urgence de mettre en œuvre les droits économiques et sociaux, en particulier la protection sociale et les soins de santé, l’accès au logement, le soutien à la petite enfance et au grand âge, l’éducation et le droit à la connexion.

Le contexte de peur met tristement à mal l’égalité et la non-discrimination. Des propos ignobles et stigmatisants ont été entendus et le sont encore à l’encontre de ceux que l’on soupçonne de véhiculer le virus, des malades mais aussi des soignants, ceux qui se battent pourtant pour nous. Ces soignants que l’on applaudissait aux fenêtres et balcons au printemps sont souvent des femmes, sous-payées et travaillant dans des conditions difficiles. Dans les propos à leur encontre, la xénophobie et le racisme n’étaient pas toujours absents. La crise a malheureusement libéré la parole de haine et les sentiments les plus vils, en particulier à l’égard des réfugiés et des migrants. De rudes réalités ont été occultées. Comment se protéger sans statut, comment retourner chez soi lorsque les frontières ferment, voilà autant de questions qui se posaient et se posent encore. Elles ont conduit nombre de familles migrantes ou réfugiées vers des situations d’extrême précarité en termes de logement et de protection sociale.

Face à la pandémie, des choix ont été faits et des décisions prises, parfois d’une magnitude inégalée. Le confinement a conduit à la fin du printemps à réduire les périls sanitaires du mois d’avril, au prix d’une restriction considérable de la liberté de circulation. Il a été accepté tant bien que mal. Le serait-il encore aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr, notamment si la parole publique est flottante, entre discours cauteleux et choix inexpliqués. C’est un danger immédiat pour l’acceptabilité des décisions à venir et, partant de là, leur efficacité. La transparence et l’échange sont nécessaires. La liberté et l’action de la société civile le sont aussi. Dans certains pays, les états d’urgence sanitaire ont permis aux autorités de réduire la liberté d’expression, de poursuivre ceux qui ne portaient pas la parole « officielle » et parfois de les détenir au mépris de tous les droits. Il s’agit de journalistes, de soignants, de militants et aussi de simples citoyens. L’état d’urgence sanitaire ne peut conduire au recul de la liberté d’expression, des médias, d’information, d’association et de rassemblement.

Derrière tout état d’urgence sanitaire, il doit y avoir un contrôle démocratique. Toute décision doit être prise en droit sur la base de preuves tangibles, hors de tout arbitraire ou discrimination et pour une période de temps limitée. Cette décision doit être proportionnée à l’objectif de protection de la santé publique et empiéter le moins possible sur l’exercice des droits dans une société de liberté et de responsabilité. Le juge doit pouvoir la contrôler. Rien ne serait plus inacceptable et choquant que des mesures d’exception échappant à ces conditions. Ce que l’on peut accepter en situation de crise sanitaire ne peut devenir la norme après la crise. Le recours à l’intelligence artificielle et au big data est certes précieux face au Covid, mais il porte aussi en lui de potentiels dangers en termes de surveillance des citoyens et d’accès aux données personnelles. Il faut pouvoir nous prémunir de toute utilisation de technologies conduisant à des discriminations et à l’intrusion dans la sphère privée de chacun, loin de toute préoccupation sanitaire et d’intérêt général.

Aucune société, aucun projet humain n’a d’avenir hors de la solidarité. Cela commence par le vivre-ensemble, autour de nous et plus loin, à l’échelle nationale comme internationale. Le virus ne s’arrête pas aux frontières. Si un pays échoue dans sa lutte contre le Covid, ce sont tous les autres qui échoueront aussi. Il n’y a d’issue que dans la mobilisation collective et dans le multilatéralisme, que certains chefs d’Etat, en particulier Donald Trump, n’ont pourtant eu de cesse de mettre à mal ces dernières années. Le réveil est particulièrement brutal pour ceux-là qui se défiaient de la solidarité internationale et en faisaient bruyamment commerce politique. Sur le vaccin, les traitements médicaux, l’accès aux technologies et la propriété intellectuelle, il y a à charge des Etats un devoir absolu d’action collective et une obligation de résultat. Personne ne peut ni ne doit l’emporter seul, qu’il s’agisse des acteurs publics ou du monde commercial. Lorsque le vaccin sera disponible, il devra être accessible pour tous, partout et au même moment.

Le jour d’après viendra. Le Covid sera vaincu, espérons-le à horizon de quelques mois seulement. Nous ne reviendrons pas à la vie d’avant, au « business as usual », comme si cette crise sanitaire n’était qu’un épiphénomène. Nous ne le pourrons pas et nous ne le devrons pas. Tant de leçons devront être tirées et apprises. La résilience qu’il nous faut construire commence par le contenu concret à donner aux droits économiques et sociaux, et notamment la protection sociale universelle. Il n’est plus temps d’en parler, il faut la faire. Et les leçons que nous tirerons vaudront bien au-delà de la crise sanitaire, pour la crise climatique par exemple. Dans cette perspective, une lecture fondée sur les droits de l’homme permet d’identifier les priorités et d’agir pour des sociétés plus justes, plus humaines et résilientes. Cette lecture est précieuse. Les droits de l’homme ne sont pas des préoccupations pour temps heureux, prospères et paisibles. Ils sont la condition de la prospérité et de la paix. Les droits de l’homme doivent plus que jamais être notre boussole.

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