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Mois : mars 2019

La France, l’Allemagne et l’Europe

J’étais le vendredi 22 mars l’invité de l’assemblée générale des partenariats européens du Land de Rhénanie-Palatinat à Mayence. Le Partnerschaftsverband est l’organisation faîtière rassemblant tous les jumelages et accords liant les communes, institutions, organismes consulaires, associations et écoles de Rhénanie-Palatinat avec les régions partenaires de Bourgogne-Franche-Comté, Oppeln (Pologne) et Mittelböhmen (République tchèque). C’est avec émotion que j’ai retrouvé Mayence, où j’avais vécu entre 2006 et 2012 une magnifique aventure professionnelle, et que j’ai pris la parole dans la belle salle plénière du Landtag, le Parlement régional.

Le Partnerschaftsverband m’avait demandé de m’exprimer sur la France, l’Allemagne et l’Europe. Je suis depuis toujours un ardent défenseur de la cause franco-allemande pour l’Europe. Nos deux pays ont des visions différentes du projet européen et souvent aussi des intérêts divergents. Pour autant, ils ont su depuis une cinquantaine d’années rassembler stratégiquement ces différences pour dégager des compromis qui ont bénéficié au projet européen. Nombre d’étapes décisives de la construction de l’Europe sont venues en effet d’une initiative franco-allemande, pensée entre Paris et Bonn/Berlin ou imposée par les circonstances.

L’âge d’or de la relation franco-allemande et de son impact sur la construction de l’Europe est cependant derrière nous. Le monde et l’Europe ont changé, nos deux pays également. Les leaders ne sont plus les mêmes non plus. Des occasions ont été manquées de part et d’autre, par maladresse ou indifférence, de faire avancer l’Europe (propositions Lammers-Schaüble, Fischer ou plus récemment Macron). Le danger est aujourd’hui de voir se développer en France et en Allemagne une série d’initiatives pour l’Europe intéressantes en soi, mais sans résonance réelle auprès du gouvernement partenaire et donc sans grande chance de traduction concrète.

Des propositions ont été faites par le Président Emmanuel Macron dans son discours de la Sorbonne en septembre 2017 et plus récemment dans sa tribune publiée en mars 2019. Elles ont reçu un accueil prudent en Allemagne. Pour autant, le Traité d’Aix-la-Chapelle de janvier dernier, prolongeant le Traité de l’Elysée de 1963, place à juste titre la convergence au cœur de la relation de nos deux pays. Une Assemblée parlementaire franco-allemande a été créée, qui pourra relayer utilement les initiatives et attentes de la société civile. Un cadre existe ainsi, au sein duquel la volonté de travailler ensemble pourra utilement trouver matière.

Pour cela, il faut à Paris et Berlin relancer le dialogue différemment, discrètement, attentivement et régulièrement, dans le respect du partenaire, de ses rythmes et de ses contraintes. Ce sont beaucoup d’habitudes, de conformisme et une bonne part de scepticisme aussi qu’il faut vouloir bousculer. La perception qu’existe un décalage d’ambition entre la volonté française de défendre la souveraineté européenne et l’approche allemande consistant à « faire l’Europe comme il faut » peut inquiéter. Dans ce contexte, les Parlements devront en particulier jouer un rôle utile pour renouer les fils de la relation franco-allemande pour l’Europe.

Vous trouverez plus bas les principaux éléments de la version française de mon discours à Mayence (donné en allemand).

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La France, l’Allemagne et l’Europe

Mayence, le 22 mars 2019

Mesdames et Messieurs,

Chers amis du Partnerschaftsverband Rheinland-Pfalz/4er-Netzwerk,

Je vous remercie pour l’invitation que vous m’avez adressée de m’exprimer aujourd’hui devant vous au Landtag de Rhénanie-Palatinat. J’en suis très touché. Mayence est une ville importante pour moi. Durant 6 ans, j’y ai passé beaucoup de temps. Le siège de ma société s’y trouvait. Ce fut une merveilleuse aventure industrielle dans le domaine de l’énergie solaire. Et aussi une superbe aventure humaine au contact de collègues qui, pour beaucoup, sont devenus depuis lors des amis.

C’est la vie politique française qui m’a éloigné de Mayence. En 2012, j’ai été élu député en France. Je suis revenu régulièrement dans votre ville en cette qualité durant les 5 années de mon mandat. J’avais besoin de retrouver la ville, le Land, leur énergie, leur générosité, leur engagement européen. J’avais besoin aussi de retrouver les habitants de Mayence, français comme allemands.

J’ai été député, je ne le suis plus. C’est la démocratie et c’est la vie. J’ai été un homme d’entreprise, puis un parlementaire. Je suis aujourd’hui un simple citoyen, libre de sa parole et de ses initiatives. L’Allemagne a été au cœur de toutes mes vies successives. J’aime l’Allemagne, toute l’Allemagne. Je vois l’Allemagne comme une amie, pas comme un modèle. Il y a des choix qui se conçoivent en Allemagne au regard de la culture et de l’histoire et pas en France. Et l’inverse est vrai aussi.

Plus que tout, je sais que la rencontre utile des différences françaises et allemandes est non seulement nécessaire pour nos deux pays, mais constitue aussi le moteur déterminant pour la construction de l’Europe. La relation franco-allemande n’est cependant plus aussi vive et constructive qu’à certaines époques et il est nécessaire de retrouver à Paris comme à Berlin l’envie d’agir décisivement ensemble, par-delà les discours et les tribunes.

La France et l’Allemagne ont des visions différentes du projet européen

Les images de l’amitié franco-allemande pourraient laisser à penser que nous partageons les mêmes ambitions européennes. Ce n’est pourtant pas objectivement la réalité. Nos deux pays ont fait dans les années 1950 le choix du projet européen pour des raisons différentes. A Paris, l’idée a longtemps été – et elle le reste encore – que l’Europe, ce devait être nécessairement la France en grand. Alors qu’à Berlin, l’objectif était avant tout de retrouver une place dans la communauté internationale.

Cette différence de vision s’exprime aussi sur le mode de fonctionnement de l’Europe. Pour la France, il s’agit de faire prévaloir le rôle du Conseil européen et donc des Etats membres sur les institutions supranationales comme la Commission européenne et le Parlement européen. En Allemagne, c’est au contraire la logique fédéraliste qui domine avec le renforcement des pouvoirs du Parlement européen et de la Commission européenne.

La France et l’Allemagne n’ont pas non plus développé les mêmes positions sur les frontières de l’Union européenne. Jusqu’où doit aller l’Europe ? La France a toujours été prudente sur les élargissements, en particulier vers l’Est. L’Allemagne, à l’inverse, a défendu depuis 1957 l’idée d’une Europe largement définie. Elle y avait intérêt économiquement. S’y rajoutait la perception de sa responsabilité historique à l’égard des pays est-européens.

Les conceptions économiques divergentes de l’Allemagne et de la France ont un impact dans le domaine européen. La France est un pays dans lequel le rôle de l’Etat dans l’économie est central. C’est cela qui rend la relation de l’économie française avec les règles du marché européen souvent difficile. En Allemagne, l’Etat pose des règles pour la vie économique et laisse ensuite à des autorités indépendantes le soin de les faire respecter.

La gouvernance de la zone Euro est aussi source de désaccord. Lors de la création de l’Union économique et monétaire, il allait de soi pour l’Allemagne que l’abandon du Deutschmark s’accompagnerait de la reprise par la Banque centrale européenne des règles de gestion rigoureuse de la monnaie suivies par la Bundesbank. Pour les Français, déjà peu à l’aise avec l’idée d’indépendance de la Banque centrale, la monnaie unique devait au contraire s’accompagner de la mise en place d’un gouvernement économique.

Ce désaccord perdure toujours, même si la situation en Grèce, puis la détérioration générale des finances publiques consécutive à la crise économique et financière de 2008-2009 ont fait bouger les lignes: Berlin a accepté un début de gouvernance économique de la zone Euro et Paris la mise en place d’une politique de maîtrise des déficits.

La question des Eurobonds est l’expression symbolique de toutes ces différences. Il ne saurait être question pour l’Allemagne de communautarisation des dettes nationales. L’Allemagne estime que la différence de taux d’intérêt entre Etats les plus solides et les autres reste la meilleure manière de forcer ces Etats à conduire les réformes nécessaires. A l’inverse, la France défend régulièrement l’idée des Eurobonds au nom de la solidarité européenne.

Comment la relation franco-allemande a-t-elle pu être utile à l’Europe en dépit ou à cause de ces différences ?

Avoir des visions différentes et souvent aussi des intérêts divergents peut être un atout dès lors que l’antagonisme initial est considéré comme productif, pour reprendre l’expression de Cécile Calla et Claire Demesmay dans leur livre « Que reste-t-il du couple franco-allemand ? », distingué par le prix parlementaire franco-allemand en 2016. Le rassemblement stratégique des différences est le secret du moteur franco-allemand pour l’Europe.

Ces différences permettent à la France et à l’Allemagne de représenter largement la variété des positions et intérêts des Etats membres de l’Union. Encore faut-il qu’existe la volonté de les dépasser par la recherche d’un compromis et que le contexte européen s’y prête.

C’est sous les mandats de Valéry Giscard d’Estaing et d’Helmut Schmidt que la relation franco-allemande a commencé à entrainer l’intégration européenne par la création du Système Monétaire Européen et l’élection du Parlement européen au suffrage universel. Elle s’est poursuivie sous les mandats du Président Mitterrand et du Chancelier Kohl avec l’Acte unique et le Traité de Maastricht avant de décliner du milieu des années 1990 jusqu’à la crise des dettes souveraines en 2008-2009, qui força le Président Sarkozy et la Chancelière Merkel sous la pression des circonstances à des ajustements souvent hardis et décisifs pour l’Union.

Comment fonctionne le couple franco-allemand dans la sphère européenne ? Il recherche le compromis sur de multiples sujets par des discussions régulières en amont des débats et décisions européennes. Pour y parvenir, il faut de part et d’autre à Paris et à Berlin la volonté de s’élever au-delà des désaccords pour les replacer dans un cadre plus large, combinant dans un package deal plusieurs sujets distincts nourrissant des différences et prenant également en compte les attentes des autres Etats membres.

Lorsqu’une proposition franco-allemande n’est en revanche qu’une simple coalition d’intérêts, elle échoue. L’expérience en a été faite sous les mandats de Jacques Chirac et de Gerhard Schröder, lorsque la France et l’Allemagne s’entendirent pour assouplir le Pacte de stabilité et de croissance non dans l’intérêt de l’Union, mais des seules économies française et allemande.

La plupart du temps, les compromis franco-allemands conduisent à des avancées européennes. Pourquoi ? Parce que, outre la volonté d’agir, il ne peut y avoir d’accord européen sans le soutien de la France et de l’Allemagne, qui disposent d’une capacité de blocage par la pondération des votes au Conseil.

Définir un compromis, c’est faire des concessions de part et d’autre. Lors de la crise des dettes souveraines, Nicolas Sarkozy obtint la création du Fonds européen de stabilité financière et l’autorisation pour la Banque centrale européenne de racheter de manière illimitée les titres de dette des Etats membres de la zone Euro les plus fragilisés. Ce fut un réel exercice de solidarité financière, en particulier avec la Grèce, défini en amont par un accord franco-allemand reposant sur des concessions réciproques.

En retour, l’Allemagne obtint le renforcement de la discipline budgétaire, soumise à un contrôle européen appuyé en vertu du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance en Europe (TSCG) de mars 2012. Comme député, j’ai voté pour la ratification de ce Traité par conviction européenne et franco-allemande. Ce Traité était le fruit d’un accord franco-allemand construit dans des circonstances très difficiles et il était impensable pour moi de ne pas le soutenir.

Nouveaux défis et occasions manquées

Les compromis franco-allemands sont précieux, mais ils requièrent de longues préparations. Or, l’accélération des crises et leur instantanéité, obligeant à une réaction rapide, peuvent mettre à mal ce modèle de fonctionnement. La leçon à tirer pour éviter toute contradiction, c’est qu’il faut développer entre la France et l’Allemagne une capacité de réponse rapide et donc resserrer plus encore les liens entre les deux gouvernements en matière européenne.

Pour que la relation franco-allemande continue d’irriguer de manière décisive le débat et les décisions, une autre condition est nécessaire : l’équilibre entre les deux pays. L’Agenda 2010 du Chancelier Gerhard Schröder a permis à l’économie allemande de retrouver sa compétitivité et aux entreprises allemandes de conquérir de nouveaux marchés. A l’inverse, la France pâtit de difficultés économiques et sociales lourdes liées à la désindustrialisation de son territoire sans parvenir à y apporter de réponses à la dimension de ce que fut l’Agenda 2010.

Cette situation laisse entrevoir un décrochage par rapport à l’Allemagne, préjudiciable à la France et aussi à la capacité du tandem franco-allemand de conserver un rôle-clé dans la construction européenne. Les réformes économiques et sociales à conduire en France sont une condition essentielle du crédit de la France au sein de l’Union et de la capacité de la relation franco-allemande de retrouver l’équilibre nécessaire pour jouer son rôle européen.

Le message s’adresse donc d’abord à la France. Mais il n’épargne pas non plus l’Allemagne. La pérennité de la prospérité économique allemande dépend largement d’un marché unique dynamique. Et l’accumulation d’excédents commerciaux n’y conduit pas nécessairement. Pour qu’il y ait marché, encore faut-il en effet que les clients aient les moyens d’acheter et que la demande intérieure ne soit pas anémiée. L’Allemagne doit prendre conscience des dangers pour le marché unique et pour la croissance de ses excédents budgétaires.

La France et à un degré moindre l’Allemagne ont besoin de faire un travail sur elles-mêmes pour redonner à leur relation une force motrice en Europe. Ce qui requiert que la France et l’Allemagne sachent s’ouvrir à d’autres Etats, a fortiori dans le contexte du Brexit. Cela vaut à la fois pour prendre en compte des positions ou intérêts que ni l’un ni l’autre ne couvriraient et pour construire arithmétiquement les majorités nécessaires. C’est d’autant plus difficile que les premiers pays auxquels l’on pourrait songer sont dirigés par des forces hostiles à l’Union européenne (Italie, Pologne) ou par des gouvernements faibles et minoritaires (Espagne).

L’erreur de François Hollande fut, au début de son mandat en 2012, de tenter non d’élargir la relation franco-allemande à d’autres pays, mais de donner l’impression de vouloir remettre en cause le caractère privilégié de cette relation par d’autres partenariats, notamment avec l’Italie et l’Espagne. Le caractère ambigu de ces initiatives créa une incompréhension en Allemagne.

L’Allemagne n’a cependant aucun intérêt à se désengager de la relation avec la France. Elle ne peut seule assumer le leadership européen. Il lui faut un partenaire qui exprime la part des intérêts et positions qu’elle ne peut porter. L’Allemagne a besoin de la France pour faire le pont vers les pays du Sud de l’Europe. Le leadership allemand doit être partagé pour pouvoir s’exercer et être acceptable et les autorités allemandes le savent.

C’est pour cela qu’aucune occasion ne peut être manquée de coordonner les visions française et allemande de l’Europe. Or, des occasions manquées, il y en a eu : pas de réponse française aux propositions Schaüble-Lamers sur un noyau dur européen (1995) et Fischer (2000) sur l’Europe fédérale, réponse tardive et frileuse de l’Allemagne aux propositions du Président Macron sur la relance de l’Europe par l’Eurogroupe (2018). Il ne faut pas que l’Allemagne ou la France néglige leur partenaire, voire l’isole sur la scène européenne, que ce soit par lassitude ou par volonté.

Pour cette raison, la recherche d’une relation dynamique franco-allemande pour l’Europe est incontournable. La France et l’Allemagne doivent poursuivre leur coopération bilatérale au service de l’Europe, en ouvrant cette concertation de manière flexible à d’autres pays. Alors que la désintégration de l’Union européenne est à l’agenda de plusieurs forces politiques et gouvernements de l’Union européenne, le moment ne doit pas être pour la France et l’Allemagne au repli, mais bien au contraire au sursaut et à l’action.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

La relation franco-allemande est loin des promesses que le discours d’Emmanuel Macron sur la souveraineté européenne à la Sorbonne en septembre 2017 avait laissé entrevoir. Le Président Macron avait esquissé une cinquantaine de propositions concrètes sur l’avenir de la zone Euro, l’environnement, le climat, la politique migratoire, l’industrie, le numérique ou la jeunesse. Ce ton et une part de ces propositions sont apparus de nouveau dans la tribune publiée par le Président dans plusieurs journaux européens en mars 2019.

L’Europe a besoin de tels discours fondateurs. Il faut que des expressions de volonté et d’idéal déchirent de temps à autre la grisaille de la vie quotidienne européenne. Mais pour qu’elles aboutissent, encore faut-il qu’elles soient préparées, coordonnées en amont avec le pays partenaire, de sorte que ce dernier ait déjà le temps de commencer à préparer une réponse et que cette réponse ait valeur de rebond pour faire avancer à l’échelle européenne tout ou partie des propositions faites. C’est ce qui a manqué après le discours de la Sorbonne.

Qui blâmer ? L’Allemagne, puisque la Chancelière n’a réagi qu’en juin 2018 à des propositions faites en septembre 2017. Mais elle était contrainte à l’automne 2017 par la campagne des élections au Bundestag, puis jusqu’au début 2018 par la difficulté de mise en place de la coalition gouvernementale. Sans doute faut-il aussi blâmer la France. La volonté n’exclut pas en effet de tenir compte des rythmes et contraintes du partenaire. Le même scénario se reproduit avec la récente tribune du Président Macron, l’absence de réponse du gouvernement allemand et la réponse partisane d’Annegret Kramp-Karrenbauer, la Présidente de la CDU.

Le Président Macron souhaitait la mise en place d’un gouvernement économique de la zone Euro. Il souhaitait qu’un budget de la zone Euro à hauteur de plusieurs points de PIB soit établi et exécuté sous le contrôle d’un Parlement de la zone Euro. La Chancelière a certes reconnu les mérites d’un budget d’investissement de la zone Euro, mais à la hauteur d’un montant bien inférieur à celui envisagé par le Président Macron. La question a été précisée en fin d’année par les Ministres de l’Economie Olaf Scholz et Bruno Le Maire. Ce budget sera consacré à la convergence entre économies et au financement des réformes, une priorité allemande.

Les précautions et prudences qui ont ponctué l’année 2018 ont largement eu raison des propositions du discours de la Sorbonne. Elles ont donné le temps et la matière au noyau dur de petits pays d’Europe du Nord, en particulier les Pays-Bas et la Finlande, d’opposer un contre-feu à l’idée d’un besoin supplémentaire de solidarité intra-européenne. De sorte qu’il est permis d’y voir une nouvelle occasion manquée.

Rares sont les propositions du discours de la Sorbonne qui ont rencontré l’approbation allemande. La Chancelière s’est prononcée en faveur de la transformation du Mécanisme européen de solidarité en Fonds monétaire européen. Elle soutient l’idée d’une agence européenne des migrations et de l’harmonisation du droit d’asile. De même que l’initiative d’intervention européenne en matière de défense et de sécurité.

Pour le reste, la taxe GAFA à l’échelle européenne n’a pas vu le jour. Pas davantage que la taxe sur les transactions financières ou la taxe sur le carbone aux frontières de l’Europe. Sur ces sujets, Paris et Berlin ont donné l’impression davantage de s’affronter que de rechercher une solution qui aurait permis de rassembler sur une base minimale la plupart des points de vue et des intérêts des Etats membres de l’Union.

Il y a tant de chantiers urgents qu’il faut pourtant que l’Europe relève. La crise climatique et l’urgence écologique en sont un. Il commande de hâter la transition vers une économie décarbonée par l’investissement dans l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, les technologies de stockage et l’éco-mobilité. La crise migratoire est un autre chantier. Il faut construire avec le continent africain un partenariat inédit, qui lie le développement économique et la gestion des flux migratoires.

Et il y a aussi le chantier de la nouvelle économie, qui requiert que l’Europe agisse en matière d’intelligence artificielle et de cybersécurité. Sans oublier l’action extérieure et la sécurité de l’Union européenne face à la crise du multilatéralisme, à l’isolationnisme de l’administration Trump, à l’expansionnisme de la Russie et à la menace du terrorisme islamiste.

A Aix-la-Chapelle au mois de janvier, la France et l’Allemagne se sont unis par un nouveau Traité. Cette étape, prolongeant le Traité de l’Elysée de 1963, est louable. Il fallait passer d’une logique de réconciliation à une logique de convergence. Rien de ce qui apparaît dans le Traité d’Aix-la-Chapelle n’est surprenant. Le lien entre les deux pays sera renforcé et c’est heureux.

Mais il y a une chose qu’aucun Traité ne peut définir, ni imposer : c’est l’état d’esprit et c’est la volonté. Or, là est précisément le premier défi qui se pose à la France et à l’Allemagne. Alors que la relation franco-allemande pour l’Europe est en retrait, il faut renouer le dialogue constructif, discrètement, attentivement et régulièrement.

Ce ne sont pas les divergences entre la France et l’Allemagne qui doivent inquiéter. Elles sont, y compris à la lumière de la réponse d’Annegret Kramp-Karrenbauer à la tribune du Président Macron, moins importantes que ce que certaines analyses en disent. Ce qui doit inquiéter est en revanche le décalage d’ambition entre la volonté française de défendre la souveraineté européenne et donc une Europe qui protège et l’approche allemande consistant au mieux à « faire l’Europe comme il faut ».

Il faut vouloir bousculer les habitudes et le conformisme. Il faut plus encore vouloir se parler. Le danger serait de développer des propos parallèles sans espérer leur concrétisation sous forme d’actions et de résultats au-delà du seul buzz médiatique à l’approche d’une échéance électorale. Ce serait décevant au regard du rôle historique de la relation franco-allemande et cela mettrait le projet européen à l’arrêt.

Que faire ? J’ai présidé le groupe d’amitié France-Allemagne à l’Assemblée nationale et je crois volontiers en l’initiative parlementaire, en relais de la société civile, pour avancer. Je suis heureux qu’une Assemblée parlementaire franco-allemande ait été créée, mais il ne faut pas qu’elle soit prestement érigée en symbole inutile. Cette Assemblée devra recevoir les moyens de travailler décisivement. Il faudra notamment mettre en place des missions parlementaires franco-allemandes.

Je conserve le rêve de voir la concrétisation et la nomination d’un Ministre franco-allemand, siégeant dans les deux gouvernements, responsable devant les deux parlements, qui soit la cheville ouvrière de l’agenda commun des deux pays pour l’Europe. Cette idée n’est pas nouvelle. C’est l’expérience qui me conduit à la penser désormais nécessaire et réaliste.

Des talents franco-allemands pour l’Europe, en Allemagne comme en France, il y en a beaucoup. La société civile, l’école, l’université sont de formidables creusets. Je voudrais imaginer que les gouvernements à Paris et Berlin ainsi que les formations politiques qui ont vocation à gouverner y puisent les idées, les femmes et les hommes qui redonneront à la relation franco-allemande dans l’action européenne le rôle-clé qui doit rester le sien.

J’avais proposé à la fin de mon mandat de député d’élaborer un droit commun de la famille entre la France et l’Allemagne, qui puisse constituer une base pour d’autres pays d’Europe désireux de s’y joindre. Il existe un régime matrimonial franco-allemand. Etendre ce travail à tout le droit de la famille serait un exemple utile de progrès européen concret.

Relire François Mitterrand

Voilà, Mesdames et Messieurs, les idées que je voulais partager avec vous à Mayence aujourd’hui. Je suis loin désormais de la vie publique, mais la cause franco-allemande et la cause européenne restent chères à mon cœur. Je ne peux d’ailleurs les délier. L’Europe a besoin de nos deux pays, ensemble.

Pour conclure, je voudrais citer un extrait du livre posthume du Président François Mitterrand, intitulé « De la France, de l’Allemagne ». Ce livre a désormais 25 ans, mais je le crois plus que jamais actuel. Voici ce qu’écrivait le Président Mitterrand :

« Je rêve à la prédestination de l’Allemagne et de la France, que la géographie et leur vieille rivalité désignent pour donner le signal de l’Europe. Si elles ont gardé en elles le meilleur de ce que je n’hésite pas à nommer leur instinct de grandeur, elles comprendront qu’il s’agit là d’un projet digne d’elles. Elles auront d’abord à s’en convaincre. La France toujours tentée par le repli sur soi et l’illusion épique de la gloire dans la solitude, l’Allemagne toujours hésitante entre ses vocations, soit nation arrimée à l’union de l’Europe, soit héritière sans le dire d’ambitions impériales. On me dira : c’est une utopie ! Mais qu’est-ce qu’une utopie ? Ou bien c’est une absurdité, et le temps se chargera de nous répondre. Ou bien ce n’est que l’anticipation d’un nouvel état possible. Si se produit un sursaut des volontés, en ce moment unique où tout est possible en Europe, alors l’utopie sera réalité. Et beaucoup d’entre vous la connaîtront ».

Sursaut des volontés, c’est ce à quoi il faut appeler la France et l’Allemagne pour l’Europe. Tout dépend de nous. Tout dépend vraiment de nous.

Merci à vous tous.

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L’avenir, ce sont les énergies renouvelables

J’ai lu hier matin l’interview dans Le Monde du député du Vaucluse Julien Aubert s’en prenant au soutien accordé par les autorités françaises au déploiement des énergies renouvelables (www.lemonde.fr/economie/article/2019/03/16/julien-aubert-depute-lr-la-transition-energetique-a-la-francaise-est-incoherente_5437031_3234.html). Dire que les bras m’en sont tombés est un euphémisme. Voudrait-on faire échouer à l’avance le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, dont Monsieur Aubert est pourtant le président, que l’on ne s’y prendrait pas autrement. J’ai été cadre-dirigeant dans l’industrie solaire européenne, puis député et à ce titre rapporteur de la ratification de l’Accord de Paris sur le climat à l’Assemblée nationale. C’est dire que les énergies renouvelables, je les connais bien depuis longtemps. Et je me sens autorisé à contredire les affirmations de mon ancien collègue.

Selon Monsieur Aubert, le soutien aux énergies renouvelables serait trop coûteux. Doit-on rappeler que ce qui coûte cher aujourd’hui, c’est essentiellement le financement des premières installations déployées entre 2005 et 2011 au moyen d’un tarif de rachat de l’électricité sur 20 ans certes généreux, mais qui permettait aussi aux industriels d’avoir la visibilité pluriannuelle d’investissements décisive autorisant une production importante de panneaux photovoltaïques – pour prendre l’exemple de l’énergie solaire – contribuant elle-même par des économies d’échelle à une baisse considérable des coûts de fabrication. Ce pari était nécessaire. Il a été relevé : la compétitivité des énergies renouvelables est désormais une réalité. Les prix pratiqués dans les appels d’offres ces dernières années n’ont plus rien à voir avec les tarifs de rachat initiaux.

Monsieur Aubert qualifie de « folie budgétaire » la récente décision du gouvernement dans la programmation pluriannelle de l’énergie (PPE) de multiplier par cinq et par deux les capacités installées des installations solaires et éoliennes pour 2028. Son erreur est de raisonner à technologies et à coûts constants. Elle est aussi d’ignorer que l’énergie solaire est maintenant compétitive avec les énergies fossiles et même avec l’énergie nucléaire. Ce qui soulève d’ailleurs l’intérêt de son déploiement par de grandes centrales hors appels d’offres et donc hors soutien public au moyen de contrats d’achat de longue durée entre un producteur d’électricité solaire et des entreprises consommatrices énergivores. Pour atteindre les objectifs de la PPE, le chemin pour la France, en complément du système d’appels d’offres, se trouve notamment là.

Des contraintes existent qui, si elles étaient levées, libéreraient le déploiement de l’énergie solaire en France. Il faudrait travailler sur la taille des installations, la réduction des incertitudes et des délais pour les permis de construire et les raccordements au réseau, la connexion des grandes centrales au réseau de transmission, la transparence des coûts d’accès au réseau de distribution, etc. Faisons confiance au retour d’expérience des entreprises, où qu’elles se trouvent dans la chaîne de valeur. L’industrie photovoltaïque d’il y a 10 ans n’a plus grand-chose à voir avec celle d’aujourd’hui tant les avancées technologiques ont été considérables. C’est vrai des rendements. C’est même vrai aussi, peu à peu, du stockage et de l’intermittence. Aussi n’est-il pas juste de dire, comme le fait Julien Aubert, « qu’on devra coupler (les énergies renouvelables) avec du gaz et du charbon » pour toujours.

Arrêtons également d’opposer le choix nucléaire de la France aux énergies renouvelables, en arguant que le nucléaire ne produit pas d’émissions de CO2 et qu’il n’est pas cher pour dispenser notre pays de tout effort en faveur des énergies propres. Quel est le coût du traitement et de la gestion des déchets nucléaires ? Voilà une question qu’il faut aborder. Pour ma part, je connais l’accord volontaire et préfinancé européen de collecte et de recyclage des panneaux solaires (PV Cycle) pour en avoir été, avec quelques autres industriels, à l’origine il y a une douzaine d’années. Autre question : qui paierait l’installation d’un second EPR en France ? A l’évidence les consommateurs, par une surcharge sur leur facture d’électricité qui excéderait sûrement le coût du déploiement des énergies renouvelables tel qu’envisagé par la PPE. Gardons-nous de ce fait de tout jugement péremptoire et définitif.

Reste l’argument de l’emploi français employé par Julien Aubert : « … on dépense beaucoup d’argent pour remplacer une énergie décarbonée produite avec des emplois industriels en France – le nucléaire – par une énergie décarbonée qui favorise les entreprises des pays voisins – le solaire et l’éolien ». C’est vrai que les panneaux solaires et les éléments d’éoliennes sont souvent fabriqués hors de France. Mais la chaîne de valeur est beaucoup plus large que la seule industrie manufacturière. En amont et en aval des projets de déploiement, il y a des entreprises, souvent jeunes, toutes dynamiques, passionnées et ancrées dans nos territoires, qui ont un savoir-faire décisif et qui créent beaucoup d’emplois, directement et indirectement. L’aventure des énergies renouvelables, c’est cela aussi. La France doit prendre sa pleine part de ce défi économique, industriel et de société. Tant se joue maintenant. J’ai confiance que le rapport de l’Assemblée nationale, attendu pour l’été, saura utilement l’illustrer.

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Quel avenir pour le Conseil de l’Europe ?

J’étais hier soir à Fontainebleau le premier conférencier de la toute nouvelle Maison de l’Europe de Seine-et-Marne, présidée par mon ami et ancien collègue député Jean-Claude Mignon et par l’ancien Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Alain Vivien. Jean-Claude Mignon, Alain Vivien et le maire de Fontainebleau Frédéric Valletoux m’avaient invité à plancher sur l’avenir du Conseil de l’Europe. 2019 est une année importante pour l’Europe. Dans deux mois auront lieu les élections européennes. Mais cette année est aussi celle des 70 ans du Conseil de l’Europe et celle des 60 ans de la Cour européenne des droits de l’homme. Ces deux anniversaires interviendront en outre durant la présidence française du Comité des Ministres de mai à novembre prochains. Toutes ces coïncidences de calendrier doivent être mises à profit pour illustrer l’apport décisif du Conseil de l’Europe à la vie quotidienne des Européens et pour imaginer son avenir. Voici les éléments essentiels de mon intervention.

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Le Conseil de l’Europe vient de loin, de l’immédiat après-guerre et d’un discours fondateur de Winston Churchill à Zurich en 1946. Un objectif habitait Churchill, et aussi bien d’autres pères de l’Europe, témoins des deux conflits mondiaux qui avaient ravagé notre continent : créer les conditions d’une union de l’Europe pour conjurer à jamais les affres de la guerre. Le choix fut fait à Londres le 5 mai 1949 de créer, non une organisation de nature fédérale (qui viendra plus tard avec la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, puis les Communautés Economiques Européennes et la Communauté Européenne de l’Energie Atomique), mais une organisation intergouvernementale autour des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit.

Les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit forment les bases d’une société de liberté et de responsabilité. Les droits de l’homme permettent de s’attaquer aux difficultés, fléaux et tragédies de notre temps : terrorisme, criminalité organisée, cybercriminalité, corruption, racisme, intolérance, les violences faites aux femmes et aux enfants, homophobie et traite des êtres humains. Ce sont autant de questions que le Conseil de l’Europe, depuis 70 ans, couvre par diverses Conventions et programmes d’action sur des sujets qui vont de la démocratie et des affaires politiques à la cohésion sociale, à la culture, à l’éducation, à la jeunesse et aux sports.

Le Conseil de l’Europe a mis en place près de 200 conventions thématiques qui ont fait progresser l’Etat de droit décisivement dans les Etats membres. Les plus connues sont la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte sociale européenne, la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes, la Convention de Lanzarote sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels et la Convention de Budapest sur la cybercriminalité. Cette œuvre conventionnelle est la marque d’un long et profond sillon tracé au service des droits et libertés des 800 millions d’Européens. En 70 ans, c’est un espace juridique commun que le Conseil de l’Europe a forgé.

En adhérant au Conseil de l’Europe, chacun des 47 Etats membres a accepté de se soumettre à des mécanismes de contrôle indépendants dont la mission est l’évaluation in situ du respect des droits de l’homme et des pratiques démocratiques. Ce système de suivi permanent met en lumière sous le regard exigeant de l’opinion les carences et les difficultés de chaque Etat membre. Tout aussi important, chaque rapport est assorti de recommandations concrètes et utiles. Ces précieux mécanismes de contrôle indépendants sont notamment ceux du Comité européen de prévention de la torture, de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance ou de la Commission européenne pour la démocratie par le droit, plus connue comme Commission de Venise.

Le Conseil de l’Europe est la seule organisation réellement paneuropéenne, couvrant un territoire bien plus vaste que celui de l’Union européenne en incluant des Etats situés à l’est du continent ou dans le Caucase. Ce territoire va de l’Atlantique au Pacifique. Le Conseil de l’Europe incarne également d’autres valeurs que celles de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui s’étend, quant à elle, aux Etats-Unis, au Canada et à des pays d’Asie centrale, avec des Etats membres, à commencer par les Etats-Unis, qui pratiquent la peine de mort alors même qu’elle est interdite dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe et que c’en est l’une des plus grandes fiertés.

Les activités du Conseil de l’Europe présentent une importante dimension géopolitique, en particulier entre Etats membres appartenant à l’Union européenne et des Etats comme la Russie et la Turquie. Y contribuent tout à la fois les Ambassadeurs siégeant au Comité des Ministres, dont les échanges sont permanents, et l’Assemblée parlementaire par le truchement de la diplomatie parlementaire, un concept peu connu en France et dont j’ai pu prendre toute la mesure à Strasbourg par les discussions que les parlementaires ont informellement entre eux. Les parlementaires ne cessent jamais de se parler, poursuivant les conversations là où parfois la diplomatie s’arrête, et ces liens sont très précieux pour la démocratie et les droits de l’homme.

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Le bilan du Conseil de l’Europe est positif et décisif. Il est même, lorsqu’on le regarde avec le recul du temps, objectivement impressionnant. Rien n’était acquis ni gagné d’avance en 1949. C’est ce sentiment, cette profondeur historique qui m’avait saisi lorsque j’ai découvert le Conseil de l’Europe en rejoignant l’Assemblée parlementaire comme député en 2012. Mais la vérité m’oblige à reconnaître aussi, au-delà ce bilan, que le Conseil de l’Europe traverse aujourd’hui une crise profonde, certainement la plus grave de son histoire, de laquelle il est impératif qu’il sorte dans l’intérêt même des Européens.

Cette crise est de multiple nature. Elle tient tout d’abord à l’émergence en Europe de démocraties illibérales. L’illibéralisme, c’est la contestation, sur le principe et dans les faits, des fondements de la démocratie libérale : séparation des pouvoirs, indépendance de la justice, liberté d’expression, entre autres. S’y mêlent tout à la fois et à des degrés divers le populisme, la protection des nomenklaturas post-communistes et, au moins pour la Russie et la Turquie, des ambitions impérialistes assumées. Tous ces pays ont aussi en commun la contestation répétée et de plus en plus vive de l’autorité de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi qu’une résistance croissante à la mise en œuvre des jugements les concernant.

La crise que traverse le Conseil de l’Europe est également la conséquence de l’annexion de la Crimée, territoire ukrainien, par la Russie en 2014. A cette annexion, l’Assemblée parlementaire avait réagi par des sanctions à l’encontre de la délégation parlementaire russe, privée non de son droit de siéger, mais de ses droits de vote et de l’accès à des rapports pour les députés la composant. En retour, la délégation russe s’est retirée de toutes les instances de l’Assemblée, puis le gouvernement russe, à compter de 2017, a refusé de verser sa quote-part d’Etat membre au Conseil de l’Europe (environ 33 millions d’Euros). Cela fait presque 2 ans désormais et, sauf surprise, le Comité des Ministres, sous présidence française, ne pourra que constater en juin prochain la suspension de la Russie de sa qualité d’Etat membre.

A cela s’ajoute un dernier élément de crise, peut-être le plus redoutable. C’est une perte de sens, de perspective et de confiance en le Conseil de l’Europe. Je l’ai ressentie en faisant campagne comme candidat au mandat de Commissaire aux droits de l’homme l’an passé. Quel peut encore être le rôle du Conseil de l’Europe alors que l’Union européenne s’élargit tant dans l’espace que par ses compétences ? Au contact de certains pays, j’ai perçu cette interrogation, dont l’une des expressions peut être trouvée dans les difficultés de signature et ratification des plus récentes Conventions. Et aussi parfois auprès de personnels de l’organisation, interrogatifs sur le sens de leur engagement. Il faut vouloir entendre cette inquiétude sourde exprimée par celles et ceux qui, à Strasbourg, représentent la permanence, l’unité et les talents du Conseil de l’Europe.

Le retrait de la Russie du Conseil de l’Europe serait un échec pour tout le monde. L’adhésion de la Russie en 1996 avait été une avancée considérable pour l’Europe car elle ouvrait une voie précieuse pour le dialogue, la sécurité et la stabilité dans l’espace européen. Elle offrait aussi une protection essentielle, celle du système de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour, aux 180 millions de citoyens russes. Cette protection, en dépit des nombreuses condamnations de la Russie par la Cour et d’une mise en œuvre malaisée des arrêts, a permis à l’Etat de droit de progresser en Russie. Tout cela serait perdu si la Russie devait quitter le Conseil de l’Europe dans les prochains mois. C’est pour cela que le maintien de la Russie dans l’organisation doit rester un objectif.

Il ne saurait cependant être question de reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie. Ni l’idéal, ni les principes sur lesquels reposent le Conseil de l’Europe ne doivent être sacrifiés. Il faudra que l’Assemblée parlementaire lève tout ou partie des sanctions car elles n’ont pas eu objectivement les effets escomptés et parce qu’une sanction ne peut être une fin en soi. La Russie devra faire un geste pour convaincre la majorité de l’Assemblée parlementaire qui n’est ni pour son départ du Conseil de l’Europe, ni pour un soutien à son gouvernement et qui reste fondamentalement attachée au respect du droit international. Ce geste pourrait être la libération des prisonniers ukrainiens et celle de personnes détenues pour des raisons politiques comme Alexei Pichugin, dernier prisonnier de l’affaire Yukos, privé de liberté depuis plus de 16 ans en dépit de deux jugements de la Cour européenne des droits de l’homme.

Cela pose la question du périmètre d’intervention du Conseil de l’Europe et de la coordination de ses activités avec les autres organisations européennes. La difficulté budgétaire créée par la Russie offre à l’organisation l’opportunité de recentrer ses activités. Pour cela, il faut doter le Conseil de l’Europe d’un pilotage plus politique et plus stratégique. Cette perspective doit s’imposer autant au Comité des Ministres qu’à l’Assemblée parlementaire, a fortiori à travers l’élection prochaine du nouveau ou de la nouvelle Secrétaire-Générale. Ce travail demande tout à la fois de resserrer les liens entre le Comité des Ministres et l’Assemblée et pour celle ou celui qui succédera à Thorbjorn Jagland de s’imposer comme un interlocuteur exigeant et attentif dans les relations avec les Etats membres. Un sommet régulier des chefs d’Etat et de gouvernement du Conseil de l’Europe, tous les 4 ou 5 ans, serait également utile pour élever les sujets et prendre les décisions qui s’imposent.

Ce pilotage politique à développer est d’autant plus nécessaire dans la perspective souhaitable du renforcement des liens entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Il faut aller plus loin que le mémorandum de 2007 entre les deux organisations. En matière de politique de voisinage, le Conseil de l’Europe a une expertise remarquable à faire valoir à l’Est (partenariat oriental de l’Union), mais aussi sur la rive sud de la Méditerranée avec le Partenariat pour la démocratie et le travail discret mais utile conduit par le Centre Nord-Sud à Lisbonne. Depuis une dizaine d’années, la confiance qui faisait initialement défaut marque les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union. Il faut poursuivre dans cette voie, dans le respect des objectifs et compétences des deux organisations. Le Conseil de l’Europe est la référence européenne en matière de droits de l’homme, de démocratie et d’Etat de droit. Il doit le rester, y compris pour l’Union européenne.

Le Traité sur l’Union européenne prévoit l’adhésion de l’Union à la Convention européenne des droits de l’homme. Un Traité d’adhésion avait été négocié en 2013. Il a fait l’objet d’un avis circonspect de la Cour de Justice de l’Union européenne. Les discussions ont repris au Conseil des Ministres de l’Union européenne en 2018 pour tenter de trouver une solution qui prenne en compte les préoccupations de la Cour de Justice sur le respect de l’autonomie du droit de l’Union. Cet arrimage de l’Union à la Convention, outre le progrès qu’il constituerait en termes d’Etat de droit, est politiquement nécessaire. Toute la difficulté est de prendre en compte l’opposition de la Cour de Justice au contrôle par la Cour européenne des droits de l’homme des décisions de l’Union en matière de politique étrangère et de sécurité commune. Peut-être pourrait-on imaginer la rédaction d’un protocole à la Convention européenne des droits de l’homme sur l’adhésion d’une organisation internationale, une part des contraintes identifiées par la Cour de Justice dans son avis de 2013 relevant en effet d’une adhésion prévue pour des Etats et non pour une organisation internationale.

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Voilà l’avenir du Conseil de l’Europe tel que je le perçois, entre un bilan objectivement positif pour l’Etat de droit et la démocratie en Europe et des incertitudes majeures qui sont autant de menaces pour le système de la Convention européenne des droits de l’homme. Il faut préserver et renforcer le Conseil de l’Europe. Il faut aussi mieux le faire connaître car sa discrétion depuis 70 ans joue aujourd’hui contre lui. Le Conseil de l’Europe doit expliquer ses engagements, ses principes, ses valeurs, son action et ses réussites auprès de l’opinion publique. Ce travail n’a pas été suffisamment fait ou il n’a pas à tout le moins obtenu les résultats qu’il devrait. Il n’est pas juste que l’œuvre du Conseil de l’Europe ne soit connue que par des initiés, qu’il s’agisse de diplomates, de parlementaires, de fonctionnaires ou de juristes. Le Conseil de l’Europe est une organisation profondément citoyenne et c’est précisément au citoyen au sens le plus large qu’il doit s’adresser.

L’avenir, c’est à l’aune des défis nouveaux posés aux droits de l’homme qu’il faut l’imaginer. C’était l’un des éléments de ma campagne l’an passé pour le mandat de Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Il faut s’engager davantage sur les droits économiques et sociaux et donc sur la Charte sociale et son application par les Etats membres. La mise en place effective des droits économiques et sociaux est une condition d’acceptation de la démocratie libérale. Il existe dans la société une exigence légitime et élevée de solidarité qu’il faut prendre en compte. La crise des gilets jaunes en France nous le rappelle. Enfin, nous avons le devoir d’anticiper les défis aux droits de l’homme que posent déjà le big data, le changement climatique ou globalisation. Ce sont de réelles questions qu’il s’agit d’aborder de manière prospective et tel doit être le rôle du Conseil de l’Europe.

Je pense aussi aux personnes vulnérables, aux deux bouts de la vie : les enfants et les personnes âgées. Leurs droits doivent être protégés face à l’évolution de la société. C’est un champ d’action important pour le Conseil de l’Europe. Au fond, même en resserrant l’action du Conseil de l’Europe autour des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit, ce qu’il reste à faire est immense. Le combat des droits de l’homme, c’est tous les jours. C’est un combat pour chacune et chacun d’entre nous. La volonté demeure le moteur et l’enthousiasme aussi. Sans doute est-ce la leçon qu’il faut retenir de Churchill, Schuman, Madariaga, Spaak et de Gasperi, de ces pères fondateurs qui ont pensé et agi pour l’Europe : ne jamais renoncer, ne jamais brider nos ambitions, regarder devant et agir pour les futures générations d’Européens.

C’est pour cela que le Conseil de l’Europe est une formidable organisation citoyenne. C’est pour cela, au-delà des difficultés actuelles et des défis de notre époque, que je crois plus que jamais en lui.

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Entre Alsace et Vosges, le bonheur d’une nouvelle vie

Changer de vie. Qui n’y a pas pensé un jour ? Il y a un peu plus d’un an, à la fin de l’année 2017, je promettais à mes enfants de les emmener faire du ski. Pour mes 3 petits, cette perspective de chausser les skis était comme un Graal. Il fallait assurer. Nous étions alors à quelques semaines de l’élection du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, prévue le 23 janvier 2018, et j’étais l’un des 3 candidats finalistes. La semaine de ski devait avoir lieu en février. Où skier ? Mon choix se porta sur la petite station familiale du Champ du Feu, dans le massif vosgien, à quelques dizaines de kilomètres de Strasbourg. Ainsi, si j’étais élu, je pourrais déposer la famille sur les pentes chaque matin et filer à Strasbourg préparer la prise de fonction. Et si j’étais battu s’ouvriraient alors de longues et incertaines vacances … La seconde alternative, malheureusement pour moi, s’imposa.

A quelque chose, malheur est bon dit le proverbe. Pour loger tout le monde, j’avais cherché une maison d’hôtes. La magie d’un célèbre moteur de recherche me dirigea vers Bluets et Brimbelles (www.bluetsetbrimbelles.fr), située à Saulxures, tout au bout de la vallée de la Bruche, à quelques kilomètres des Vosges. Quatre belles chambres et une cuisine exceptionnelle, au milieu d’un joli village entouré de sapins enneigés. Un réel paradis. A Bluets et Brimbelles nous attendaient Catherine et Thierry Habersetzer. J’y arrivais l’esprit un peu perdu, tant à la fois par la défaite douloureuse essuyée le mois précédent et par quelques premières discussions professionnelles pour l’après. Devais-je changer de vie ? A Bluets et Brimbelles, j’allais trouver la réponse. Le cadre s’y prêtait, mais surtout, ce changement de vie, Catherine et Thierry l’avaient expérimenté.

Dans la cuisine officiait Catherine, cheffe hors pair et pâtissière accomplie. Autour de la table le soir, elle nous raconta son histoire. Sa formation de pâtissière certes, mais aussi son long passé de banquière. Et Thierry, collectionneur passionné de 2 CV et heureux conducteur d’une Traction Avant (www.2cv-bruche.com), connaisseur sans égal de sa vallée, se révéla être un ancien cadre dirigeant d’entreprise internationale. A l’approche de la cinquantaine, ils avaient tous les deux décidé de changer radicalement de vie. Finis les chiffres et les tableaux Excel, les journées sans fin (et la vie qui file), les voyages incessants (et la redoutable empreinte carbone), les gros salaires (et les trop gros impôts). Bonjour à un projet vrai et authentique : transformer la maison de famille de Thierry, construite en 1753 et habitée par 11 générations, en une superbe maison d’hôtes.

Cette semaine en février 2018 fut pour nous un moment de bonheur. Les enfants découvraient les joies de la neige. Les conversations le soir avec Catherine et Thierry étaient fortes et justes. Faire ce que l’on aime, vivre ses passions. Ce message infusait totalement en moi. Le plaisir de la table était sans limite. La cuisine de Catherine, merveilleuse et inventive, mêlait les touches du terroir alsacien et des saveurs plus lointaines comme celles de l’Inde, où elle a accompli une part de son apprentissage de pâtissière. Le tout arrosé des meilleurs crus locaux. La ferme vosgienne presque tricentenaire, rénovée en 2014, vit une autre vie. Là où cohabitaient autrefois la famille, les animaux et le fourrage cohabitent aujourd’hui un couple passionné et leurs hôtes sous le charme. L’écurie est devenue le laboratoire de pâtisserie, le cœur du réacteur de Bluets et Brimbelles.

Forcément, cela appelait un retour. Pareille expérience ne pouvait rester en effet sans lendemain, d’un hiver à l’autre, de février 2018 à février 2019. Ce fut la semaine passée. Avec le même plaisir. Au point désormais de nous dire que les Vosges, nous gagnerions aussi à les découvrir en été, à pied et en VTT. Ce qui nous ramènerait avec bonheur à Bluets et Brimbelles avant février 2020. Il y a ainsi des rencontres fortuites et des moments de grâce. Un couple qui change de vie et dont le message résonne. Ce fut le cas pour moi. Merci à Catherine et Thierry Habersetzer pour ce qu’ils sont, pour leur part de vérité. L’enthousiasme et la passion sont des valeurs contagieuses. Finalement, j’ai changé de vie aussi. Loin de mes expériences passées, des multinationales et de la vie politique. J’ai créé à mon tour ma petite entreprise pour écrire, enseigner, partager et conseiller. Et pour vivre autrement.

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